Le travail à l’ère de l’économie du « partage »

2016/10/20 | Par Roch Lafrance

(NDLR) Ce dossier est publié dans l’édition automne 2016 du Journal de l’UTTAM, l’Union des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de Montréal.

Il y a à peine dix ans, personne ne parlait de l’économie du partage ou d’économie collaborative. Les grandes entreprises qui s'en réclament, telles Uber dans le domaine du taxi (valeur de plus de 50 milliard de $US) et Airbnb dans le domaine de l’hébergement (valeur de plus de 25 milliard de $US) n’existaient même pas à ce moment. Aujourd’hui, en 2016, on compterait plus de 10 000 entreprises dans le monde qui font partie de cette économie dite du partage. Aux États-Unis, plusieurs entreprises de ce type, qui sont nées il y a deux ou trois ans à peine, ont déjà un chiffre d’affaire qui dépasse plusieurs milliards de dollars.

Dissimulées derrière un discours faisant la promotion de valeurs d’entraide et de partage se cachent des entreprises qui n’hésitent pas à contourner les lois et à exploiter des travailleuses et des travailleurs afin de faire des profits mirobolants. Le Québec a été jusqu’ici relativement épargné par ce type de pratiques, mais ce n’est qu’une question de temps puisque plusieurs entreprises américaines visent déjà le marché canadien (qui ressemble au marché américain) avant d’entreprendre une expansion mondiale. Si nos gouvernements poursuivent leur politique du « laisser faire », le monde du travail risque d’être radicalement transformé d’ici dix ans.

Dans les pages qui suivent, nous allons explorer un peu plus cette économie dite du partage dans le domaine des services parce que c’est principalement dans ce secteur que les enjeux concernant les conditions de travail se posent. Nous illustrerons le phénomène avec des exemples au Québec, mais également avec certaines expériences américaines parce que c’est là que se développent actuellement les principales plateformes technologiques.

L’économie du « partage »

Avant d’aller plus avant, examinons ce qu’est l’économie dite du partage ou économie dite collaborative. L’expression « économie du partage » est généralement utilisée pour décrire un modèle économique où des personnes « partagent » un surplus de biens, de services, d'aliments, d'espace ou de temps avec l’aide d’outils technologiques. Ce « partage » est rarement gratuit (mais il peut l’être); il se fait en général contre rétribution, soit par un échange de biens ou de services (troc) ou, dans la grande majorité des cas, par le paiement d’une somme d’argent. Par exemple, grâce à l’installation d’une application dans un téléphone mobile ou un ordinateur, un consommateur de service est mis en contact avec un fournisseur de ce service.

À titre d'illustration, si j’ai un problème avec la tuyauterie de mon évier, je peux appeler une entreprise de plomberie qui m’enverra un plombier, avec des cartes de compétence, au coût de 85 $ de l’heure, plus les taxes, ou encore je peux utiliser l’application Askfortask (disponible au Québec) sur mon téléphone mobile qui m’enverra quelqu’un censé connaître la plomberie (rien ne me garantit qu’il soit plombier) à un taux forfaitaire sans taxe. Askfortask ne garantit pas les travaux parce qu’elle n’est pas partie au contrat que j’ai conclu avec mon plombier possiblement amateur; elle n’a que facilité le partage des compétences et des disponibilités de notre homme à tout faire par sa plateforme technologique.

Cette notion du « partage » a de quoi laisser songeur. Offrir son aide pour déménager un ami en échange d’une bière et d’une pointe de pizza à la fin de la journée est fort différent que de charger 50 $ de l’heure pour offrir un coup de main « amical ». Or, presque toutes ces nouvelles plateformes technologiques appartiennent à des entreprises privées à but lucratif et existent avant tout pour vendre ou louer des produits ou des services, tout en prélevant des frais pouvant aller de 10 à 35% du montant de la transaction.

Les plateformes de l’économie du « partage » au Québec

Le Québec a peu été touché par le phénomène de l’économie du « partage » jusqu’ici. Une recension récente faite par OuiShare (une organisation faisant la promotion de ce type d’économie) établit à 189 le nombre d’initiatives de ce type au Québec. Toutefois, une grande partie d'entre elles sont plutôt, dans les faits, des organismes communautaires qui existent depuis de très nombreuses années, tels des cuisines collectives, des popotes roulantes, des groupes citoyens qui partagent des intérêts. D’autres sont des entreprises de location de vélos ou de voitures en libre-service (Bixi, Communauto, Car2Go, etc.) ou de partage de locaux. Il n’existerait que moins d’une dizaine de plateformes technologiques qui se réclament de l’économie du « partage » au Québec.

