Lisée en porte-à-faux avec les membres du PQ

2016/09/06 | Par Pierre Dubuc

Dans sa réplique à ma critique de ses positions sur la langue, Jean-François Lisée associe mon intervention au fait que je suis un partisan de Martine Ouellet. Mais, en fait, mes critiques de ses positions sur la question linguistique datent de bien avant la présente course à la chefferie.

Elles ont été formulées en long, en large et en détails dans un livre que j’ai fait paraître en 2011 intitulé Pour une gauche à gauche. Critique des propositions sociales et linguistiques de Jean-François Lisée. Jusqu’à présent, il a toujours refusé d’en débattre.

Aujourd’hui, sur la base d’une citation hors contexte et sans en donner la référence, il essaie de noyer le poisson en écrivant qu’il a « beaucoup de difficulté de débattre » avec moi parce qu’« au fond » je dirais la « même chose » que lui.

 C’est totalement faux. Voyons ce qu’il en est au niveau des principes et des applications pratiques.

 

Les principes

D’abord au niveau des principes. La Loi 101 de 1977 proclame le français, langue officielle et langue commune. Le préambule de loi spécifie l’orientation générale : « L’Assemblée nationale est résolue à faire du français la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires ».

Les différentes dispositions étaient rédigées dans cet esprit et l’usage de l’anglais est considéré comme une exception.

La Cour suprême du Canada a invalidé plusieurs de ces dispositions jugées contraires à la Charte des droits et libertés du Canada, adoptée lors du rapatriement de la constitution en 1982, constitution que le Québec, tous partis politiques confondus, ne reconnaît pas.

L’arrêt Ford de 1988 de la Cour suprême est un des plus importants. Il invalidait les dispositions de la Loi 101 sur l’unilinguisme dans l’affichage et imposait le bilinguisme tout en reconnaissant que législateur québécois pouvait imposer la « nette prédominance du français ».

Le Québec s’est soulevé d’un bloc contre cette décision de la Cour suprême et Robert Bourassa a été forcé d’invoquer la clause dérogatoire – la clause nonobstant – pour soustraire le Québec au jugement du tribunal. Cinq ans plus tard, le climat politique ayant changé, il n’a pas renouvelé le recours à la clause dérogatoire et a légalisé l’arrêt de la Cour avec l’adoption de la loi 86.

La décision de la Cour suprême ne concernait que l’affichage. Mais, subrepticement, le concept de « nette prédominance du français » s’est introduit dans les mentalités et plus particulièrement auprès de la haute direction du Parti Québécois au point où il chapeautait les résolutions sur la langue de la Proposition principale déposée par l’équipe de Pauline Marois en vue du congrès de 2011!

 

Les applications concrètes

L’affichage

Dans son livre Sortie de secours (Boréal), publiée en 2000, propose de « constitutionnaliser le principe de prédominance du français dans l’affichage, pour établir cette réalité une fois pour toutes dans une future constitution québécoise ». Dans son dernier livre Le journal de Lisée, il réaffirme son opposition au retour à l’unilinguisme dans l’affichage commercial.

Lisée se trouve en porte-à-faux avec les membres du Parti Québécois. Au dernier congrès, ils ont voté à l’unanimité dans l’atelier et par une forte majorité en plénière pour le retour de l’unilinguisme dans l’affichage, avant que Mme Marois demande une reconsidération du vote.

Rappelons que l’unilinguisme dans l’affichage était une des dispositions qui tenaient le plus à cœur à René Lévesque. Il déclarait : « À sa manière, chaque affiche bilingue dit à l’immigrant : ‘‘ Il y a deux langues ici, l’anglais et le français; on choisit celle qu’on veut’’. Elle dit à l’anglophone : ‘‘ Pas besoin d’apprendre le français, tout est traduit’’ ».

 

Les cégeps

À ce même congrès de 2011, les membres ont donné leur appui à la vigoureuse campagne menée par Pierre Curzi contre le « libre choix » de l’institution d’enseignement et pour l’extension des dispositions de la Loi 101 au cégep, dispositions qui auraient pour effet d’obliger les allophones et les francophones à fréquenter le cégep français.

