Modernisation des cégeps : La fascine gestionnaire

2016/10/03 | Par Alain Dion

L’auteur est enseignant au cégep de Rimouski

Et c’est reparti ! La «modernisation» des cégeps maintenant. La ministre de l’enseignement supérieur, Hélène David, lance le débat en annonçant une consultation au sujet de la création simultanée du Conseil des collèges du Québec et de la Commission mixte de l’enseignement supérieur. Eh oui, deux nouvelles structures mes amis… Afin de «contrôler, évaluer, analyser, recommander à la ministre...» Ça vous dit quelque chose ? Les travailleurs en santé, et ceux de plusieurs ministères, doivent également connaître la chanson.

Pour la 4e ou 5e fois en 20 ans, on nous propose également de modifier le Règlement sur le régime des études collégiales (RRÉC) afin d’«adapter, harmoniser, faire progresser, permettre l’évolution du réseau collégial». Bla, bla, bla... Comme si l’enseignement n’avait pas évolué, que les programmes ne s’étaient pas adaptés aux nouvelles réalités. Quel mépris. On reprend donc l’opération. Les mêmes marottes. Le même discours sirupeux. Le même petit ton inoffensif.

Pourtant, quand on s’attarde au document de consultation, on peut très aisément y voir les mêmes menaces, les mêmes objectifs si souvent décriés, démontés, constamment rejetés depuis 20 ans. Non seulement par les syndicats enseignants, les professionnels ou les étudiants, mais également par des instances consultatives comme le Conseil supérieur de l’Éducation, divers intervenants du milieu de l’emploi et même certains chroniqueurs médiatiques avisés. Mais bon, on recommence. Peut-être qu’à l’usure ils finiront par nous avoir…

 

Contrôler : la maladie du gestionnaire

Au cours des 20 dernières années, le réseau collégial s’est vu imposé une myriade de mesures de contrôle. Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CÉEC), plan stratégique, politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages, politique départementale, plan cadre, plan de suivi, évaluation continue de programme, révision de programme, alouette ! Déjà passablement empêtré dans cette culture de la reddition de comptes, le réseau collégial devrait donc ajouter deux nouvelles structures de contrôle dans cette véritable tour de Babel gestionnaire.

Tentons l’exercice… Le Conseil des collèges pourra dorénavant évaluer la Commission mixte, qui évaluera les outils d’évaluation de la CÉEC, qui évalue les politiques institutionnelles d’évaluation des collèges, qui évaluent les politiques départementales, qui évaluent la qualité des enseignements, qui évaluent le travail enseignant, qui évalue l’étudiant… Vous vous retrouvez ? C’est à se demander si cette culture du contrôle n’est pas devenue plus importante que l’acte même d’enseigner. Une véritable maison de fous…

Et tout ça en pleine campagne d’austérité gouvernementale. Parlez-en à nos élèves en difficultés…

Harmoniser et favoriser la cohésion, vous dites ?

En plus de ces nouveaux étages gestionnaires greffés à l’édifice collégial, la ministre propose de revoir le RRÉC afin, entre autres, d’offrir plus de latitude aux collèges. La ministre souhaite permettre aux administrations des cégeps de déterminer des objectifs et standards locaux de la formation spécifique. Des standards locaux, collés à la réalité entrepreneuriale régionale, j’imagine ? On voit assez facilement la compétition sous-jacente qui risque d’éclater entre les collèges et les glissements possibles vers des formations spécifiques au service de l’entreprise. Imaginez le capharnaüm national. Et la prémisse de base est d’harmoniser et de favoriser la cohésion du réseau…

Cette consultation propose également «qu’un diplôme de la formation professionnelle soit admissible à un programme conduisant à une attestation d’études collégiales (AEC) sans que le délai de carence (2 sessions ou une année scolaire) ne s’applique à ce dernier, pourvu qu’il possède une formation jugée suffisante par le collège.»

Ouvrir le plus grand possible les portes de la formation continue ? Engager davantage de gestionnaires pour évaluer la formation jugée satisfaisante ? Fragiliser des programmes techniques qui peinent déjà à recruter ? Sacrifier la formation générale ?

Comment un cégep comme le nôtre pourrait-il choisir d’adhérer à de tels principes ? À moins, bien sûr de voir simplement la formation continue comme «la vache à lait» du collège en ces temps d’austérité et de sous-financement. Mais quel sera le prix à payer à long terme ?

 

Avant de totalement noyer le poisson

Si le passé devait être source d’enseignement, nous devrions aborder cette nouvelle consultation de la ministre avec la plus grande vigilance. Outre l’alourdissement constant de notre travail et la perte de sens de l’acte d’enseigner, ces nouvelles mesures risquent de fragiliser le réseau collégial, de désolidariser voire même marginaliser les institutions d’enseignement en région. Nous devons à tout prix freiner l’insatiabilité gestionnaire qui, depuis trop longtemps, s’est accaparer de l’espace académique.

Que de négativisme me direz-vous ? Peut-être. Mais je rappellerais simplement qu’au printemps dernier, la ministre David annonçait en grande pompe l’injection de «nouvelles ressources» afin de soutenir les élèves à besoins particuliers. Applaudissements, photos, poignées de mains, sourires…

Mais, ici, au collège de Rimouski, cet ajout de ressources se traduira possiblement par une diminution des services offerts à nos élèves en difficulté. Pourquoi ? Tout simplement parce que notre bon gestionnaire gouvernementale a en même temps appliqué de nouvelles règles amputant le budget du collège. L’argent reçu pour soutenir les élèves servira donc à amoindrir le déficit. Formidable, non ? Et c’est probablement comme ça dans la plupart des collèges en région. Alors, faire confiance au gouvernement et ses gestionnaires ? Non, merci.

Au Québec, nous avons longtemps utilisé la pêche à la fascine sur les rives du Saint-Laurent. Installation ingénieuse, peu violente pour les poissons et s’appuyant sur le rythme patient des marées, les fascines étaient constituées de branchages entrelacés sur des piquets qui forment une longue clôture circulaire dans l'eau. Les poissons s’en approchent, longent cette palissade à priori inoffensive et entrent à l'intérieur du cercle par une petite ouverture tout au bout. Une fois à l’intérieur, les poissons tournent en rond sans pouvoir retrouver la sortie…

Il serait peut-être le temps d’en sortir.