Course à la chefferie. Débattre, oui. S’insulter, non.

2016/09/02 | Par Jean-François Lisée

L’auteur est député de Rosemont et candidat à la direction du Parti québécois

Pierre Dubuc, qui dirige L’aut’journal, est un partisan déclaré de Martine Ouellet. C’est son droit le plus strict et je trouve, moi aussi, beaucoup de qualités à Martine. Je répète à chaque discours que, si elle est choisie pour diriger notre parti le 7 octobre, je mettrais tout en œuvre pour que la stratégie qu’elle propose soit couronnée de succès. J’ajoute que si les militants me choisissent, Martine aura une place de choix dans mon équipe tant ses talents sont indispensables. Au sein du gouvernement Marois, j’étais d’ailleurs un de ses plus solides alliés. J’ai dit publiquement et je suis content d’écrire ici que si on avait davantage écouté Martine, le gouvernement Marois aurait évité plusieurs des erreurs commises en matière d’énergie et de ressources naturelles.

Je suis un lecteur assidu de L’aut’journal qui apporte, à mon avis, une réelle contribution au débat public. J’étais donc un peu déçu de lire un article où Pierre m’accuse de « ’’mentir effrontément’’ » et de commettre une « trahison » sur la question linguistique, Il vante la position de Martine mais... en omettant d’informer le lecteur qu’il fait partie de l’équipe de Martine.

L’un des quatre candidats engagés dans la course sera choisi, le 7 octobre, par une majorité de membres du PQ. Pour se diriger vers des victoires, il faudra se rassembler derrière ce choix, sans cesser, bien sûr, de discuter des éléments de programme pour la suite. Mais je ne comprends pas en quoi l’utilisation de mots comme « menteur » et « trahison » contribue à un climat de sain débat entre indépendantistes.

Réglons d’abord la question de fond. Pierre m’accusé de mentir dans mon livre « Le Journal de Lisée » lorsque j’écris´

« Selon une légende assez répandue, je proposerais de remplacer les principes du ‘‘français langue officielle et langue commune’’ par le concept de ‘‘prédominance du français’’. C’est faux. Je ne veux pas remplacer, mais ajouter. C’est parce que le français est langue officielle et commune que, par la force des choses, il est prédominant. Alors à quoi bon? Parce qu’il est bon d’indiquer que le français n’est pas seul : il y a les langues des Premières nations et de notre minorité anglophone. On prédomine, mais on ne vise pas éliminer les autres. Ce n’est pas sans importance, lorsqu’on est minoritaires. »

La preuve que c’est faux ? Pierre la trouve dans un livre précédent, où j’ai écrit, et je reprends la citation qu’il utilise:

’’Dans un chapitre intitulé « La prédominance du français : un concept rassembleur collé sur le réel », il incite le gouvernement « à ajouter dorénavant à ces objectifs (de français langue officielle et langue commune) le concept-clé de prédominance du français ».’’

Si vous ne voyez pas de différence entre la première et la seconde citation, c’est qu’il n’y en a pas. Je suis constant sur cette question depuis près de 20 ans. Pas remplacer, ajouter.

Mais le plus drôle -- et j’avais un jour fait rire un Conseil national en entier avec ce que vous allez lire -- c’est qu’un de mes auteurs favoris a écrit ceci:

’’Une politique linguistique basée sur le principe du « français, langue commune » implique, bien entendu, la prédominance du français et des exceptions pour l’anglais. C’est l’esprit et la lettre de la Loi 101.’’

Le nom de cet auteur ? Pierre Dubuc. Je ne sais vraiment pas quoi ajouter. J’ai beaucoup de difficulté à débattre avec quelqu’un qui, au fond, dit la même chose que moi mais affirme avec force qu’il dit le contraire.

Mais comme je sens bien que Pierre et ses copains vont vouloir utiliser la question linguistique pour attaquer ma crédibilité, je vais profiter ce droit de réplique pour clarifier quelques éléments.

