La stratégie fédéraliste : gagner du temps

2016/09/09 | Par Pierre Dubuc

Au début des années 1970, le programme du Parti Québécois prévoyait que l’indépendance pourrait être déclarée avec l’accession au pouvoir, sans qu’il soit nécessaire de consulter la population par référendum.

Le Québec était entré dans la confédération sans référendum, il pouvait en sortir sans référendum. C’était la règle du parlementarisme britannique. Cette perspective plongeait Ottawa dans un tel état de panique qu’on mit tout en œuvre pour l’écarter.

Dans son livre « Mes Premiers Ministres », publié en 1991, Claude Morin explique la genèse de l’idée d’un référendum. « L’idée du référendum, écrit-il, me fut involontairement suggérée en 1969 par trois personnalités renommées de l’establishment politico-technocratique anglophone fédéral (…) : Gordon Robertson, secrétaire du cabinet fédéral et, à ce titre, premier fonctionnaire d’Ottawa, Robert Bryce, ancien sous-ministre fédéral des Finances et éminent mandarin d’Ottawa et Al Johnson, sous-ministre de la Santé nationale et du Bien-être social ».

« Ils me firent chacun, poursuit Morin, l’un après l’autre et même une fois les trois ensemble, des commentaires forts instructifs. Ces échanges se situent parmi les plus démystifiants de toute ma carrière. Je n’étais pas prêt de les oublier. (…) Voilà comment le référendum s’insinua dans nos conversations. (…) Bien que pratiquement jamais utilisée en régime parlementaire britannique, seule une consultation de ce genre serait susceptible, me dirent-ils, d’inciter Ottawa et les provinces à consentir à un nouveau partage des pouvoirs plus avantageux pour le Québec. Pourvu, cependant, que les Québécois s’y fussent montrés très majoritairement favorables et qu’on eût permis l’expression du point de vue fédéral. »

Le plus extraordinaire dans cette confession est l’aveu que l’idée du référendum vient de fonctionnaires fédéraux. Et, pas de n’importe quels fonctionnaires ! Gordon Robertson était en 1969 co-responsable avec Marc Lalonde des services de renseignements parallèles mis sur pied par le Cabinet Trudeau pour lutter contre le séparatisme !

Il est évident que, devant l’imminence inévitable d’une victoire péquiste et de la déclaration unilatérale d’indépendance que cela impliquait, les fédéralistes n’avaient qu’une stratégie : gagner du temps! C’était exactement l’implication de la stratégie référendaire, de l’étapisme.

À noter également que la question du référendum est d’abord discutée entre Morin et ses interlocuteurs fédéralistes en fonction – non pas de l’accession du Québec à l’indépendance – mais d’un nouveau partage des pouvoirs dans le cadre de la confédération canadienne.

Toujours dans son livre « Mes Premiers Ministres », Claude Morin écrit: «  Pourquoi s’obliger à un référendum pendant le premier mandat ? (…) Face au résultat de mai 1980, certains se sont par la suite demandés si, malgré les remous que cette décision aurait causés dans le Parti et à l’extérieur, il n’aurait pas été en définitive plus intelligent de reporter cette consultation à plus tard, par exemple à un second mandat du gouvernement, quitte à attendre à une époque où les sondages seraient devenus totalement rassurants ».

À défaut de pouvoir reporter ouvertement le référendum sur la souveraineté à un deuxième mandat, Claude Morin concocte un plan pour atteindre cet objectif indirectement. Il vend à René Lévesque l’idée d’un deuxième référendum. Le premier référendum porterait sur le mandat de négocier et le deuxième sur le résultat des négociations. La loi sur les consultations populaires ne permettant pas la tenue d’un deuxième référendum au cours d’un même mandat, le référendum sur l’accession à l’indépendance devrait nécessairement se tenir lors d’un deuxième mandat. Les fédéralistes auraient donc trois chances pour bloquer l’indépendance : le premier référendum, l’élection, le deuxième référendum.

Claude Morin, faut-il le rappeler, était un agent rémunéré des services secrets canadiens (1).

 

Le référendum de 1995

En 1994, Jacques Parizeau prend le pouvoir en promettant un référendum sur l’indépendance dans un premier mandat. Mais il est obligé d’accepter une entente avec Lucien Bouchard du Bloc Québécois et Mario Dumont de l’ADQ, négociée par Jean-François Lisée, qui prévoit un partenariat avec le Canada.

