Le Québec désarmé

2016/11/11 | Par Pierre Dubuc

Dans une entrevue accordée à Patrice Roy au Téléjournal Grand Montréal du lundi 17 octobre, Jean-François Lisée réaffirmait son engagement à ne pas tenir « de référendum ni sur la souveraineté, ni sur quelque autre sujet que ce soit. Ce sera quatre années sans référendum ».

Quand Patrice Roy souligne à Lisée qu’il se « menotte » face à de possibles coups de force du fédéral (santé, pipeline, etc.), le nouveau chef du Parti Québécois acquiesce, tout en reportant à 2022 le moment où « ceux qui sont choqués pour quelque raison que ce soit pourront exprimer leur volonté de quitter le Canada ».

Non seulement Lisée dépose les armes, mais il évente toutes ses cartouches. Jamais, dans l’histoire récente, une décision politique n’aura autant affaibli le Québec dans son rapport de force avec Ottawa.

 

Le « beau risque » de René Lévesque

Pour rallier les péquistes à son engagement à ne pas tenir de référendum, Jean-François Lisée aime rappeler que le Parti Québécois a été élu en avril 1981 avec 49 % des voix, la plus forte majorité de son histoire, sans que René Lévesque promette la tenue d’un référendum.

Lisée pourra aussi mettre en garde ceux qui voudraient contester sa position, lors du prochain congrès du Parti Québécois, en leur remémorant les événements survenus lors du 8e congrès du parti, en décembre 1981. Après l’adoption d’une résolution mettant au rancart « l’association » dans la « souveraineté-association », René Lévesque avait répliqué par un « renérendum », où il avait obtenu l’appui de 95 % des 143 000 membres.

La suite des choses n’est pas sans intérêt. En juin 1984, au 9e congrès du Parti Québécois, les militants adoptaient une résolution indiquant qu'aux prochaines élections un vote pour le Parti Québécois serait un vote pour l'indépendance. Lévesque votait contre, mais se ralliait à contrecœur.

En fait, Lévesque s’était préparé une « sortie de secours ». Il négociait en secret, par l’entremise de Lucien Bouchard, une entente avec Brian Mulroney, en vertu de laquelle le Parti Québécois accorderait son appui au Parti conservateur, lors des élections du 4 septembre 1984.

De son côté, dans un discours écrit par Lucien Bouchard, prononcé à Sept-Îles le 6 août 1984, Mulroney s’engageait, s’il était élu, à réintégrer les Québécois dans le giron canadien « dans l’honneur et l’enthousiasme ». Cela allait se concrétiser par l’Accord du Lac Meech.

L’entente conclue, Lévesque demande donc, quelques jours avant l’élection fédérale, un moratoire à ses ministres sur la stratégie électorale et les modalités de la souveraineté.

Au Conseil national qui suivra l’élection, Lévesque déclarera : « Si le fédéralisme devait fonctionner moins mal et même s’améliorer, est-ce que cela ne risque pas d’étouffer un peu notre option fondamentale et de renvoyer la souveraineté aux calendes grecques? Il y a un élément de risque, mais c’est un beau risque et nous n’avons pas le loisir de refuser ».

Le « beau risque » va déchirer le Parti Québécois. Le 22 novembre, sept ministres, dont Jacques Parizeau, Camille Laurin et Gilbert Paquette, et trois députés quittent le navire. D’autres suivront. Au congrès de janvier 1985, les délégués, qui ne représentent plus que 70 000 membres contre 300 000 en 1981, entérinent la nouvelle orientation à une majorité de 65 %. Cinq cent délégués claquent la porte et formeront le RDI, le Rassemblement démocratique pour l’indépendance.

Quelques mois plus tard, le 20 juin 1985, René Lévesque annonce sa démission. Il sera remplacé par Pierre-Marc Johnson et son programme d’affirmation nationale. Celui-ci sera défait par Robert Bourassa, lors de l’élection du 2 décembre 1985.

Bien entendu, les indépendantistes, avec Parizeau à leur tête, reprendront en 1988 le contrôle du Parti Québécois à la faveur de l’échec de l’Accord du Lac Meech, un échec dû, non pas à l’action des indépendantistes, mais aux contradictions au sein du camp fédéraliste.

 

Le « beau risque » de Jean-François Lisée

Tout comme le « beau risque » de René Lévesque, la proposition de Jean-François Lisée de ne pas tenir de référendum dans le prochain mandat risque « d’étouffer un peu notre option fondamentale et de renvoyer la souveraineté aux calendes grecques ».

Mais, contrairement à Lévesque, qui avait au moins soutiré à Mulroney un engagement – qui s’est traduit par l’Accord du Lac Meech –, Lisée n’a absolument rien obtenu en échange de son « beau risque ».

En fait, il a affaibli encore davantage la position du Québec, pourtant déjà bien vacillante face à Ottawa par suite de la réduction de son poids démographique et politique à l’échelle canadienne.

Stephen Harper a fait la preuve qu’une majorité à Ottawa était possible pour un parti politique sans représentation significative au Québec. Une situation qui s’est accentuée avec l’ajout au Parlement canadien de 27 nouveaux sièges dans les autres provinces contre seulement trois au Québec.

La marginalisation croissante du Québec au sein du Canada est identifiable à plusieurs signes. Ne mentionnons, au plan politique, que l’absence de nomination par Justin Trudeau d’un lieutenant politique pour le Québec et, au plan économique, le refus opposé par Ottawa aux demandes d’aide de Bombardier.

Jamais depuis le programme « Égalité ou Indépendance » de Daniel Johnson, le Québec ne s’était privé de la menace d’un référendum sur l’indépendance, si on fait exception du « beau risque » de René Lévesque.

Les libéraux ont toujours su laisser planer subtilement cette menace pour arracher des concessions à Ottawa. Après l’échec de Meech, Robert Bourassa a joué un rôle actif dans la création du Bloc Québécois et il avait accepté au terme de la Commission Bélanger-Campeau que la souveraineté soit une option envisageable. Jean Charest a déclaré, à plus d’une reprise, que l’indépendance du Québec était viable.

Mais, aujourd’hui, quand le ministre de la Santé Gaétan Barrette « estime que son homologue fédérale, Jane Philpott, pourrait attiser la ferveur souverainiste au Québec si elle n'acceptait pas les conditions du Québec sur les transferts en santé », il n’énerve plus grand monde à Ottawa.

Dans la capitale canadienne, on a pris bonne note que le Québec est désarmé, depuis que le Parti Québécois a élu un chef qui a promis de ne pas tenir de référendum. Le gouvernement Trudeau va envoyer paître le ministre Barrette, le gouvernement Couillard et l’ensemble des Québécois. Des choix politiques, comme celui des membres du Parti Québécois, sont lourds de conséquences politiques pour le Québec.