Le discours du Centaur. Oui, j’en suis fier. Savez-vous que dans ce discours que j’ai rédigé, Lucien Bouchard affirmait que son gouvernement allait tenter de conduire le Québec à l’indépendance et avertissait que si les récentes études de Marc Termotte sur le déclin de la proportion de la population francophone sur l’île de Montréal se confirmaient, il faudrait prendre des mesures correctrices pour assurer la prédominance de la population francophone sur l’île ? C’était la première fois dans l’histoire du PQ qu’un tel propos était utilisé. Non, en fait, la deuxième fois. Car j’avais utilisé pour ce passage sur la langue exactement les mêmes mots que dans un discours prononcé peu avant devant le Conseil national du Parti. Deux auditoires, un même message. De plus, les détracteurs de l’événement omettent toujours le contexte. Au lendemain du référendum, le mouvement partitionniste, attisé par Jean Chrétien et Stéphane Dion, faisait des gains dans la communauté anglophone. Le geste d’ouverture et de franc dialogue du Centaur a provoqué un rapide déclin de ce mouvement, pour notre plus grand bien. C’est ce qui s’appelle se comporter en premier ministre de tous les Québécois.

Le bilinguisme et la STM. On m’accuse de m’être prononcé en faveur du bilinguisme parmi les employés du métro de Montréal. C’est faux. J’ai simplement expliqué ce que Camil Laurin et René Lévesque ont inscrit dans la loi 101. Si une entreprise fait la démonstration que, pour un salarié spécifique faisant une tâche spécifique, la connaissance de l’anglais était requise, il a le droit de demander la connaissance de l’anglais pour cette tâche. Je suis aussi partisan de dispositions légales qui limitent cette disposition à des cas avérés et non généralisés comme c’est le cas en ce moment. Soit mes détracteurs réclament le retrait de ce principe dans la loi 101, soit ils se calment le ponpon!

Notre Home. Ministre, j’ai accordé une subvention de 20 000 $ à une organisation anglophone qui organisait dans les écoles secondaires anglophones une tournée de promotion de l’identité québécoise des jeunes anglos. Le vidéo de la chanson Notre Home était le déclencheur des discussions. Je plaide coupable. Et je compte appuyer demain, si élu, toute initiative faisant la promotion de l’identité québécoise des non-francophones.

Ce que Dubuc omet toujours de dire, cependant, est ceci:

Montréal, ville francophone. C’est grâce à mon combat constant et parfois solitaire que pour la première fois de son histoire le Parti québécois a déclaré officiellement, en 2012, que le maintien sur l’île de Montréal d’une nette majorité de francophones est un objectif national légitime. Qu’en tant que ministre, j’ai développé une audacieuse politique de rétention des familles francophones sur l’île pour contribuer à l’atteinte de cet objectif. Que j’ai fortement influencé la politique d’immigration pour que, dorénavant, les nouveaux arrivants démontrent une connaissance intermédiaire ou élevé de français avant d’arriver au Québec.

Ces deux actions sont précisément les mesures structurantes identifiées par les démographes Marc Termotte et Marc Levine comme étant les seules susceptibles de renverser la tendance du déclin du français sur l’île et au Québec.

Pierre est en désaccord avec mon approche. Je ne le traiterai pas de traître ou de menteur pour autant. J’ai trop de respect pour lui, et suis trop attaché au nécessaire rassemblement des indépendantistes, pour lui rendre ainsi la monnaie de sa pièce.

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Précision de Pierre Dubuc

Je note que Jean-François évite de répondre à l’essentiel de ma critique, à l’origine des qualificatifs que j’ai employés à son endroit, et qui se trouve dans le paragraphe suivant :

Dans son livre Sortie de secours (Boréal), publiée en 2000, il suggère de « constitutionnaliser le principe de prédominance du français dans l’affichage, pour établir cette réalité une fois pour toutes dans une future constitution québécoise ».