La taxe sur le carbone : un marché de dupes ?

2016/10/05 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

Lors de la dernière campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau ont promis de nouvelles cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES). Ils sont toutefois revenus sur leur parole, il y a quelques semaines, en annonçant qu’ils maintiendraient les cibles du gouvernement conservateur sortant qui, rappelons-le, niait l’existence des changements climatiques.

À la fin septembre, la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, suggérait que toutes les provinces pourraient être obligées de participer à une bourse du carbone ou de percevoir une taxe sur ledit carbone, et c’est Ottawa qui en fixera le prix.

Les discours environnementalistes des libéraux seront bientôt confrontés au périlleux test de la réalité. Où en est le Canada par rapport aux engagements pris à la COP21? Et le Québec dans tout ça?

Le Canada veut donc officiellement réduire ses émissions de GES de 30 % sous le niveau de 2005, et ce, d’ici 2030. Qu’est-ce que cela signifie?

Cela signifie « pas grand-chose ». À titre de comparaison, la France vise une réduction de 40 % d’ici 2030. L’Allemagne voit bien plus loin et estime pouvoir réduire ses émissions de 95 % d’ici 2050, tandis que la Suède aspire à devenir le premier pays sans énergies fossiles.

Mais surtout, depuis vingt ans, le reste du monde utilise 1990 comme année de référence, pas 2005. Seule l’administration Bush a choisi 2005, avant que le Canada renie Kyoto et lui emboîte le pas.

Évidemment, le Canada n’a pas cessé de polluer au cours de ces quinze années, bien au contraire. Si on analyse l’objectif mis de l’avant aujourd’hui par les libéraux à partir de la même base que les autres pays, soit 1990, le Canada a une cible réelle de réduction des GES de seulement 14 %.

Ce n’est pas innocemment que le Canada choisit de ne pas prendre comme référence 1990. Ces quinze années de congé que le Canada se donne dans la lutte aux changements climatiques représentent un passe-droit accordé à l’industrie des sables bitumineux.

Et c’est là que le Québec entre en ligne de compte.

On a envie de se réjouir lorsque les libéraux disent vouloir forcer les provinces à entrer dans le marché du carbone ou à percevoir une taxe sur le carbone. Mais le diable est dans les détails.

Lorsque le monde entier s’est entendu pour lutter contre les changements climatiques, d’abord à Kyoto et maintenant à Paris, la solution proposée était simple : il faut faire en sorte que polluer devienne coûteux et que protéger l’environnement devienne payant.

Le Québec a adhéré sans hésitation à cette logique. Nous avons accompagné nos industries pour qu’elles se verdissent. Nous avons créé une bourse du carbone ambitieuse, qui a fait du Québec un leader nord-américain dans la lutte aux changements climatiques.

Entre 1990, année de référence de la planète presque entière, et 2005, l’année à partir de laquelle le Canada veut bien concevoir un début d’effort, les émissions du Québec n’ont pas augmenté.

La Saskatchewan quant à elle a vu ses émissions grimper de 56 %. Concrètement, cela veut dire que cette province a augmenté ses émissions de moitié et qu’avec les cibles libéralo-conservatrices, on lui demande de les réduire du tiers seulement.

En fixant le seuil à 2005, Ottawa passe l’éponge sur le laxisme des grands pollueurs, mais aussi sur les efforts du Québec.

Pas besoin d’un postdoctorat pour réaliser que les alumineries québécoises, qui ont remplacé à coups de milliards leurs vieilles cuves polluantes pour diminuer leurs émissions de 27 %, ne les remplaceront pas une deuxième fois.

Pas besoin d’une calculatrice non plus pour constater que ce serait risible d’exiger de nos papetières, qui ont déjà réduit leurs émissions de 68 %, qu’elles travaillent à une nouvelle diminution de 30 %. Dans le contexte actuel, la seule chose qu’elles peuvent faire pour réduire leurs émissions, c’est fermer leurs usines.

Aujourd’hui, il en coûte toujours moins de polluer que d’agir en citoyen responsable, et rien n’est proposé pour que ça change.

Les cibles conservatrices ? Le Canada ne passera même pas près de les atteindre. Il est actuellement en voie de les dépasser de plus de moitié. Les mois filent et rien ne bouge.

Par ailleurs, soulignons que ces cibles ne tiennent pas compte des projets d’oléoducs que l’industrie des sables bitumineux compte construire pour acheminer son pétrole vers les océans. Énergie Est, Northern Gateway, Trans Mountain. Avec ça, oubliez les accords de Paris.

Mentionnons au passage qu’au Canada, des voix suggèrent que l’imposition d’une taxe carbone, à laquelle s’oppose fermement la Saskatchewan, pourrait faire partie d’un pacte entre Ottawa et les provinces productrices de pétrole : acceptez la taxe, on vous donne un pipeline.

Autrement dit, on obligerait, avec l’aide d’une taxe, l’ensemble des Canadiens – et les Québécois – à réduire drastiquement leur consommation de pétrole pour que le Canada puisse atteindre ses objectifs, tout en permettant l’augmentation de l’extraction des sables bitumineux. Un marché de dupes!

Les changements de gouvernements ne changent pas la réalité. Le Canada est un État pétrolier, pas le Québec, et nos différends en matière d’environnement sont irréconciliables.