La plus connue est évidemment celle de l’entreprise américaine Uber. C’est la plus grosse entreprise du secteur de l’économie du « partage » au monde et, vu son succès fulgurant, son modèle d’affaire inspire presque toutes les plateformes qui se mettent sur pied présentement.

Uber prétend qu’elle n’opère pas une entreprise de taxi, mais plutôt une simple plateforme technologique qui permet de mettre en relation des clients et des chauffeurs indépendants de véhicule particulier pour faire du covoiturage. C’est la raison pour laquelle elle refusait de percevoir les taxes et de verser quelque cotisation gouvernementale que ce soit. À noter qu'Uber conserve 25% du tarif payé pour l’utilisation de son application et que ses profits sont acheminés aux Pays-Bas afin d’éviter le plus possible de payer des impôts au Québec. Une enquête faite par un journaliste du Journal de Montréal en février dernier révélait que le revenu d’un chauffeur chez Uber s’établissait entre 6 et 7 $ de l’heure, une fois déduites les dépenses reliées à l’utilisation du véhicule (essence, coûts d’entretien, dépréciation du véhicule, etc.). Dans l’économie du « partage », il semble que le partage ne se fait pas toujours équitablement…

Depuis les deux dernières années, on voit d’autres plateformes de services se mettre en place chez-nous, principalement dans les domaines de l’alimentation et des services d’entretien de résidences.

Du côté des services d’entretien de résidences offerts au Québec, il y a les plateformes de WeDo et de Askfortask (l’application Handy, actuellement disponible en Ontario, devrait aussi être disponible au Québec très bientôt).

WeDo offre des services d’entretien extérieur de résidences (gazon, déneigement, lavage de vitres, nettoyage de piscine, etc.) alors que les plateformes comme Askfortask ou Handy offrent les mêmes services que WeDo, mais également tous les services imaginables en matière d’entretien ou de réparation à l’intérieur des résidences (électricité, plomberie, entretien ménager, peinture, bricolage, assemblage de meubles, etc.). Notons que WeDo garde 20% du coût des contrats octroyés (ce taux n’est pas public pour les autres plateformes, mais doit être sensiblement le même).

Les trois plateformes technologiques fonctionnent selon le même modèle : l’entreprise n’agirait qu’à titre de facilitateur entre un consommateur de services et un « entrepreneur indépendant ». Cet « entrepreneur » n’est donc pas considéré comme un salarié de l’entreprise et elle ne verse en conséquence aucune redevance, cotisation ou impôt aux gouvernements pour les « honoraires » payés.

Ces plateformes se caractérisent par la simplicité d’utilisation et la rapidité de service. À titre d’exemple, cela m’a pris moins de deux minutes avec l’application de Handy à Toronto pour obtenir une soumission d’entretien ménager hebdomadaire, pour un logement de deux chambres à coucher, qui aurait pu débuter deux jours plus tard. Dans la page de paiement, aucune TPS ou taxe de vente provinciale n'était ajoutée au prix.

Dans le domaine alimentaire, le Journal de Montréal annonçait l’arrivée au Québec de l’application Cooked4U en août 2015 par le titre Vendez vos restes de table en ligne. Qu’en est-il vraiment?

Il y a au moins deux plateformes qui sont actives au Québec dans ce domaine présentement, soit Cooked4U et Cuisine voisine. Leur fonctionnement est semblable. Toute personne qui cuisine chez-elle et qui veut « partager ses surplus » avec des « voisins » peut offrir ses portions « excédentaires » en s’inscrivant. Toute autre personne qui n’a pas toujours le temps de cuisiner à la maison peut aussi s’inscrire pour acheter ces plats « excédentaires » de ses « voisins ». Ces entreprises visent à mettre en lien ces personnes, moyennant certains frais : Cooked4U conserve 15% du montant de la vente et Cuisine voisine 16%. Aucune taxe n’est prélevée par les deux plateformes et nous n’avons pas vu de cuistot amateur qui annonçait le prélèvement de taxes.

