Comment le Canada contribue à la dépossession des Palestiniens

2016/06/21 | Par Yves Engler

La campagne visant à révoquer le statut d’organisme de charité du Fonds National Juif du Canada prend de l’ampleur. Au cours des dernières semaines, la campagne a été endossée par un parti politique, a reçu l’appui d’une intellectuelle renommée et a recueilli des fonds pour intenter une action en justice.

Subissant les pressions de partisans d’Israël parce qu’elle projetait de prendre la parole au cours d’une soirée bénéfice au profit de Canadians for Peace and Justice in the Middle East en décembre 2013, la chef du Parti vert du Canada, Elizabeth May, avait déclaré au Jewish Tribune avoir assisté, peu de temps auparavant, à une soirée bénéfice du Jewish National Fund à Ottawa et avoir louangé « le travail extraordinaire accompli par le FNJ pour faire fleurir le désert ».

La publication de cette entrevue a déclenché une vive réaction des groupes pro-Palestiniens qui a ébranlé les certitudes de l’unique députée que compte le Parti vert. Dans un important revirement, Mme May a tout récemment parrainé une résolution, qui sera présentée au congrès de son parti en août prochain, demandant à l’Agence de revenu du Canada (ARC) de révoquer le statut d’organisme de charité, dont jouit le FNJ. La résolution se lit comme suit :

ATTENDU QUE le JNF pratique la discrimination contre les non-juifs en Israël par ses règlements qui prohibent la location ou la vente de ces terres à des non-juifs;

ATTENDU QUE le JNF est complice de la dépossession continue des Palestiniens de leurs terres par la création de forêts et de parcs sur ces terres au nom de « l’écologie »;

ATTENDU QUE « Parc Canada Ayalon » du JNF se trouve en territoire palestinien occupé, couvrant les terres des villages palestiniens dépeuplés et démolis de Yalu, d’Imwas et de Beit Nuba;

ATTENDU QUE le procureur général d’Israël et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies ont accusé le JNF de pratique institutionnelle discriminatoire à l’endroit des citoyens non-juifs d’Israël;

ATTENDU QUE l’ARC est au courant que les activités du JNF contreviennent à la politique publique canadienne;

ATTENDU QUE plusieurs groupes de la société civile de l’ensemble du Canada, dont des groupes juifs, ont réclamé la fin du statut caritatif du JNF;

IL EST RÉSOLU QUE le Parti vert du Canada demande à l’Agence du revenu du Canada de révoquer le statut caritatif du Jewish National Fund pour avoir contrevenu à une politique publique contre la discrimination et pour avoir omis de se conformer aux lois internationales sur les droits de la personne.

Mme May devrait être applaudie pour ce revirement. Depuis son commentaire douteux d’il y a deux ans et demi, elle a, de toute évidence, regardé au-delà de la description que le Fonds donne de lui-même.

Mais la chef du Parti vert fait aussi un calcul politique. Même si les grands médias font tout un plat de la résolution sur le FNJ, le parti a plus à gagner en s’alignant sur le nombre croissant de Canadiens qui remettent en question le soutien d’Ottawa à la violence et au colonialisme d’Israël.

Pour répondre à ses détracteurs, Mme May et son parti feraient bien de citer la critique de Naomi Klein du FNJ en mai dernier. Lors d’une allocution, elle a parlé de son expérience personnelle avec ce pilier du colonialisme vert.

« L’État d’Israël recouvre depuis longtemps son projet d’édification de la nation d’un vernis vert. C’était un élément clé de la philosophie pionnière du retour à la terre sioniste. Dans ce contexte, les arbres, particulièrement, comptent parmi les armes les plus puissantes pour l’accaparement et l’occupation des terres. Il ne s’agit pas seulement des innombrables oliviers et pistachiers déracinés pour faire place aux colonies et aux routes réservées aux Israéliens. Il s’agit aussi des envahissantes forêts de pins et d’eucalyptus qui ont été plantés pour recouvrir ces anciens vergers et villages palestiniens, notamment par le Fonds National Juif qui, sous son slogan Verdissons le désert, se vante d’avoir planté 250 millions d’arbres en Israël depuis 1901, dont plusieurs ne sont pas indigènes.

« Dans son matériel promotionnel, le FNJ se décrit comme n’étant qu’une ONG parmi d’autres qui sont soucieuses de la gestion de l’eau, de la forêt, des parcs et des loisirs. Mais il est aussi le plus grand propriétaire foncier privé d’Israël, et malgré un grand nombre de contestations judiciaires compliquées, il refuse encore de vendre ou de louer des terres à des non-juifs.

« J’ai grandi dans une communauté juive où toute occasion, mariages, décès, Fête des mères, bar mitzvahs, était soulignée par l’achat d’un arbre du FNJ, au nom de la personne à l’honneur. Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai commencé à comprendre que ces lointains conifères, dont nous étions les fiers commanditaires, et dont les certificats d’achat tapissaient les murs de mon école primaire montréalaise, n’étaient pas inoffensifs. Pas juste quelque chose que l’on plante et que l’on étreint plus tard. En fait ces arbres sont parmi les symboles les plus manifestes du système de discrimination officielle d’Israël. Ce système qui doit être démantelé, si l’on veut en arriver à une coexistence pacifique. Le FNJ est un exemple extrême et récent de ce que certains appellent le colonialisme vert. »

Les interventions de Mmes May et Klein s’inscrivent dans le contexte d’une campagne en plein essor menée par Voix juives indépendantes, pour la révocation du statut d’organisme de charité dont bénéficie le FNJ.

En avril dernier, Voix juives indépendantes a organisé une tournée ayant pour titre : Découvrir « Canada Park » : Un Palestinien dépossédé prend la parole. Heidar Abu Ghosh a dénoncé, dans huit villes du pays, le rôle joué par le FNJ du Canada dans la transformation de son village de Imwas en parc réservé aux seuls Israéliens. La tournée a permis d’amasser des fonds pour entreprendre une procédure légale, visant à déchoir le FNJ de son statut d’organisme caritatif.

Au-delà d’une victoire sur ce point précis, cette campagne revêt un important rôle éducatif. Attirer l’attention sur le FNJ suscite le débat sur le racisme intrinsèque au sionisme et met en lumière le discours progressiste qui masque le colonialisme israélien. De plus, la campagne révèle la contribution du Canada à la dépossession des Palestiniens.

Cette campagne se veut un appel à l’État canadien pour qu’il cesse de subventionner une institution ouvertement raciste et coloniale. Combien de Canadiens pourraient s’opposer à cela ?