Pour une véritable Révolution tranquille

2016/06/23 | Par Pierre Dubuc

Selon Paul St-Pierre Plamondon, « le lien de confiance entre le PQ et les électeurs québécois » serait brisé parce que « le Parti québécois se soucie davantage de son projet de pays que de l’intérêt supérieur de l’ensemble des Québécois ».

Et, en quoi consisterait « l’intérêt supérieur de l’ensemble des Québécois », selon ce nouveau candidat à la direction du Parti Québécois, qui se définit comme un « fédéraliste fatigué »? À régler les « vraies affaires » que sont un réseau de la santé « malmené », un système d’éducation qui « s’effrite », une langue française « en recul », des cours d’histoire « falsifiés » et des institutions « abolies ou corrompues ».

Il y a quelques décennies, le Parti Québécois se serait levé d’un bloc pour lui riposter, démonstrations à l’appui, que la santé et l’éducation sont victimes de la diminution draconienne des transferts fédéraux, que la Loi 101 a été charcutée par la Cour suprême, que les cours d’histoire seront toujours un champ de bataille entre fédéralistes et souverainistes, tant que nous n’aurons pas aboli les institutions fédérales qui nous régentent.

Mais, aujourd’hui, ce « fédéraliste fatigué » est accueilli à bras ouverts par des souverainistes tout aussi « fatigués » qui vont « p’têt bien qu’oui, p’têt bien qu’non » tenir un référendum, ou qui en sont rendus à implorer les fédéralistes pour qu’ils nous proposent un « fédéralisme renouvelé » ou encore qui rangent le projet de pays dans la filière 13.

Dans son livre Les Orphelins politiques (Boréal), Paul St-Pierre Plamondon plaide pour une nouvelle Révolution tranquille, s’inspirant de la social-démocratie scandinave. Un projet que partagent les autres candidats en faveur d’un « bon gouvernement ».

Il faudrait leur signaler que nous ne sommes plus dans les mêmes conditions politiques et constitutionnelles que celles qui prévalaient au début des années 1960. Pour le comprendre, une brève contextualisation historique s’impose.

Dans la gouvernance de son empire, la Couronne britannique s’est toujours assurée de conserver la mainmise sur les fonctions régaliennes de l’État (la politique étrangère, la défense, l’armée, la justice, la monnaie), et de ne confier aux gouvernements de niveau inférieur que les pouvoirs de proximité (santé, éducation, aide sociale), soit le « home rule ».

Dans le cas du Dominion du Canada, qui était une colonie de peuplement, soit une extension de la Grande-Bretagne, le parlement britannique a concédé, par le BNA Act de 1867, les pouvoirs régaliens au gouvernement central, contrôlé par une majorité anglophone, tout en lui octroyant un droit de désaveu des législations provinciales.

Toutefois, Londres a conservé jusqu’en 1937 le pouvoir d’intervenir dans les affaires canadiennes par l’intermédiaire du Comité judiciaire du Conseil privé, qui tenait lieu de Cour suprême.

Si les décisions de cette instance juridique ont, à plusieurs reprises, favorisé les provinces, il serait erroné d’y voir une réponse à des demandes du Québec, même si celui-ci en a bénéficié. Le premier gouvernement provincial à défendre avec succès l’autonomie provinciale contre les visées centralisatrices du gouvernement fédéral de John A. Macdonald a été celui de l’Ontario, dirigé par Sir Oliver Mowat (1872-1896). Par ses décisions en faveur de la décentralisation des pouvoirs au Canada, Londres voulait affaiblir un concurrent potentiel sur la scène internationale.

Plus tard, les États-Unis ont pris la relève au plan politique en soutenant les compétences des provinces contre Ottawa, particulièrement dans le domaine des ressources naturelles (mines et hydro-électricité au Québec, pétrole en Alberta, etc.)

Au nom du nationalisme canadien, le gouvernement du premier ministre Pierre E. Trudeau a pris ses distances au plan diplomatique avec les États-Unis (reconnaissance de la Chine, liens avec Cuba, etc.) et a procédé, au plan économique, à une centralisation des pouvoirs avec sa Nouvelle Politique économique, qui prévoyait de mettre le pétrole de l’Ouest au profit de l’industrie ontarienne (et, secondairement, québécoise), et avec son Agence de tamisage des investissements étrangers.