L’application de Cuisine voisine nous indique le nombre de portions disponibles pour chaque plat et les dates de leur disponibilité. Cela nous permet de constater que certains cuisiniers amateurs se mettent à leurs marmites de longues heures à chaque fin de semaine et peuvent vendre jusqu’à une dizaine de portions pour une vingtaine de plats différents le dimanche, soit l'équivalent d'un buffet pour 200 personnes. On est assez loin de simples restants de table… D’autres semblent se mettre devant leur four à chaque matin de la semaine. C’est le cas de Christophe, qui demeure près de l’uttam, qui vend à tous les jours cinq portions des trois mêmes plats. Ce même Christophe offre aussi 25 plats différents sur la plateforme concurrente (Cooked4U); on ne peut toutefois savoir à quelle fréquence et à quelle quantité il les offre.

On peut ainsi constater qu’on est souvent très loin des surplus de table et que cela s’apparente plutôt au métier de traiteur. Les plats principaux se vendent généralement entre 12 et 17 $ par portion. Il faut enfin savoir que ces personnes, contrairement aux traiteurs ou aux restaurants, ne sont pas soumises aux règles de salubrité obligatoires dans le domaine de l’alimentation, n’ont pas besoin de permis et ne prélèvent pas les taxes de vente.

Les impacts prévisibles d’une telle organisation du travail

L’écrasante majorité des plateformes technologiques qui se réclament de l’économie du « partage » ne reconnaissent pas leurs fournisseurs de services comme des travailleuses et des travailleurs, mais plutôt comme des entrepreneurs indépendants. Ainsi, ces entreprises ne versent aucune des contributions gouvernementales normalement payables lorsqu’il y a un travail salarié. Elles ne perçoivent également pas les retenus à la source des impôts sur le revenu, ni les taxes sur la vente de produits et de services.

Ces pratiques auront inévitablement de nombreux impacts.

D’abord sur les travailleuses et les travailleurs. Ils seront de plus en plus nombreux à se retrouver dans une situation de fractionnement du travail (heures coupées, multiples employeurs, multiples tâches de nature différente), de précarité d’emploi et ce sans aucune protection sociale et du travail : pas d’assurance chômage, pas de cotisation au régime de rentes, pas de protection en cas d’accident ou de maladie du travail, pas de protection en matière de normes du travail et évidemment pas d’avantages sociaux. Ainsi, les travailleuses et travailleurs pourront eux-mêmes « choisir » d’accepter un contrat qui les paiera finalement six ou huit dollars de l’heure, car il n’y a pas de salaire minimum pour les entrepreneurs, et pourront également « choisir » de faire de nombreuses heures supplémentaires payées à temps simple.

C’est le retour par la grande porte du travail payé à la pièce, tel qu’il existait au XIXe siècle : les travailleuses et travailleurs ne sont plus payés à l’heure ou à la semaine, mais plutôt à la job.

De plus, plusieurs de ces travailleuses et travailleurs se retrouvent les deux mains attachées lorsqu’ils font affaire avec certaines de ces plateformes parce qu’ils doivent souvent signer des clauses de non-concurrence. Par exemple, la plateforme française MyCut (services de coiffure à domicile) exige la signature d’une clause de non-concurrence de deux ans après avoir fourni un service à un client de MyCut, sous peine d’un montant de 500 euros (736 $) par infraction. Ainsi, la coiffeuse ou le coiffeur ne peut coiffer aucun de ses clients réguliers sans passer par la plateforme MyCut. Une fois la main dans l’engrenage, il devient presqu’impossible de s’en libérer. Pourtant, ces plateformes prétendent n’être qu’un « service de mise en relation » afin de faciliter un contact entre un client et un « auto-entrepreneur ».

Ce type de plateformes risque également de faire baisser considérablement les conditions de travail de l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. Pourquoi un employeur accepterait-il de payer ses salariés 20 $ de l’heure et de leur accorder des avantages sociaux alors qu’il peut facilement embaucher des « entrepreneurs indépendants » dociles (parce que facilement remplaçables) à un salaire équivalent ou moindre, mais sans avoir à payer quelque forme de cotisation gouvernementale ou d’avantage social. Compétitivité oblige : une fois qu’une entreprise dans un secteur d’activité utilisera un tel système d’embauche, les entreprises concurrentes, même syndiquées, risquent de tout faire pour revoir à la baisse les conditions de travail si elles ne veulent pas disparaître.

