À propos du débat entre Pierre Dubuc et Jean-François Lisée

2016/09/06 | Par Frédéric Lacroix

M. Pierre Dubuc et M. Jean-François Lisée viennent d’échanger quelques billets doux concernant la question linguistique. M. Dubuc (« Lisée ment effrontément sur la question linguistique! ») reproche vigoureusement à M. Lisée de faire la promotion du bilinguisme en voulant constitutionnaliser le principe de « prédominance » du français, principe qui semble avoir été trouvé dans une boîte de Cracker Jack par la Cour Suprême du Canada.

M. Lisée, de son côté, s’en défend farouchement en faisant étalage de sa brillance rhétorique habituelle (« Course à la chefferie. Débattre, oui. S’insulter, non. »). Pour tout dire, la défense scintillante de M.Lisée m’éblouit et me laisse confus. Confus et honteux que mon rythme de joggeur du dimanche ne me permette pas de suivre un sprinteur de l’esprit comme M. Lisée.

Dans son texte, M. Lisée écrit qu’il incitera le gouvernement « à ajouter dorénavant à ces objectifs (de français langue officielle et langue commune) le concept-clé de prédominance du français ». »

La « prédominance », un « concept-clé »? Fort bien. Mais il me semble qu’un « concept-clé » devrait être reflété dans l’article 1 de la Charte de la langue française afin d’en assurer la cohérence et la lisibilité.

A l’heure actuelle, cet article 1 affirme tout simplement que le français est la langue officielle du Québec. La prédominance étant un mode de relation entre deux choses, ici le français et l’anglais, cela suppose l’existence de deux langues officielles s’il s’agit vraiment d’un « concept-clé ».

M. Lisée souhaite-t-il conséquemment changer l’article 1 par un article de cette mouture : « Le français et l’anglais sont les langues officielles du Québec, mais le français est prédominant »?

Selon mon dictionnaire, « prédominance » a pour synonymes « domination », « supérieur », et « suprématie », entres autres. On pourrait donc écrire « Le français et l’anglais sont les langues officielles du Québec, mais le français est dominant » ou bien « Le français et l’anglais sont les langues officielles du Québec, mais le français est suprême » ou encore « Le français et l’anglais sont les langues officielles du Québec, mais le français est supérieur ».

Est-ce que je comprends mal? Cela est fort probable car je n’ai pas le bonheur d’être juriste.

 Mais, au fond, tout cela n’est-il pas qu’une vaine querelle de vocabulaire, querelle que les intellectuels, au rang desquels on peut certainement compter M. Lisée et peut-être M. Dubuc, affectionnent particulièrement?

Pour tenter de démêler le tout, allons-y donc dans le concret. Rien de tel que du solide pour éclairer les esprits brumeux. Voici donc quelques points qui permettraient de mieux saisir la position de M. Lisée sur la question linguistique si celui-ci acceptait d’élaborer sa vision.

 

Éducation

M. Lisée est-il un fan de l’anglais intensif en sixième année du primaire qui est obligatoire pour tous les élèves dans les écoles françaises qui implantent le programme?

Notons que les écoles anglaises pour leur part, ne sont pas obligées d’implanter des programmes de français intensif obligatoire. Dans le système anglophone, les parents sont encore libres de choisir d’y inscrire leurs enfants ou non.

M. Lisée, les parents francophones devraient-ils être libres d’inscrire ou non leurs enfants à un programme d’anglais intensif au primaire?

M. Lisée suggérait dès 2009 une bilinguisation des Cégeps, c’est-à-dire que « que tous les Cégeps donnent à tous leurs étudiants les trois quarts des cours en français, un quart en anglais » (http://jflisee.org/cegeps-francais-la-peur-davoir-peur/).

Son souhait est devenu réalité. Du moins pour certains cégeps francophones qui ont commencé à offrir une partie de leurs cours en anglais. Nommons le Collège Mérici à Québec, un collège privé qui offre depuis 2015 trois programmes « bilingues », une partie des cours étant donnés en anglais.

Nommons le cégep de Sainte-Foy, un Cégep public cette fois, qui prépare sensiblement la même chose que Mérici pour 2017 (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201608/17/01-5011495-ruee-vers-le-cegep-en-anglais.php).

Pour les Cégeps anglophones, je n’ai eu vent d’aucun projet allant dans le sens d’une francisation de leur offre de cours. Il ne semble pas y avoir « d’appétit » de bilinguisme de ce côté. Sûrement un oubli. Notons en passant que le pourcentage de jeunes francophones bilingues dépasse maintenant le pourcentage de jeunes anglophones bilingues à Montréal. M. Lisée, est-ce un progrès?

Il semble que l’implantation d’une faculté de médecine familiale en Outaouais sera annoncée sous peu. Il semble aussi que la formation dans cette faculté chapeautée par le Centre universitaire de santé McGill se fera en anglais.

M. Lisée, croyez-vous qu’il soit absolument immoral d’obliger un établissement bilingue tel que le Centre universitaire de santé McGill d’enseigner une toute petite partie de ses cours en français à des médecins qui pratiqueront dans un milieu francophone?

 

Langue de travail

On sait que la presque totalité des anglophones, la majorité des allophones et que beaucoup de francophones travaillent en anglais sur l’île de Montréal et dans sa couronne.

Doit-on y voir le signe que quelque chose ne tourne pas rond ou au contraire, doit-on y voir, comme M. Couillard, le signe que l’anglais nous enrichit (je simplifie peut-être la position de M. Couillard. Ou non).

On sait que M. Lisée s’est prononcé pour le droit de travailler en français dans la fonction publique fédérale et je l’appuie pleinement, mais qu’en est-il du droit de travailler en français dans la fonction publique québécoise?

Il faut savoir que le gouvernement du Québec est le principal employeur d’unilingues anglophones au Québec. Ou du moins, qu’il offre un très grand nombre de postes où l’anglais est la langue de travail nettement « prédominante » voire « supérieure ».

Il y aurait environ 50 000 postes en excédent où l’anglais est la langue de travail dans le secteur public (éducation, santé, administration) considérant la taille de la minorité anglophone du Québec selon une étude de l’IREC datant de 2011 (http://www.irec.net/index.jsp?p=35&f=882). Moins de la moitié de ces postes sont occupés par des anglophones.

M. Lisée croit-il, comme plusieurs, que le gouvernement du Québec peut imposer l’anglais comme langue de travail et que tout est correct tant que les services à la population sont disponibles en français?

 

Démographie

Selon le recensement de 2011, le Québec comptait à ce moment environ 78% de francophones selon la langue maternelle, soit le plus faible pourcentage depuis le début de la Confédération, tandis le poids relatif de la communauté anglophone commençait à augmenter pour la première fois depuis des décennies et que les transferts linguistiques vers le français stagnaient. Le recensement de 2016 indiquera probablement une accélération de ces tendances.

Il semble bien que, dans les faits, l’anglais soit maintenant la langue « prédominante» dans la région métropolitaine de Montréal. M. Jean Chrétien disait que l’assimilation était « une réalité de la vie », voulant sans doute dire par là que l’on n’y pouvait rien et qu’il fallait se résigner. Est-ce vrai M. Lisée?

Si ce n’est pas vrai, que peut-on y faire? A ma connaissance, jamais aucun candidat péquiste récent n’a osé aborder l’avenir du Québec dans une perspective de « longue durée ». Que doit-on faire pour que le Québec français stabilise ses effectifs?