On a oublié les termes de cette entente de partenariat avec le Canada. Elle comprenait la mise en place « d’institutions politiques communes nécessaires à la gestion du nouveau Partenariat économique et politique ».

Ces institutions communes auraient eu la capacité d’agir dans les domaines suivants : union douanière, libre circulation des marchandises, des personnes, des services, des capitaux, politique monétaire, mobilité de la main-d’œuvre et citoyenneté. De plus l’entente prévoyait que « rien n’empêchera les deux États membres de s’entendre dans tout autre domaine d’intérêt commun ».

Les institutions communes proposées comprenaient un Conseil du Partenariat, un Secrétariat, une Assemblée parlementaire et un Tribunal. L’Assemblée parlementaire était particulièrement intrigante. Car, contrairement au Conseil du Partenariat « formé à parts égales de ministres des deux États », ce qui respecte le principe international de l’égalité des nations, peu importe leur poids démographique, il était stipulé que l’Assemblée parlementaire « reflétera la répartition de la population au sein du Partenariat. Le Québec détiendra 25% des sièges ».

Nous retrouvons ici le principe d’une assemblée législative au sein d’une fédération, au sein d’un même pays. On chercha à rassurer en disant que cette assemblée n’aura qu’un rôle consultatif. Mais si elle était pour n’être que consultative, pourquoi sa composition n’était-elle pas égalitaire?!

Le projet prévoyait différentes possibilités pour l’accession du Québec à la souveraineté au lendemain d’un référendum victorieux. Dans le cas où les négociations se dérouleraient positivement – une éventualité fort peu probable – la souveraineté serait proclamée après entente sur le traité de Partenariat.

On déclara que les négociations « ne dureront pas plus d’un an », mais en s’empressant d’ajouter « sauf si l’Assemblée nationale en décide autrement ».

Enfin, le projet prévoyait que, « dans la mesure où les négociations seraient infructueuses, l’Assemblée nationale pourra déclarer la souveraineté du Québec dans les meilleurs délais ». Cependant, Mario Dumont avait enlevé à M. Parizeau le pouvoir de décréter que les « négociations seraient infructueuses » en lui imposant le carcan d’un « comité d’orientation et de surveillance des négociations ».

Les indépendantistes pouvaient espérer que M. Parizeau aurait la possibilité de se dégager de la camisole de force qu’on lui imposait, mais il faut bien comprendre que le carcan était plus qu’un comité, plus qu’une simple structure. C’était l’expression d’un rapport de force qui s’était créé au sein du mouvement souverainiste, du Parti Québécois et du cabinet contre M. Parizeau au profit de Lucien Bouchard, qui s’était fait octroyer, dans l’entente négociée par Jean-François Lisée, le statut de négociateur-en-chef.

Quelle aurait été l’attitude de Lucien Bouchard dans l’éventualité d’un référendum gagnant?

Rappelons que, lors de la Commission Bélanger-Campeau, mise sur pied par Robert Bourassa au lendemain de l’échec de Meech, Lucien Bouchard et Gérald Larose s’étaient dissociés de Parizeau pour former le groupe des non-alignés, qui avait donné à Bourassa la marge de temps dont il avait besoin pour redonner « une nouvelle chance au Canada ».

L’attitude de Bouchard, au lendemain du référendum de 1995, est tout aussi éloquente. Plutôt que de déclencher une élection en promettant la tenue d’un nouveau référendum, alors que l’appui à l’indépendance dépassait les 60% – les Québécois réalisant que le référendum leur avait été volé – il convoqua, sous la pression de Wall Street, le Sommet du Déficit zéro qui eût pour conséquence le démantèlement de la coalition souverainiste des Partenaires pour la souveraineté.

Après sa démission, Bouchard continua à tirer les ficelles dans les coulisses. Il encouragea François Legault à créer son propre parti politique et, aujourd’hui, les médias nous apprennent qu’il est le mentor d’Alexandre Cloutier.

Dans la présente course à la chefferie, les fédéralistes et leurs médias moussent la candidature des candidats qui leur permettent de « gagner du temps » en promettant de reporter aux calendes grecques le rendez-vous référendaire. Aux indépendantistes de leur opposer leur candidate.

  1. Pour une analyse détaillée du rôle Claude Morin, cliquez ici.