La liberté d’expression mise à l’épreuve par l’islam politique

2016/07/28 | Par Collectif

Par Élisabeth Badinter, philosophe, Gérard Biard, rédacteur en chef de «Charlie Hebdo» et Bernard Landry, ancien premier ministre du Québec. Ils interviennent au nom du du Comité de soutien à Djemila Benhabib

Pierres angulaires de notre démocratie, la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de critiquer, sont sérieusement remis en cause au nom d’une vision falsifiée de la lutte contre le racisme, qui assimile la critique de l’islam à une forme de racisme, en la qualifiant d’« islamophobie ». Ce positionnement idéologique, qui relève de l’escroquerie sémantique, concourt à imposer l’idée que la liberté d’expression serait subordonnée aux diktats des religions en général et de l’islam en particulier.

À plusieurs reprises ces dernières années, les démocraties ont rappelé que la liberté d’expression était un droit inaliénable. Pourtant, aujourd’hui, nombre de penseurs, d’intellectuels, d’écrivains, de journalistes et de militant(e)s féministes et laïques font l’objet de graves persécutions, voire de menaces de mort en raison de leur détermination à user de ce droit.

Cette tendance prend une orientation dramatique s’agissant du monde dit musulman, où la séparation des pouvoirs politiques, religieux et judiciaires est un enjeu fondamental qui oppose, à l’heure actuelle, des démocrates aux islamistes et aux régimes autoritaires ou dictatoriaux.

 

Éliminer les opposants

C’est le 14 février 1989, avec la publication du roman de Salman Rushdie Les versets sataniques, que l’opposition frontale à la liberté d’expression prend une tournure des plus terrifiantes en se transposant sur la scène européenne. L’ayatollah Khomeini appelle tous les musulmans à tuer le romancier anglo-indien, accusé de blasphème. Désormais, la stratégie des islamistes consiste à éliminer par tous les moyens leurs opposants. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la condamnation à mort de Taslima Nasreen (1993), l’assassinat de Theo van Gogh (2004), les tentatives visant le caricaturiste danois Kurt Westergaard (2005), ainsi que la tuerie à Charlie Hebdo le 7 janvier 2015.

La légitimité de la mise à mort des esprits libres est clairement revendiquée par l’islam politique. Leur élimination est programmée et se joue sur plusieurs niveaux. Le terrain juridique en est un et il n’est pas des moindres.

Des poursuites judiciaires sont désormais intentées contre des militants laïques et féministes sous de faux prétextes. Cette nouvelle stratégie qui s’apparente à une « guerre juridique » s’est visiblement mise en place afin de museler quiconque use de sa liberté de parole pour critiquer l’islam radical et tester la résistance des « cibles » et des institutions.

En France, le procès des caricatures de Charlie Hebdo en a préfiguré le terrifiant engrenage. Le procès contre la crèche Baby Loup a suivi, avec ses interminables rebondissements judiciaires dont la directrice, Natalia Baleato, est sortie victorieuse, mais au prix d’un long combat.

 

L’exemple de Benhabib

Au Québec, Djemila Benhabib, journaliste et essayiste bien connue pour son combat contre l’islam politique, en est déjà à son deuxième procès. En 2012, elle est poursuivie par une mère musulmane qui lui reproche d’avoir publié sur son blogue les photos de ses deux enfants prises lors d’un concours de récitation coranique organisé à la mosquée al-Rawdah, un fief des Frères musulmans. Or, ces mêmes photos étaient déjà publiées sur le site de ladite mosquée. Djemila Benhabib a gagné ce procès sans réel objet, mais on peut imaginer ce que cela représente de pression morale et financière.

Le 26 septembre prochain s’ouvrira à Montréal un autre procès, qui l’oppose, cette fois-ci, à une école islamique pourtant financée par le ministère de l’Éducation et qui fait du port du voile islamique une obligation à partir de la troisième année (c’est-à-dire pour des fillettes de 9 ans). Au Royaume-Uni, la militante féministe Maryam Namazie, qui mène une lutte acharnée contre les tribunaux de la charia, est aux prises avec des lobbies organisés au sein des campus universitaires qui viennent perturber violemment ses conférences. Cet insupportable harcèlement consiste toujours à faire passer des militant(e)s laïques pour des racistes.