D’ailleurs, le développement du mouvement syndical pourra certainement lui aussi d’être affecté par le phénomène. Comment regrouper des travailleuses et des travailleurs dans un secteur d’activité qui ne se connaissent pas et ne se rencontrent jamais? Comment syndiquer des travailleuses et travailleurs dans une usine lorsque la majorité d’entre eux ont un statut « d’entrepreneur indépendant » et qu’ils vont et viennent d’une usine à l’autre?

Ces pratiques commerciales vont également avoir des effets importants sur les revenus des États et sur les programmes de sécurité sociale ou du travail. Ces plateformes électroniques facilitent grandement (pour ne pas dire encouragent) le travail au noir et l’évitement fiscal. On pourrait même dire qu’elles sont en train de structurer l’économie souterraine de la « débrouille » : ces entreprises ne veulent pas percevoir les cotisations obligatoires, les taxes et les impôts et elles refusent également de dévoiler aux gouvernements les noms des clients et des fournisseurs de services, tout comme les montants des paiements qui ont été versés. Dans les contrats qui les lient aux fournisseurs de services, il est toujours spécifié que c’est la responsabilité de ces derniers de déclarer leurs revenus aux gouvernements et de percevoir les taxes applicables s’il y a lieu (au Québec, une personne ou une entreprise doit s’enregistrer et percevoir la TPS et la TVQ si elle vend des produits ou des services pour plus de 30 000 $ par année). Les États n’ont aucun moyen présentement de vérifier si l’ensemble de ces sommes qui lui sont dues sont effectivement versées (et on peut parier qu’il y a des sommes importantes qui ne sont pas déclarées). Plus ces plateformes prendront de l’expansion, plus les revenus des États diminueront, ce qui aura inévitablement un impact sur les services publics et les programmes sociaux.

Conclusion

Ce bref survol du phénomène des plateformes électroniques qui se réclament de l’économie du « partage » permet de voir que le monde du travail est confronté à des enjeux importants. En effet, on peut constater que les impacts reliés à ce type d’économie peuvent être considérables, particulièrement dans un contexte où nos gouvernements laissent faire en se cachant derrière l’expression « on n’arrête pas le progrès ». Il n’est pas ici question de s’opposer à l’avancement technologique, mais plutôt de s’opposer à l’utilisation par des entreprises privées de moyens technologiques pour contourner et bafouer des lois et des réglementations afin de mieux exploiter des travailleuses et des travailleurs, d’éviter de payer des taxes et des impôts et d’engranger d’énormes profits.

Il n’y a qu’à voir les conséquences de l’arrivée de la plateforme Uber dans seulement deux villes au Québec (Montréal et Québec) sur l’industrie du taxi pour comprendre que les enjeux sont sérieux et appréhender les transformations que cela engendre. L’industrie du taxi n’est toutefois qu’une goutte d’eau à l’échelle de l’activité économique du Québec. Si on considère que cette simple goutte d’eau a fait autant de ravages chez-nous, il n’est peut-être pas exagéré de penser que l’arrivée prochaine des multiples plateformes semblables, qui s’apprêtent à conquérir dans les mois à venir presque tous les secteurs économiques dans toutes les régions du Québec, risque de ressembler à un tsunami pour les travailleuses et les travailleurs…

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Postmates

Service de livraison rapide 24 heures par jour

Vous êtes en pyjama, installé devant votre téléviseur quand survient une petite fringale. Pourquoi vous habiller quand votre téléphone mobile vous permet, grâce à l’application Postmates (le service devrait être disponible au Canada d’ici la fin de 2016), de commander en quelques secondes diverses gâteries du dépanneur ou encore un petit goûter d’un restaurant, sans oublier un médicament à la pharmacie contre les reflux gastriques, au cas où? Pourquoi ne pas en profiter pour commander une bière ou une bouteille de vin?

Grâce à la géolocalisation, les livreurs de Postmates dans les environs reçoivent votre commande sur leur téléphone mobile dans la seconde qui suit et le plus rapide à accepter la commande aura la chance de vous servir. Toujours avec l’aide de son téléphone mobile, l’application avec GPS le dirige vers le restaurant, le dépanneur ou la pharmacie, il prend possession de votre commande que les marchands ont déjà préparée et vous livre le tout dans les minutes qui suivent, moyennant des frais de livraison déterminés par Postmates.

