Énergie Est : faire tomber des masques

2016/09/07 | Par Jean-Yves Proulx

Dernièrement, Michel Trépanier président du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction et Stéphane Forget président-directeur général intérimaire de la Fédération des chambres de commerce du Québec affirmaient qu’« il serait maladroit de ne pas prendre en considération l’impact économique d’un tel projet »i.

Alors, allons-y.
 

Subventions qui faussent la donne

En 2015 le FMI évaluait à 5,3 milliards de dollars les subventions que touche l’industrie pétrolière dans le monde.ii. Au Canada en 2010, c’est 2,8 milliards $ que leur donnent les gouvernementsiii. En 2015, oniv estimait à 1,3 milliard de dollars ce que leur accorde à lui seul le palier fédéral. Ce Canada qui participe à la COP21 et qui prétend vouloir réduire ses émissions de GES…

« Le versement de ces subventions faramineuses aux combustibles fossiles faussent les marchés et affaiblissent les économies… » nous rappelle Nicholas Sternv, économiste à la London School of Economics. On en arrive ainsi à croire que le coût des énergies vertes est beaucoup trop élevé par rapport au prix du pétrole, repoussant ainsi l’inévitable transition.


Création d’emplois ?

Bien que sur son site webvi TransCanada parle pour le Québec de la création de 33 emplois directs par année, les porte-parole de la coalition patronale et syndicale Trépanier-Forget nous font miroiter « plus de 14 000 emplois directs et indirects créés sur une période de neuf ans, dont le quart serait au Québec »vii.

Détourner les montants accordés en subventions, des énergies fossiles vers les secteurs des énergies renouvelables, des transports en commun et de l’efficacité énergétique entraînerait la création de 17 000 à 20 000 emplois soutient Naomi Kleinviii. Ce qu’affirme aussi la FTQix.

Mieux encore, dans Le Québec économique V, sous la direction de Luc Godbout, l’économiste Serge Coulombe évalue que « dans les deux économies (Québec, Ontario), l’importance des exportations manufacturières dans le PIB a chuté de près de 30 % au cours de la période (2001 à 2008) »x conséquence directe de l’appréciation du dollar canadien due principalement à l’exportation pétrolière, ce qu’on appelle communément le mal hollandais. Le prix du pétrole étant maintenant à la baisse, non seulement l’Alberta est en déficit, mais le Québec et l’Ontario n’ont toujours pas réussi à reprendre le terrain perdu.


Retombées fiscales ?

Ces subventions versées aux énergies fossiles sont supérieures aux impôts que verse cette industrie estime l’Institut Pembinaxi. Des sommes quasi équivalentes au budget total d’Environnement Canada, ajoute le même institut.

Quant à lui, le FMI estime que ces « taxes appliquées à l’énergie ne sont pas suffisantes pour compenser tous les effets négatifs de la surconsommation d’énergie, notamment sur l’environnement ; autrement dit, les externalités sont laissées à l’État »xii… et les profits aux pétrolières.

Aucune surprise : en 2014, le magazine Canadian Business nous apprenait que TransCanada Corp, Canadian Natural Resources Ltd, Enbridge Inc et Suncor Energy In se retrouvent parmi les 10 entreprises qui paient le moins d’impôts au Canadaxiii.

D'ailleurs, dans Paying taxes 2016xiv, sur 189 pays, la Banque mondiale et PricewaterhouseCoopers, classent le Canada au 9e rang des pays qui taxent le moins la grande entreprise alors que les États-Unis se situent au 53e rang de ce même palmarès.


Un investissement à long terme

L’an dernier, Marc Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, autrefois gouverneur de la banque du Canada, servait aux Canadiens une sévère mise en gardexv : « Si les entreprises tenaient honnêtement compte du coût réel lié à un arrêt du réchauffement climatique, la vaste majorité des réserves mondiales de pétrole, de gaz et de charbon ne seraient jamais extraites du sol. Il faudrait renoncer à les extraire… Plusieurs des oléoducs que l’on prévoit construire pour transporter ce pétrole ne seraient plus nécessaires. Enfin, la valeur marchande des entreprises prêtes à exploiter ces réserves s’effondrerait. »

« Le nombre d’événements climatiques extrêmes a triplé ces quelques dernières décennies… et le coût des réclamations attribuables à ceux-ci a été multiplié par cinq pendant cette période »xvi nous rappelle M. Carney.

On estime la durée de vie d’Énergie Est à au moins 40 ansxvii.

Un rien peut tout faire basculer quand on met tous ses œufs dans le même panier. En avril 2016, suite à la baisse des prix du pétrole, le déficit de l’Alberta se chiffrait à 2500 $ par habitant, celui de Terre-Neuve à 3400 $ alors que celui du Québec se situait à… 306 $ par habitant.xviii


Une certaine « gouvernance »

S’il est « normal » que les chambres de commerce et certains syndicats fassent passer le bien de leurs membres avant le bien commun, qu’en est-il d’un État qui semble plus près des intérêts de la grande entreprise que de ceux de ses citoyens ?


Trois-Rivières

ivTout peut changer, Naomi Klein, Lux, 2015, page 151

viiiTout peut changer, Naomi Klein, Lux, 2015, page 151

xLe Québec économique V (2013-2014). Les grands enjeux des finances publiques, sous la direction de : Luc Godbout, Marcelin Joanis, PUL, 2014, page 190