Le jour où le Québec aurait pu être la Wallonie

2016/10/26 | Par Pierre Dubuc

Dans la section Opinions de l’édition du 26 octobre du Devoir, l’ancienne ministre des Relations internationales du Québec Louise Beaudoin publie un « Éloge de la Wallonie » pour son opposition à l’Accord de libre-échange Canada-Europe.

Elle rappelle les nombreuses raisons de s’opposer à cet accord : déni de démocratie, absence d’impact sur la croissance, la clause de recours des investisseurs contre les États (le fameux Chapitre 11 de l’ALENA), les clauses qui touchent l’agriculture et… la culture!

À cet égard, elle cite des membres du Réseau international des juristes pour la diversité culturelle qui affirment que « malheureusement, le Canada est ressorti de cette négociation avec une protection moindre que celle qu’il avait dans ses accords antérieurs de libre-échange ».

De plus, selon des juristes cités par Mme Beaudoin « l’accord inclut un chapitre sur le commerce électronique ouvrant la porte à une éventuelle extension de ces principes (l’application des règles de l’OMC) aux biens et services culturels susceptibles d’être échangés par voie électronique, c’est-à-dire la quasi-totalité des biens et services culturels ».

L’ex-députée de Rosemont enchaîne : « Demeure une énigme pour moi : comment le milieu culturel québécois a-t-il pu accepter de tels reculs, lui qui a démontré au moment de la négociation de la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, signée en 2005, une réelle pugnacité pour s’assurer la légitimité de l’exclusion totale des industries culturelles des accords de libre-échange? »

Elle aurait pu ajouter : comment expliquer le silence actuel du Parti Québécois sur ces enjeux fondamentaux pour le Québec?

 

Le silence tonitruant du Parti Québécois

La réponse se trouve dans les délibérations du Conseil national du Parti Québécois, tenu le 11 mai 2013. Marc Laviolette du SPQ Libre avait alors déposé une proposition recommandant la plus grande vigilance quant à la présence éventuelle d’une disposition qui permettrait, comme dans le cas du fameux chapitre 11 de l’ALENA, aux entreprises de poursuivre les gouvernements.

En appui à sa proposition, Marc Laviolette avait évoqué les propos de Jacques Parizeau condamnant le Chapitre 11 de l’ALENA, tout en citant des exemples connus des effets de cette disposition (Ethyl, Abitibi-Bowater à Terre-Neuve, Lone Pine Ressources Inc.).

Sa proposition avait reçu l’appui du député Daniel Breton et de Paul Crête, membre de l’Exécutif national.

Jean-François Lisée et Nicolas Marceau se sont rapidement pointés au micro pour faire battre cette proposition. Pour exprimer son appui sans réserve à l’entente de libre-échange avec l’Europe, Lisée avait déclaré : « Soyons clairs. Si cet amendement est adopté, il n’y aura pas d’entente de libre-échange avec l’Europe ».

Rappelons qu’à ce moment-là, Lisée et Marceau faisaient partie du cabinet du gouvernement minoritaire de Pauline Marois et que l’approbation des provinces canadiennes était requise – selon certaines interprétations – pour que l’accord soit ratifié, de la même façon que l’est celle de la Wallonie pour la Belgique.

À sa question sur la cause de l’absence d’opposition du milieu culturel à l’Accord Canada-Europe, Louise Beaudoin répond par une autre question : « A-t-il subi, à l’époque, comme la Wallonie aujourd’hui, des pressions ‘‘invraisemblables’’ » ?

La même question se pose à propos des interventions de Lisée et Marceau en 2013 et à l’attitude actuelle du nouveau chef du Parti Québécois, dont toute l’attention est concentrée sur « l’affaire Sklavounos » et qui garde un silence tonitruant sur la Wallonie et le traité de libre-échange avec l’Europe.

 

Photo : Ledevoir.com - Jacques Nadeau