La plateforme Postmates n’a rien à voir avec des applications comme TopMenu ou Just for Eat. Ces dernières n’offrent qu’une plateforme pour commander d'un restaurant qui a un service de livraison. Avec Postmates, le même livreur peut faire vos courses chez plusieurs marchands qui n’ont pas de service de livraison. Postmates n’agit officiellement que comme facilitateur pour que vous concluiez un contrat avec le livreur ainsi qu’avec le marchand. C’est elle qui reçoit le paiement et qui remboursera par la suite le livreur et le marchand.

Les livreurs de Postmates sont évidemment tous des travailleuses et travailleurs « indépendants » qui ne sont pas à l’emploi de Postmates. Ils ne bénéficient d’aucun avantage social et aucune contribution n’est faite pour eux aux régimes de sécurité sociale ou d’indemnisation d’accident du travail.

Afin de travailler pour Postmates, il faut se servir d’un téléphone mobile. En plus d’être illégale au Québec, l’utilisation du cellulaire au volant est extrêmement dangereuse car la personne est constamment sollicitée, soit par le GPS, soit par les multiples commandes qu'il faut accepter ou refuser; on ne peut en effet attendre d’avoir terminé sa livraison avant de prendre une nouvelle commande, car cela peut signifier de longs temps morts.

Les conditions de travail imposées par des applications comme Postmates illustrent probablement l’avenir prochain qui attend les travailleuses et travailleurs dans le domaine de la livraison, tant pour les dépanneurs ou les pharmacies, que pour les grandes chaînes de restauration rapide avec des services de livraison composés de travailleuses et de travailleurs syndiqués. Même les services de livraison de supermarchés risquent de ne pas être épargnés avec des applications telles Taskrabbit qui vous propose rien de moins que faire vos courses à votre place (épicerie, nettoyeur, achat de meubles, etc.) et de vous livrer le tout à domicile. À noter qu'Uber a annoncé qu’elle allait utiliser ses chauffeurs pour lancer un nouveau service de livraison à domicile comme celui de Postmates, tout comme les multinationales Google (Google Express) et Amazon.

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Thumbtack

Quand il faut payer pour travailler

Vous avez besoin d’embaucher quelqu’un pour faire des travaux d’entretien, de rénovation ou de réparation à votre résidence? Rien de plus facile en utilisant des applications telles Askfortask ou Handy. On vous enverra une travailleuse ou un travailleur « indépendant » pour un prix fixé d’avance incluant une commission avoisinant les 20%.

Si vous ne voulez pas payer de commission, vous ferez plutôt affaire avec Thumbtack (pas encore disponible au Québec). Cette plateforme technologique se distingue de celle de ses compétiteurs en faisant payer ses travailleuses et ses travailleurs « indépendants » pour pouvoir faire une soumission à un client potentiel.

Voici comment cela fonctionne. Vous désirez embaucher quelqu’un pour faire le grand ménage du printemps. En cliquant sur l’application Thumbtack, vous devez répondre à des questions sur votre habitation (nombre de pièce, etc.), sur vos besoins (lavage des vitres, du frigo, etc.) et quand vous voulez que le travail soit fait. Votre demande est alors acheminée aux travailleuses et travailleurs en entretien ménager inscrits chez Thumbtack qui demeurent à proximité de votre résidence. Celles et ceux qui sont intéressés peuvent vous faire une soumission, incluant le prix qu’ils vous demandent. Pour pouvoir vous acheminer cette soumission, ils doivent payer à Thumbtack un montant variant généralement entre 4,40 $ à 20,00 $ (15 $US) dépendant du type de travaux ainsi que de l’offre et la demande pour ce type de services dans votre secteur. Seules les cinq meilleures soumissions vous sont ensuite soumises. Vous pouvez accepter une des offres ou toutes les refuser et ainsi recommencer le processus de soumission.