Ne nous trompons pas sur les véritables motivations des auteurs de ces attaques d’un type nouveau. D’abord, il s’agit de faire régner la peur pour empêcher toute expression critique envers l’islam ou contre la façon dévoyée dont certains veulent l’imposer à d’autres.

Ensuite, il s’agit de mettre une pression démesurée sur les personnes visées, pour les épuiser psychologiquement et financièrement, les ostraciser et les éliminer du débat public. Bref, les décourager de continuer à s’exprimer publiquement.

C’est pourquoi nous réaffirmons avec force que les démocrates du monde entier refusent la stratégie de la peur et de l’intimidation. Il ne saurait être question de renoncer à la liberté d’expression, pas plus qu’à l’universalité des droits de la personne et à ceux des femmes en particulier, qui ne doivent souffrir aucune contestation ni restriction au nom de préceptes religieux ou de prétextes culturels.

À nous de rassembler nos forces pour nous donner les moyens d’agir collectivement. C’est le premier objectif du comité de soutien qui vient de se constituer.

 

Liste complète des signatures

Membres du Comité de soutien de Djemila Benhabib

Premières associations signataires :
Association Femmes Ici et Ailleurs
Association des Humanistes du Québec
Association européenne de la pensée libre-section IDF
Association française des Victimes du Terrorisme
Association Le Chevalier de la Barre
Association Laïcité et féminisme
Association pour la mixité, l’égalité et la laïcité (AMEL)
Association québécoise des Nord-africains pour la laïcité
Assemblée des femmes
Clara Magazine
Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL)
Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes (CLEF)
Comités 1905
Comité Laïcité République
Égalité-Laïcité-Europe (EGALE)
Femmes pour le dire, Femmes pour agir
Femmes sans voile d’Aubervilliers
Femmes solidaires
Institut d’éthique contemporaine
Laïcité –Libertés
Les vigilantes
Libres MarianneS
Ligue du Droit International des Femmes
Marche Mondiale des Femmes-France
Mouvement laïque québécois (MLQ)
Mouvement pour la paix et contre le terrorisme
Ni Putes Ni Soumises Belgique
Ni Putes Ni Soumises France
Observatoire de la laïcité de St-Denis
Regards de femmes
Réseau féministe « Ruptures »
Société des Amis de Vigile
Société des écrivains de la Mauricie
SOS Sexisme
Union des Familles Laïques (UFAL)
Premiers signataires individuels
Claire Aubin, artiste peintre
Waleed al-Husseini, blogueur, auteur
Karim Akouche, écrivain
Élaine Audet, essayiste, poétesse et éditrice de Sisyphe.org, site féministe d'information, d'analyse et d'opinion
Élisabeth Badinter, philosophe, écrivaine
André Baril, éditeur
Daniel Baril, anthropologue et journaliste
Doucha Belgrave, journaliste
Nassima Bengana, sœur de Katia Bengana assassinée en Algérie le 28 février 1994, à l’âge de 17 ans, pour son refus de porte le voile islamique
Georges Bensoussan, historien
Nabila Ben Youssef, humoriste et comédienne
Louise Beaudoin, ancienne ministre
Gérard Biard, directeur de Charlie Hebdo
Mireille Bizot-Tadjeddine, professeure émérite ENS Cachan
Mathieu Bock-Côté, sociologue et chroniqueur
Bernard Bosc, militant féministe
Danielle Bousquet, députée honoraire
Claudy Bouyon, militante féministe
Marika Bret, chroniqueuse Charlie Hebdo
Micheline Carrier, éditrice de Sisyphe.org, site féministe d'information, d'analyse et d'opinion
Yeter Célili, cheffe d’entreprise
Sérénade Chafik, militante féministe
Chahla Chafiq, sociologue, écrivaine
Guylain Chevrier, historien, militant laïque
Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme
Marie-Andrée Chouinard, présidente de Vigilance laïque
Claude Codsi, chef d’entreprise
Guy Corneau, psychanalyste et auteur
Ewa Dąbrowska-Szulc, présidente de l’association ProFemina-Pologne
Jane Donnely, activiste Atheist Irland
