Détournement de parti appréhendé au PQ

2016/09/21 | Par Gilbert Paquette

L’auteur est ex-ministre du Parti québécois et professeur à la Télé-université

Dans les rassemblements du Parti québécois, les militants imaginent, parlent et veulent agir pour l'indépendance. Dans les caucus de l'aile parlementaire et sur la place publique (dans les media) les députés se comportent comme une opposition loyale de sa majesté, un gouvernement provincial en attente. C'est un phénomène de double personnalité dont le Parti québécois n’arrive pas à se défaire.

La peur du référendum, cet argument fédéraliste débilitant, a contaminé les esprits d’une bonne partie des membres de la famille indépendantiste à un point tel qu’il faudrait, selon certains, sonner la retraite pendant quelques années. Et pourtant, aux mêmes causes, les mêmes effets ! En 2018, une autre campagne électorale comme celle de 2014 et les précédentes va conduire inévitablement aux même résultats : la division du vote entre les partis d’opposition, l’absentéisme électoral et la réélection d’un parti libéral, minoritaire dans la population, mais majoritaire à l’Assemblée nationale.

Il faut déconstruire ces arguments « démissionnaires » où on invite le Parti québécois sur tous les tons à s’amputer lui-même de sa mission première pour dix ans au profit d’une démarche provincialiste. En répétant à satiété ces arguments, trois des candidats à la direction du Parti Québécois et leurs partisans font le jeu des fédéralistes et hypothèquent l’avenir. Ils détournent le parti de sa raison d’être.

Voici ma critique de dix de ces soi-disant arguments.

Argument 1 La mise au rencart du référendum va permettre de sauver le Québec du démantèlement libéral. Cet objectif est prioritaire sur celui de l’indépendance.

Bien sûr, il faut se libérer des libéraux, mais aussi du Canada. Mais en évacuant proximité des 40% d’électeurs favorables à l’indépendance, tous partis confondus. Sans cela, même en évacuant sa raison d’être, le PQ ne pourra gagner la prochaine élection sans son option. l’indépendance du débat pré-électoral et électoral, les votes indépendantistes ou nationalistes se distribueront encore davantage entre les trois principaux partis d’opposition, favorisant ainsi la réélection des libéraux. Beaucoup plus d’indépendantistes qu’en 2014 voteront QS, CAQ ou ON ou carrément s’abstiendront de voter. Le seul antidote consiste plutôt à mobiliser le maximum d’électeurs par une démarche indépendantiste claire, visant à faire passer les 25% d’appui actuels au PQ, à

Argument 2  L’engagement de tenir un référendum dans le premier mandat est suicidaire pour le Parti Québécois ; si on s’entête, « nous serons le troisième parti au Québec en 2018. On se sera marginalisé.» (J.F. Lisée)

On retrouve ici presque mot pour mot une déclaration de Pierre-Marc Johnson en 1984 au Conseil des Ministres qui a mené à l’approche dite « d’affirmation nationale », cet autre détournement du parti, selon lequel l’indépendance résulterait par magie de l’essor du Québec dans le régime canadien. Si on veut parler de « suicide », parlons de celui vers lequel se dirigeait le PQ sans le retour de Jacques Parizeau en 1989. Les indépendantistes seront-ils réduits à faire l’indépendance sans le PQ ? C’est plutôt par la mise en veilleuse de l’indépendance que le PQ se viderait de ses meilleurs militants vers d’autres partis.

Argument 3  La peur du référendum chez les citoyens nous empêche de leur parler du contenu de la souveraineté. On a besoin de 6 ans pour faire disparaitre la peur du référendum d’ici à 2022 et on pourra y revenir à l’élection de 2022.

Comment peut-on penser qu’en mettant en veilleuse le référendum, on ne mettra pas en veilleuse également la promotion de l’indépendance ? À toutes fins pratiques, pendant six ans, le principal véhicule de l’indépendance ferait essentiellement ce qu’il a fait depuis le référendum de 1995, attendre les « conditions gagnantes ». Selon toute probabilité, dans 6 ans, l’idée du Québec pays sera encore plus marginalisée que maintenant, car les adversaires ne se priveront pas de parler de « cette option néfaste que cache le PQ ». Le PQ, détourné de sa mission, deviendra-t-il un boulet pour l’indépendance ?

Argument 4 Il faut mettre de côté l’approche référendaire dont la population ne veut plus. Le PQ ne doit plus être « référendiste ».

Nos adversaires fédéralistes ont voulu faire du référendum un épouvantail lors l’élection de 2014. Mais les évènements récents, en Europe particulièrement, démontrent l’importance des référendums pour dénouer démocratiquement les impasses politiques comme celle que vit le Québec. Jacques Parizeau avait l’habitude d’expliquer qu’il y a trois façons pour un peuple d’acquérir son indépendance : par les armes, ce que nous rejetons vigoureusement, par une élection ou par un référendum. Quiconque refuse toutes ces options ne peut prétendre être un indépendantiste sérieux. Pendant que le gouvernement du PQ que nous élirions en 2018 serait occupé à gouverner la province avec ses hauts et ses bas, il n’y aura pas un objectif proche, telle une échéance électorale ou référendaire, pour faire de l’indépendance une question d’actualité. En conséquence les idées souverainistes ne seront couvertes qu’à la marge dans les médias et écoutés distraitement par la population, comme cela est le cas depuis longtemps.

Argument 5  Pour préparer la souveraineté pendant 6 ans, on ne pourra pas utiliser les fonds publics, mais cela va se faire quand même par les citoyens et les militants.

