La bataille de Vimy, le Canada et le Québec

2016/06/20 | Par Pierre Dubuc

Une controverse vient d’éclater à propos du changement de nom du parc de Vimy à Outremont pour celui de Jacques Parizeau. Les anglos sont montés aux barricades pour défendre ce qu’il considère être l’acte de naissance du Canada. Voyons ce qui en est.

En 2007, le gouvernement de Stephen Harper a commémoré avec un faste exceptionnel le 90e anniversaire de l’assaut de la crête de Vimy par les troupes canadiennes lors de la Première guerre mondiale.

Pour la première fois de l’histoire, quatre divisions canadiennes unissaient leurs efforts pour un assaut commun. La presse anglophone, se faisant l’écho de plusieurs manuels d’histoire canadiens-anglais, a présenté l’événement comme étant rien de moins que l’acte fondateur du Canada.

La commémoration de Vimy faisait partie d’une intense campagne de propagande du gouvernement canadien pour justifier la guerre en Afghanistan. Elle coïncidait avec le lancement de la télésérie La Grande Guerre qui met en vedette Justin Trudeau dans le rôle de Talbot Mercer Papineau.

 

Redéfinir l’identité canadienne autour des valeurs militaires

Malgré cette campagne d’intoxication, particulièrement au Canada anglais, il s’est trouvé néanmoins des journalistes pour dégonfler le mythe de Vimy. Dans le Globe and Mail du 7 avril 2007, le journaliste Michael Valpy rappelle qu’il n’y a qu’au Canada où l’assaut de la crête de Vimy est célébré comme un important fait d’armes.

Il souligne également que, bien qu’il soit vrai que les soldats canadiens aient remporté une victoire tactique, celle-ci avait été préparée par des stratèges militaires britanniques, que les troupes canadiennes étaient composées en majorité d’immigrants britanniques de fraîche date, commandées par des officiers britanniques et qu’elles bénéficiaient du soutien logistique de l’artillerie britannique.

Il faut dire que le premier ministre Stephen Harper était un nostalgique de l’empire britannique. Lors d’un voyage en Angleterre, il avait salué « les valeurs communes qui unissent toujours la petite île – le Royaume-Uni – et le grand Dominion, le Canada » ! Il y avait longtemps qu’un premier ministre canadien avait fait référence à son pays comme étant un dominion britannique !

Michael Valpy précise que la reconnaissance par le Canada de l’importance de cette bataille est venue de la presse… anglaise et américaine ! Il raconte que le premier ministre Borden a écrit dans son journal personnel : « Tous les journaux louent les Canadiens. Le New York Times a déclaré que la bataille « sera dans l’histoire canadienne.. une journée de gloire qui servira d’inspiration aux jeunes Canadiens pour des générations à venir » ».

 

La crise de la conscription, un acte fondateur du mouvement indépendantiste

En 2007, le scandale de la traduction bâclée des panneaux d’interprétation au site historique de Vimy a fait dérailler au Québec la campagne de propagande fédérale et est venu pertinemment rappeler que la question linguistique et nationale a également été à l’origine de l’opposition du Québec à cette guerre.

Avec à leur tête le leader nationaliste Henri Bourassa, les Québécois se sont opposés à une participation à la guerre en rappelant le Règlement 17 en Ontario qui privait les Franco-ontariens de leurs écoles françaises. Lorsque les lourdes pertes subies lors de la bataille de la crête de Vimy forcent le gouvernement Borden à mettre en vigueur la conscription, le Québec se révolte et des émeutes font quatre morts dans la ville de Québec.

C’est pour combattre l’opposition à la guerre que les autorités fédérales sortent alors de leur manche Talbot Mercer Papineau, un arrière-petit-fils de Louis-Joseph Papineau. Talbot Mercer Papineau, un anglo-protestant d’origine américaine, fait paraître dans The Gazette un texte qui s’en prend au pacifisme d’Henri-Bourassa qui, rappelons-le, était le petit-fils de Louis-Jospeph Papineau.

Son texte, nous rappelle Normand Lester dans un article publié dans Le Devoir (2 août 2006), sera utilisé à des fins de propagande impérialiste jusqu'en Angleterre. Sous le titre «The Soul of Canada», le Times de Londres le publie.

En regardant Justin Trudeau interpréter Talbot Mercer Papineau, souvenons-nous que les événements racontés ont conduit à la crise de la conscription et, en réponse à la campagne de haine menée contre le Québec dans la presse anglophone, au dépôt à l’Assemblée législative du Québec d’une motion par le député J.-N. Francoeur qui stipulait que le «Québec serait disposé à accepter la rupture du pacte fédératif de 1867».

C’était la première fois que la question de l’indépendance du Québec refaisait surface sur la scène politique depuis les Patriotes de 1837-1838.