Ces mesures ont vite été démantelées par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, qui a plutôt opté pour l’intégration de l’économie canadienne à l’économie américaine à la faveur du traité de libre-échange.

De retour au pouvoir avec Jean Chrétien, les libéraux n’ont pas donné suite à leur promesse de revoir le traité de libre-échange. Leur seule manifestation significative d’indépendance à l’égard des États-Unis a été la décision de ne pas participer à la guerre en Irak.

Même si ses velléités d’indépendance à l’égard des États-Unis ont fait long feu, Pierre E. Trudeau a légué à ses héritiers politiques un formidable outil centralisateur avec le rapatriement – sans l’accord du Québec – de la Constitution canadienne et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés.

Aussi, le Canada du XXIe siècle n’est plus le Canada des lendemains de la Seconde Guerre mondiale qui a permis au Québec d’élargir le champ de ses compétences constitutionnelles avec la Révolution tranquille.

Avec plus de 200 amendements à la Loi 101 et la promotion du multiculturalisme, la Charte canadienne a limité les pouvoirs législatifs du Québec et miné la reconnaissance du Québec comme nation.

Avec une apparence de neutralité, la Cour suprême, dont Ottawa nomme les juges, a remplacé le droit de désaveu des lois provinciales du BNA Act, tombé en désuétude parce que trop ouvertement anti-démocratique.

À l’heure de la mondialisation, les pouvoirs régaliens du gouvernement fédéral prennent une signification particulière avec les traités de libre-échange de deuxième génération qui touchent aux différents aspects de la vie sociale et fixent le cadre dans lequel vont s’exercer les pouvoirs provinciaux.

Déjà, avec l’ALENA, les programmes sociaux, dont l’assurance-emploi, ont été revus à la baisse pour les « harmoniser » avec les législations américaines. Dans le cadre du traité Transpacifique, le gouvernement fédéral a sacrifié une partie de la gestion de l’offre en agriculture, en vertu de son pouvoir prépondérant dans cette juridiction partagée avec les provinces, après avoir autorisé l’importation accrue de fromages européens dans le traité de libre-échange avec l’Europe.

Alors que les nations se définissent aujourd’hui par la culture, comme l’affirmait Monsieur Parizeau dans son livre La Souveraineté du Québec, le Québec voit progressivement lui échapper les principaux leviers d’intervention.

En vertu de son pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral est déjà le principal groupe subventionnaire (Téléfilm Canada, Conseil des Arts, Patrimoine Canada). De plus, la clause des compétences résiduaires stipule que tout ce qui n’est pas prévu dans la Constitution de 1867, notamment la radio, la télévision et les télécommunications, relève de l’État canadien.

S’ajoute à cela que le traité Transpacifique, négocié par Ottawa, accorde des avantages exorbitants aux grandes entreprises du Web (Amazon, Google, Facebook, Microsoft, Netflix, etc.), permettant de juger « discriminatoires » les exigences de contenu national.

À l’heure où les ressources financières des États sont de plus en plus exsangues à cause de l’évasion fiscale, la responsabilité première d’intervention au plan international pour lutter contre les paradis fiscaux échoit aussi au gouvernement fédéral.

Bien qu’il soit de compétence partagée entre le fédéral et les provinces, l’environnement, une question cruciale pour la survie la planète, est également soumis à la règle de prépondérance fédérale. Ottawa peut donc légalement permettre l’exploitation des sables bitumineux et l’exportation du pétrole par pipeline, train et bateaux, en vertu de sa juridiction sur les transports interprovinciaux et les voies navigables.

Nous pourrions multiplier les exemples des limites nouvelles du « home rule » québécois à l’heure de la mondialisation. Comme jamais auparavant, la lutte pour la survie et l’émancipation de la nation québécoise prend une dimension internationale.

La prochaine Révolution tranquille ne peut être que l’accession du Québec à l’indépendance nationale.

 

Photo : Radio-Canada