Bernice Dubois, consultante internationale
Pierre Dubuc, directeur et rédacteur en chef de L'aut'journal
Gilles Duceppe, ancien chef du Bloc Québécois
Annick Drogou, auteure
Sanal Edamaruku, fondateur-président International Rationalist et président Indian Rationalist
Nadia el-Fani, cinéaste
Andrée Ferretti, écrivaine et militante indépendantiste
Nadine Fleury, médecin
Raymond Fleury, enseignant à la retraite et étudiant assidu à l’Université du troisième âge
Caroline Fourest, journaliste, auteure
Pierre Gauthier, député au parlement de Genève
Nadia Geerts, philosophe et auteure
Pierre-Yves Ginet, photojournaliste
Jean Glavany, ancien ministre, député des Hautes Pyrénées
Sihem Habchi, militante féministe laïque
Shoukria Haidar, présidente de NEGAR- Soutien aux femmes d'Afghanistan
Guy Haarscher, philosophe, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles
Marieme Helie Lucas, sociologue, fondatrice de Secularism is a women’s issue
Myriam Ibn Arabi, philosophe
Lucie Jobin, présidente du Mouvement laïque québécois
Guy Julien, ancien ministre
Isabelle Kersimon, journaliste, essayiste
Catherine Kintzler, philosophe, professeure émérite Lille III
Françoise Laborde, sénatrice de Haute-Garonne
Ibtissame Betty Lachgar, psychologue, co-fondatrice du Mali (le mouvement alternatif pour les libertés individuelles)au Maroc
André Lamoureux, politologue et porte-parole du Rassemblement pour la laïcité
Bernard Landry, ancien premier ministre du Québec
Guy Langagne, ancien ministre
Mona Latif-Ghattas, poétesse et écrivaine
Guillaume Lecontre, chercheur
Christine Le Doaré, juriste conseil et militante féministe
Richard Le Hir, ancien ministre
Corinne Lepage, ancienne ministre, présidente de CAP 21
Joseph Macé-Scaron, président du comité éditorial de Marianne
Louise Mailloux, philosophe et militante laïque
Laurence Marchand-Taillade, Présidente de l’Observatoire de la laïcité du Val d’Oise
Malka Marcovich, directrice générale de Palmyre & Co promotion culturelle
Samuel Mayol, maître de conférences
Yves Michaud, chef de la mission diplomatique du Québec en France (1979-1984)
Danielle Michel-Chich, journaliste et auteure
Maryam Namazie, porte parole de One law for all, membre du Council of ex muslims
Taslima Nasreen, écrivaine
Wanda Nowicka, ancienne vice-présidente du parlement de Pologne
Michael Nugent, écrivain et président de Atheist Irland
Magali Orsini, députée au parlement de Genève
Michel Paris, consultant
Gilbert Paquette, ancien ministre
Céline Pina, essayiste et militante laïque
Lorraine Prieur, pianiste et professeur de musique
Hubert Reeves, astrophysicien, auteur
Jocelyne Robert, sexologue et auteure
Yves Rocheleau, ancien député
Yvette Roudy, ancienne ministre
Marie-Josée Salmon, militante féministe
Nina Sankari, militante de la Libre pensée et des droits des femmes en Pologne
Boualem Sansal, écrivain
Marie Savoie, interprète
Johanne St-Amour, féministe
Luc Saucier, calligraphe, chanteur
Jacques Sauvageot, président de l’UNEF en mai 68
Simon-Pierre Savard-Tremblay, président de Génération nationale
Alain Seksig, cadre de l'éducation nationale
Agnès Setton, médecin
Fatoumata Fathy Sidibé, députée au parlement de la région Bruxelles-Capitale
Mohamed Sifaoui, auteur et réalisateur
Alain Simon, haut fonctionnaire
Michèle Sirois, présidente de Pour les droits des femmes du Québec - PDF Québec
Abderrahmane Tadjeddine, physicien, chercheurLisa Marie Taylor, présidente de Feminism in London
Viviane Teitelbaum, députée au parlement de la région Bruxelles-Capitale, échevine
Sam Touzani, comédien, metteur en scène
Danielle Trussart, écrivaine
Fiammetta Venner, politologue, essayiste
Michel Virard, président de l'Association des humanistes du Québec
Arlette Zilberg, maire adjointe de Paris-20ème
Soufiane Zitouni, philsophe et auteur