Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, bête noire des profiteurs de tout acabit

2016/10/12 | Par Michel St-Laurent

Chaque jour, chaque semaine, des rapports d'enquêtes, des études, des reportages nous révèlent l'étendue des magouilles de la part des grandes multinationales, partout sur la planète, avec l'appui tacite de plusieurs gouvernements complaisants, afin de pratiquer l'esquive fiscale, de maintes façons. S'organiser pour payer le moins d'impôts possible semble être devenu l'activité première de tant d'entreprises, qui privent ainsi les États de revenus importants afin d'assumer les charges sociales dont ils ont la responsabilité. Au diable la nécessaire contribution au bien commun, au partage de la richesse, au rétrécissement des inégalités... Seuls comptent le rendement aux actionnaires et les profits engrangés! De plus, les nombreux accords de libre-échange négociés, le plus souvent, derrière des portes closes, sans que la population n'ait son mot à dire, profitent, avant tout, aux puissants, qui s'en mettent plein les poches.


La fin de la récréation

Or, au fur et à mesure que la société dite « civile », c'est à dire vous et moi, prend connaissance de cet état de fait, une certaine riposte s'organise. Parmi les « lanceurs d'alerte » ou éveilleurs de conscience, il y a une certaine Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, en passe de devenir la véritable bête noire des profiteurs de tout acabit. Cette Danoise, fille d'un couple de parents luthériens, a d'abord fait de la politique dans son pays, le Danemark. Elle dirige une petite formation,le Radikale Venstre Party, Parti radical de gauche. Féministe, elle a été ministre de l'Éducation et ministre des Finances, dans son pays. Cette mère de famille aurait inspiré le personnage principal de la série télé à succès Borgen.

Dorénavant commissaire à la Concurrence auprès de l'Union européenne (UE), on dit d'elle qu'elle est devenue l'une des femmes les plus puissantes de la planète. Les entreprises qui contournent le fisc ou qui abusent de leur position dominante la craignent, et pour cause. C'est elle qui, récemment, a sommé le géant Apple, multinationale américaine, de rembourser 13 milliards d'euros, l'équivalent de près de 19 milliards de dollars canadiens, au trésor public irlandais pour avoir profité d'avantages fiscaux indus, entre 2003 et 2014, une amende record. Mais ce n'était pas là son premier fait d'armes. Déjà, en 2015, elle avait épinglé les entreprises Starbucks, Fiat, Gazprom, Amazon, General Electric et Alstom, pour des délits d'arrangement fiscal abusif ou pour abus de position dominante sur les marchés.

Il va sans dire qu'elle ne s'est pas fait d'amis auprès de ses puissantes entreprises, chefs de file de la mondialisation tous azimuts. Les Américains, en particulier, l'ont prise en grippe. Même le président sortant Barack Obama, qui n'a guère réussi à mettre au pas Wall Street et ses suppôts, s'est joint au concert de protestations envers cette femme. Imperturbable, cette nouvelle « dame de fer », au service des petites gens, à l'encontre de l'autre « dame de fer », Margaret Thatcher, de triste mémoire, poursuit sa traque des ripoux cravatés qui saignent les États de revenus nécessaires afin de renforcer notre système de sécurité sociale. Ces derniers jours, elle s'est aussi attaqué à la compagnie Engie appartenant, en partie, à l'État français, pour une autre affaire d'aide d'État illégale. C'est encore et toujours la mentalité du « au plus fort la poche », mais enfin, les masques tombent... Il était temps. Les odeurs nauséabondes s'accumulent!

 

Des accords... biaisés

Puis, il y a cette autre affaire des accords commerciaux, qui pullulent, dossier tout aussi dommageable pour la majorité des habitants de la planète. Dernièrement, s'appuyant sur une étude publiée par les chercheurs de l'Institut sur le développement mondial et l'environnement de l'Université américaine Tufts, près de Boston, le Conseil des Canadiens a dénoncé l'Accord économique et commercial global (AECG), accord de libre-échange que le Canada s'apprête à signer avec l'Union européenne. Selon ce centre de réflexion canadien, cet accord apportera moins de croissance, des pertes d'emplois, des salaires plus bas et moins de rentrées fiscales, pour les Canadiens. Se basant sur un modèle de politique mondiale des Nations unies, les auteurs de cette étude estiment que cet accord va entraîner la perte de 230 000 emplois, d'ici 2023, dont 200 000 dans les pays de l'Union européenne et 80 000 dans le reste du monde. Une bagatelle!

Par ailleurs, plusieurs manifestations dont celles, récentes, à Bruxelles et dans sept villes allemandes, ayant rassemblé des centaines de milliers de gens, dénoncent ces grands traités. Selon ces manifestants, ceux-ci profiteraient surtout aux actionnaires des multinationales, encore ceux-là, et aux puissances financières, au détriment des agriculteurs, des consommateurs, des travailleurs, des retraités, des femmes, des jeunes, des PME et des classes moyennes. Ça commence à faire beaucoup de monde qui en a ras-le-bol de toutes ces magouilles!


Maîtres chez nous...

Enfin, le Québécois, Alain Deneault, chercheur au Réseau pour la justice fiscale et membre du groupe Échec aux paradis fiscaux, et auteur du livre L'Escroquerie légalisée, publié aux Éditions Écosociété, n'a de cesse de dénoncer les paradis fiscaux, l'une des principales causes de l'appauvrissement des États. Fustigeant les mesures d'austérité des gouvernements, dont celui du Québec, bien plus enclins à couper dans les services à la population que de s'attaquer aux paradis fiscaux, il dénonce les décisions du gouvernement du Québec en cette matière. Surtout, à l'encontre de plusieurs, il réfute cet argument défaitiste, lâche, de tous ceux qui pensent que, comme ces affaires se passent à l'échelle de toute la planète, un seul État, comme le Québec, ne peut rien faire qui vaille. Il affirme que notre (sic) gouvernement, face à des politiques fiscales internationales du gouvernement fédéral, à Ottawa, n'a pas à se soumettre aux diktats du grand frère. Il estime que le Québec, s'il le veut, a toute la latitude pour agir, de façon différente, quant aux politiques fiscales sur son territoire. Il rappelle aussi que le Québec est déjà maître chez lui, en matière fiscale. Ne sommes-nous pas les seuls, au Canada, à signer deux déclarations de revenus? Le Québec n'a-t-il pas la capacité de percevoir, seul et directement, les impôts qui ont trait à ses champs de compétence? Ainsi, il ne s'agirait pas d'un manque de moyens, mais, bien plus, d'un manque de volonté... politique. Voilà ainsi envolé l'argument... spécieux, que nous ne pouvons pas agir, ici, afin de retrouver un meilleur partage de la richesse. À bon entendeur!