Dans ce système, les travailleuses et les travailleurs entrent en concurrence directe et il y a toujours quatre des cinq travailleuses ou travailleurs qui perdent leur mise (quand ce n’est pas cinq sur cinq). Même si les prix pour soumissionner ne semblent pas si élevés, lorsqu’on doit payer cinq soumissions à 4,40 $ pour enfin obtenir un contrat de ménage ou de réparation d’un robinet pour 75 $, cela équivaut à presqu’un tiers du revenu gagné. Pour pouvoir travailler sans avoir à soumissionner trop souvent, il faut donc casser les prix, ce qui amène une spirale à la baisse des revenus de travail. Il faut également être ultra disponible et être toujours à l’affût des messages qui entrent afin de pouvoir prendre ses « concurrents » de vitesse.

Ajoutons que Thumbtack, comme presque toutes les entreprises de « l’économie du partage » considèrent ces travailleuses et travailleurs comme entrepreneurs indépendants : aucune cotisation sociale n’est versée, aucune retenue à la source d’impôt ou de taxe n’est prélevée, aucun vêtement ou équipement de sécurité n’est fourni. En cas de chômage, de maladie ou d’accident du travail, la travailleuse ou le travailleur risque de se retrouver à la rue…

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Wonolo

L’agence de placement du futur?

Vous voulez travailler mais vous n’arrivez pas à trouver un emploi? Pourquoi ne pas « partager » vos compétences avec un employeur près de chez vous qui en a besoin grâce à l’application Wonolo (non disponible au Québec pour le moment)?

Wonolo (pour Work-Now-Localy) est une agence de placement créé en 2014 qui offre aux employeurs d’embaucher, à l’heure ou à la journée, de la main d’œuvre dans tous les domaines d’emploi. Elle offre une plateforme technologique permettant aux entreprises de combler leurs besoins de main-d’œuvre immédiats (« Just in Time Staffing »). Par exemple, un employeur peut ainsi trouver une travailleuse dans les secondes qui suivent l’ouverture d’un poste pour combler une absence dans une heure et faire un remplacement pendant trois heures. À noter que l’agence garde 35% du montant payé par l’employeur.

L’employeur a le choix entre deux types de contrat. Il peut choisir d’avoir recours aux services d’une travailleuse ou d'un travailleur. Dans ce cas, une filiale de Wonolo agit à titre d’employeur et verse aux gouvernements les redevances gouvernementales (impôts, cotisations obligatoires aux régimes de sécurité sociale, cotisations au régime d’indemnisation d’accident du travail, etc.), mais n’offre aucun avantage social (pas de régime d’assurance maladie, médicaments, invalidité, ni de fonds de pension). Si l’employeur le désire (et c’est l’option qui semble privilégiée), il peut plutôt choisir d’avoir recours aux services de la même personne, mais à titre « d’entrepreneur indépendant ». S’il choisit cette option, ni l’employeur, ni Wonolo ou sa filiale de gestion de la paie ne versera quelque redevance, cotisation ou impôt aux gouvernements.

Par exemple, si je me cherche du travail comme journalier, je peux m’inscrire chez Wonolo pour faire ce type d’emploi. Je recevrai par la suite, grâce à l'application installée sur mon téléphone mobile, des offres d’emploi pouvant aller de quelques heures à quelques semaines. Si une de ces offres me conviens et que je réponds avant les autres chercheurs d’emploi (les échéances sont souvent très courtes), il est possible que j’obtienne le contrat. Si l’employeur recherche un travailleur, je recevrai un salaire et le service de paie de Wonolo paiera aux gouvernements toutes les redevances exigibles à titre d’employeur, mais si l’employeur recherche plutôt un « entrepreneur indépendant » pour faire le même travail, je recevrai des honoraires et aucune redevance ne sera versée pour moi.

On peut légitimement se poser la question si tout ça est légal. Pour le moment, bien que la légalité de ce fonctionnement n’ait pas été remise en question aux États-Unis et que plusieurs grandes entreprises font affaire avec elle (notamment Coca-Cola qui a financé sa mise sur pied), Wonolo protège ses arrières. En effet, le contrat que doit signer la travailleuse ou le travailleur avec Wonolo stipule clairement que dans l’éventualité où l’agence du revenu américaine décidait que Wonolo agit à titre d’employeur et qu’elle devait verser aux gouvernements des redevances de façon rétroactive, la travailleuse ou le travailleur devrait rembourser à Wonolo toutes les sommes réclamées, incluant les intérêts.

À quand une plateforme technologique du même type au Québec? Parions que ça ne se fera pas attendre très longtemps.