Proportionnelle fédérale: une réforme contraire aux intérêts du Québec?

2016/09/26 | Par Éric Poirier

L’auteur est avocat et doctorant en droit

Le gouvernement Trudeau peut vraisemblablement procéder à une réforme du mode de scrutin fédéral sans négocier avec les provinces. À l’intérieur d’un certain cadre (la Constitution protège notamment les « caractéristiques essentielles » de la Chambre des communes, comme le parlementarisme de type britannique et le principe du gouvernement responsable, qui ne peuvent être modifiées unilatéralement), le fédéral semble libre d’agir comme bon lui semble dans ce dossier. Pourtant, entre le statu quo et une réforme, des conséquences sont à prévoir sur le poids politique du Québec à Ottawa, même si le nombre de sièges de la province n’est pas en jeu ici. Les audiences du Comité spécial sur la réforme électorale, qui se tiennent cette semaine à Québec et à Joliette, sont l’occasion d’étudier les enjeux à partir d’une perspective québécoise.

 

Le statu quo

Le scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT) prévoit l’élection d’un candidat par circonscription, celui qui a recueilli le plus grand nombre de votes. Puisque ce dernier n’a pas à recueillir une majorité absolue des voix, il arrive souvent qu’il obtienne moins de votes que ses adversaires réunis. En conséquence, le parti porté au pouvoir, celui qui fait élire le plus grand nombre de candidats à travers le pays, peut former un gouvernement majoritaire avec moins d’appuis que les autres partis réunis, ou même (exceptionnellement) avec moins d’appuis que le seul parti appelé à former l’opposition officielle. En accentuant la victoire des gagnants et la défaite des perdants, le SMUT permet des distorsions entre le vote populaire et la répartition des sièges.

Les tribunaux admettent que la validité d’un mode de scrutin ne dépend pas de sa seule capacité à traduire mathématiquement un pourcentage de votes en un nombre de sièges. Dans l’objectif d’assurer à l’électorat un degré de représentation significatif, d’autres facteurs peuvent être pris en considération. Dans le cas d’une fédération bilingue comme le Canada, on peut vouloir assurer qu’une minorité nationale concentrée dans l’un des États fédérés puisse conserver le pouvoir d’influencer le fonctionnement des institutions fédérales.

 

Les « vagues »

Par le passé, en accentuant la victoire des gagnants, le SMUT a permis aux électeurs québécois de créer, à l’occasion, des « vagues » en faveur du parti politique appelé à former le gouvernement ou l’opposition officielle à Ottawa, et donc d’être fortement représentés dans l’un ou dans l’autre.

Par exemple, à l’élection fédérale de 2011, le Nouveau Parti démocratique obtient 43 % des votes au Québec et 79 % des sièges québécois, ce qui permet à la députation québécoise de représenter 57 % des députés de l’opposition officielle. À l’élection fédérale de 1993, le Bloc québécois remporte, avec 49 % du vote québécois, 72 % des sièges du Québec, ce qui lui permet d’obtenir le statut d’opposition officielle. Puis à l’élection fédérale de 1980, le Parti libéral du Canada remporte 68 % des votes au Québec et 99 % des sièges québécois, la députation québécoise comptant alors pour 50 % des députés du parti appelé à former le gouvernement.

Évidemment, avec le recul, et selon le regard qui y est porté, on peut considérer que ces résultats ont finalement joué contre l’intérêt national du Québec. Il reste que le SMUT a permis plus facilement au Québec, à l’occasion, de s’unir, de voter en bloc et d’accroître son poids politique dans le parti appelé à former le gouvernement ou l’opposition officielle. Or, à peu près toutes les propositions soumises au Comité spécial sur la réforme électorale pourraient limiter la capacité du Québec à jouer cette carte.

 

Une réforme

La représentation proportionnelle, dans une forme ou dans une autre, mixte ou pas, a pour objectif de faire concorder le vote populaire et la répartition des sièges, ou de réduire le plus possible les distorsions entre l’un et l’autre. Chaque parti doit alors recevoir un nombre de sièges davantage équivalent au pourcentage d’appui qu’il reçoit à l’échelle du pays. Ainsi, une réforme en ce sens avantagerait les petits partis qui présentent des candidats partout au Canada et dont le vote est dispersé à travers le pays, et, simultanément, désavantagerait les partis qui concentrent leurs appuis dans une région du Canada, comme le NPD de 2011, le Bloc québécois de 1993 et le PLC de 1980.

Si le SMUT « exacerbe », selon certains, le régionalisme, l’introduction d’éléments de représentation proportionnelle favoriserait la « cohésion du pays » et « l’unité canadienne », comme l’indiquent Stéphane Dion et Ed Broadbent. La domination d’un parti sur une région serait atténuée, et un nouveau Canada, plus idéologiquement homogène, où toutes les grandes tendances trouveraient des élus partout au pays, verrait le jour.

La conséquence d’une réforme pourrait être moins l’intérêt des Québécois que le triomphe d’une idéologie : la cohésion du Québec au palier fédéral, facilitée par le mode de scrutin en vigueur depuis la Confédération, serait sacrifiée au profit de la cohésion du Canada. À peu près toutes les propositions soumises au Comité spécial sur la réforme électorale rendraient plus difficile la possibilité pour les Québécois de s’unir lors des élections fédérales et d’être fortement représentés dans un parti appelé à former le gouvernement ou l’opposition officielle. Une réforme est-elle dans l’intérêt du Québec ?