Utiliser les fonds publics pour faire la promotion d’une option dont la discussion est reportée, possiblement dans 6 ou 10 ans conduit à en transférer la responsabilité sur la seule société civile, laquelle dispose de moyens très modestes actuellement. Pourquoi alors vouloir gagner une élection avec le PQ si c’est pour se retrouver dans la même situation que maintenant ? En utilisant à d’autres fins les fonds que l’État met à sa disposition, lesquels sont basés sur les votes des électeurs indépendantistes, le Parti québécois détournerait des moyens importants qui ne serviront plus à faire avancer leur option.

Argument 6 Le choix de la gouvernance provinciale va permettre au PQ de se concentrer sur un programme gagnant électoralement pour vaincre les libéraux en 2018.

Évacuer l’indépendance du débat électoral en 2018, c’est faire une autre élection sur un plan strictement provincial avec le champ limité de mesures à la portée d’une province. Au contraire, avec une position indépendantiste claire, chaque projet, comme la politique énergétique, pourrait avoir un volet « d’ici l’indépendance » et « après l’indépendance » : par exemple un combat défensif contre le Canada pétrolier d’ici à l’indépendance et un plan ambitieux de développement des énergies renouvelables et une lutte sans merci pour la protection du climat après l’indépendance.

Argument 7  Gagner une élection pour enclencher une démarche vers l’indépendance nécessite une convergence des partis indépendantistes qui prendra trop de temps. On ne peut faire cela en deux ans.

On sous-estime tout le travail réalisé par la société civile qui a réussi à rapprocher les indépendantistes, quel que soit leur parti, à travers des initiatives comme Cap sur l’indépendance, les États généraux sur la souveraineté, le Congrès de convergence et le Rassemblement destiNation. Cette indispensable convergence deviendrait impossible si le Parti québécois la torpillait en évacuant l’enjeu de l’indépendance. Il se condamnerait ainsi lui-même à subir, comme en 2012 et 2014, la division du vote indépendantiste qui l’empêchera de battre les libéraux. Il y a des déclarations récentes très claires des dirigeants de QS et d’ON quant à leur volonté d’élaborer une feuille de route commune avec le PQ sous l’égide des OUI Québec, mais en même temps des prises de position tout aussi claires que cela deviendrait impossible si le PQ d’adoptait pas une position claire pour la prochaine élection sur l’enjeu de l’indépendance.

Argument 8  Le Projet d’indépendance est trop mal défini, il faut d’abord le mettre à jour avant de pouvoir parler d’indépendance. On n’est pas prêt. On ne peut réaliser en 2 ans ce que Parizeau a mis 4 ans à préparer.

M. Parizeau partait de zéro, les études n’avaient pas été réalisées. On y a maintenant accès et à tout ce qui a été écrits depuis : livres, articles, prises de positions, études de l’IRÉC, de l’IRIS, de l’IRQ et bientôt de l’IRAI. C’est sûr qu’il faut actualiser certaines données, mais on ne part pas de zéro, on part avec plus de la moitié du chemin. Dans tous les cas de figure, il ne peut y avoir de « référendum demain matin ». Il reste deux ans pour une campagne sur les bénéfices de l’indépendance d’ici l’élection et ensuite, un mandat de 4 ans pour réaliser une démarche constituante de l’État québécois, voilà un plan tout à fait réaliste et réalisable.

Argument 9 : « La souveraineté, ce n'est pas une date sur un calendrier, c'est un projet de société Plutôt que de « la mécanique référendaire » il faut parler de la pertinence de la souveraineté.

Il est remarquable que les députés souverainistes qui disent cela n’en ont pas trop parlé ces dernières années et n’en parle pas très clairement alors qu’ils ont les micros devant eux dans cette course à la chefferie du Parti québécois. En fait, il faut faire les deux, parler de la pertinence et de la démarche. Car pour marquer des points quant à la pertinence de faire du Québec un pays, il faut des projets concrets crédibles qui ne le deviendront que s’il y aura un plan concret pour s’en donner les moyens, soit une échéance référendaire.

Argument 10 : Ce n’est pas le bon moment de parler de référendum ou de souveraineté alors que les québécois sont désabusés, cyniques à l’égard de la politique.

La meilleure façon pour le Parti québécois de contrer le désabusement et le cynisme à l’égard de la politique est de cesser de mettre de côté son option fondamentale pour gagner des votes à chaque élection. C’est la seule façon de faire de la politique autrement. Il faut que le Parti Québécois redevienne le parti du changement, d’une autre façon de faire de la politique, qu’il le fasse avec audace, avec conviction, parce qu’il croit que l’indépendance est le meilleur projet, le plus mobilisateur, le plus urgent pour notre avenir.

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Toutes ces prises de positions cachent mal la peur de perdre la prochaine élection alors qu’on doit craindre bien davantage le maintient de la dépendance actuelle du Québec pour possiblement un autre dix ans. En répétant à satiété ces positions, trois des candidats à la direction du Parti et leurs partisans font le jeu des fédéralistes. Même si ce n’est pas leur intention, ils hypothèquent l’avenir de leur parti, et plus important encore, l’avenir du Québec.

Le Parti Québécois aura cinquante ans en 2018 et l’option indépendantiste fait du surplace, auto-enfermée depuis le référendum de 1995 dans la gouvernance provincialiste. À l’exception de Martine Ouellet, les autres candidats à la chefferie de ce parti, et celles et ceux qui les appuient, veulent essentiellement poursuivre dans la même voie sans issue. Le plan vers l’indépendance que Martine Ouellet a présenté n’est ni « référendiste », ni suicidaire. C’est un plan clair, réaliste et déterminé pour réaliser l’indépendance en misant sur la souveraineté du peuple québécois et l’intelligence des gens. Faisons-nous confiance !