Le Canada, l’Accord de Paris et l’AÉCG : il faudrait applaudir ?

2016/10/12 | Par Catherine Caron

L’auteure est rédactrice en chef adjointe de la revue Relations

Voilà qu’il nous faut applaudir : le Canada a ratifié l’Accord de Paris le 5 octobre dernier. Et le 27 octobre prochain, lors d’un sommet Canada-Union européenne (UE) prévu à Bruxelles, on attendra aussi de nous qu’on applaudisse à la signature de l’Accord économique et commercial global (AÉCG ou CETA en anglais) entre le Canada et l’UE, sans voir là la moindre contradiction. Eh bien non, nous n’applaudirons pas.

Car il est plus que temps que nos gouvernements accordent les violons du commerce avec ceux du climat. On ne peut pas, d’un côté, prétendre lutter contre le réchauffement climatique et, de l’autre, conclure une entente comme l’AÉCG. Dans une lettre intitulée « Si le CETA passe, l’Accord de Paris sur le climat trépasse » (Libération, 20 septembre 2016), des représentants de divers mouvements altermondialistes et écologistes le rappellent : « Ratifier le traité commercial entre l’Europe et le Canada reviendrait à clamer haut et fort que la COP21 n’a rien changé et que la transition énergétique n’est pas pour demain. » La même semaine, Greenpeace Pays-Bas ajoutait un chapitre à la saga du dévoilement des TISA Leaks, en rendant publics de nouveaux documents liés à l’Accord sur le commerce des services (ACS ou TISA en anglais).

De fait, l’AÉCG comme l’ACS contiennent le même cocktail corrosif pour l’environnement, entre autres. Tous les carburants – les nocifs comme les plus verts – y sont considérés comme étant égaux ! Voilà le principe de non-discrimination cher aux technocrates du commerce poussé à son extrême au point d’en devenir climaticide. Accepter cela, sans qu’aucune disposition ne permette de limiter l’exploitation ou l’importation d’énergies fossiles, c’est agir en faveur du pétrole ultra-polluant tiré des sables bitumineux, et en faveur du gaz et du pétrole de schiste, pas en fonction des objectifs de l’Accord de Paris.

L’AÉCG comme l’ACS et les autres ententes du même acabit limiteront le pouvoir de réglementer des États (interdire la fracturation hydraulique, favoriser des fournisseurs publics ou locaux d’énergies renouvelables, etc.). Ils empêcheront que des services privatisés (dans le domaine de l’énergie, de l’eau, etc.) puissent être renationalisés.

Avec ces ententes, nos gouvernements continuent aussi de se ligoter les mains de façon à ce que la moindre de leur politique puisse être contestée par des multinationales s’estimant lésées dans leur capacité de faire du profit, une situation contre laquelle s’élèvent de nombreuses voix ici comme ailleurs, incluant celles d’élus.

Dans ce contexte, les partisans de l’AÉCG – les Pierre-Marc Johnson, Jean Charest, Philippe Couillard, Manuel Valls, etc. – se feront entendre dans les prochains jours à la Chambre de commerce et au Conseil des relations internationales de Montréal, notamment. Ils tenteront de faire croire que ses principaux irritants – soulevés depuis des années des deux côtés de l’Atlantique – ont été neutralisés. Une déclaration rassurante est même prévue, que la section européenne de Greenpeace, qui en a obtenu le projet final, n’a pas tardé à critiquer vertement. Cette déclaration contient, en effet, la même propagande riche en demi-vérités que celle qu’on entend depuis des années. Surtout, elle ne modifie pas légalement les dispositions de l’accord ; l’avocat spécialisé en droit commercial Steven Schrybman est catégorique à cet égard. Et ces dispositions, scrutées entre autres par une douzaine d’experts canadiens et européens dans le rapport Making sense of CETA. 2nd edition (2016), n’ont rien de rassurant.

Que le gouvernement canadien n’ait toujours pas tenu le vaste débat démocratique transparent et rigoureux sur l’AÉCG qui est exigé depuis des années avant de le signer est un scandale qui doit nous faire prendre ses prétentions écologiques pour ce qu’elles sont pour le moment : un écran de fumée.