La proposition est venue en réaction au fait que la moitié des étudiants dans les cégeps anglais du Québec étaient des allophones (24%) et de langue maternelle française (26%).

Curzi et son équipe ont démontré que cela conduisait à une plus grande fréquentation des universités anglophones et avait des impacts certains sur la langue de travail.

Une étude de l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) a même démontré que, par comparaison avec les comportements déclarés par les étudiants francophones et allophones des cégeps français, la fréquentation des cégeps anglais est associée à des comportements nettement anglicisés quant à la langue utilisée dans les commerces, au travail, dans la consommation des créations culturelles, avec les amis et à la maison. Autrement dit, le cégep anglais anglicise !

Lisée a combattu cette mesure en proposant plutôt la reconfiguration du réseau des cégeps en un réseau unique où les trois quarts de l’enseignement se donnerait en français et le quart en anglais. Autrement dit, un réseau unique avec une « nette prédominance du français ». Obliger l’ensemble des étudiants francophones à suivre un quart de leurs études en anglais, c’est déjà au total plus d’anglais que la situation actuelle avec la fréquentation des cégeps anglais par des francophones et des allophones!

Dans Le journal de Lisée, il continue à exprimer son désaccord avec la position adoptée par le congrès du Parti Québécois et invitait même le gouvernement Marois à passer outre!

Il écrit : « Je vois clairement que la majorité péquiste active a fait le lit pour l’extension sèche de la loi 101. Cependant, il y a une différence entre gouverner le PQ et gouverner le Québec ».

Pour lui, le choix est entre être « revanchards, anti-anglais, repliés sur les seuls courants péquistes ou en étant novateurs, à l’écoute, ouverts et attentifs à tous » et il remet sur la table sa proposition de « reconfiguration en français de tous les cégeps, assortie d’un enseignement partiellement anglophone et, en certains cas, hispanophone, pour les étudiants qui désirent s’en prévaloir », en l’amendant avec « un enseignement partiel en anglais pour ceux qui le désirent ».

 

Le discours du Centaur

Dans une entrevue au Journal de Montréal, Jacques Parizeau avait critiqué ainsi les déclarations de Lisée sur le bilinguisme à la STM : « Lisée a toujours été porté sur l’ouverture aux Anglais. C’est lui qui a rédigé le discours de Lucien Bouchard au Centaur. (…) Dans toutes les sociétés, il y a des apôtres de la bonne entente. Des bon-entistes ».

Dans sa réplique à mon texte, Jean-François Lisée se dit « fier » d’avoir rédigé le discours du Centaur, tout en disant que « les détracteurs de l’événement omettent toujours le contexte ».

« Au lendemain du référendum, le mouvement partitionniste, attisé par Jean Chrétien et Stéphane Dion, faisait des gains dans la communauté anglophone. Le geste d’ouverture et de franc dialogue du Centaur a provoqué un rapide déclin de ce mouvement, pour notre plus grand bien. C’est ce qui s’appelle se comporter en premier ministre de tous les Québécois. »

C’est son interprétation. Au Canada-anglais, une autre interprétation circule. Dans la biographie qu’il a consacrée à Jean Chrétien, le journaliste Lawrence Martin écrit que le Canada anglais craignait comme la peste que Lucien Bouchard, fort de son énorme popularité, déclenche une élection rapide en promettant la tenue d’un nouveau référendum. Au lendemain du référendum de 1995, l’appui à l’indépendance avait grimpé à plus de 60%. Selon Lawrence Martin, c’est la menace de la partition qui aurait fait reculer Bouchard.

Dans cette perspective, le discours du Centaur a été interprété comme l’annonce d’une capitulation. Bouchard y annonçait que sa priorité était l’assainissement des finances publiques. On connaît la suite. La tenue du Déficit Zéro, suite aux menaces de décote de Wall Street, et le démantèlement de la coalition Partenaires pour la souveraineté.