Des leçons de l’élection de Donald Trump

2016/11/18 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Les auteurs sont respectivement président et secrétaire du SPQ Libre.

Ainsi donc, si l’on en croit les reportages publiés depuis l’élection de Donald Trump, les États-Unis viennent de redécouvrir l’existence de leur classe ouvrière ! Abandonnée par les Démocrates depuis l’ère de Bill Clinton, privée de ses organisations syndicales, démantelées par les Républicains – entre autres, dans les États-clefs du Wisconsin et du Michigan –, la classe ouvrière s’est montrée vulnérable à la démagogie d’un Trump.

 

Des parentés idéologiques

La frontière idéologique entre les États-Unis et le Québec étant poreuse, des rapprochements sont possibles avec la situation québécoise. Que Legault se réclame d’une certaine parenté idéologique avec Trump n’est pas sans fondement. Sur les questions syndicales, le programme de la CAQ s’inspire des politiques républicaines mises en place dans les États « right-to-work ».

À gauche de l’échiquier politique, Québec solidaire a modelé sa stratégie sur celle du Parti démocrate, basée sur une coalition de la petite bourgeoisie urbaine et des minorités ethniques et sexuelles.

Cependant, si une telle coalition a pu porter Obama au pouvoir, cela tient au fait que les minorités ethniques constituent près de la moitié de la population étatsunienne. Au Québec, les minorités forment moins de 20% de la population et sont concentrées à Montréal, où se limitent les succès de QS.

L’influence de la politique étatsunienne a aussi été particulièrement marquante sur l’évolution du Parti Québécois. Elle s’est principalement exprimée par l’intermédiaire de l’expérience de Tony Blair au Royaume-Uni. Il est bien connu que le New Labour s’inspirait ouvertement des New Democrats de Bill Clinton.

 

Boisclair et le « New Labour »

Au moment de la démission de Bernard Landry au congrès de 2005, un groupe influent d’apparatchiks du Parti Québécois ne jurait que par Tony Blair, qui venait de remporter un troisième mandat.

Dans la course à la chefferie, ils ont jeté leur dévolu sur André Boisclair, qui clamait « son admiration pour le type de social-démocratie mis en avant par le premier ministre britannique Tony Blair » (Le Devoir, 27 janvier 2007).

Boisclair et son entourage avaient surtout retenu la rupture brutale de Blair avec le mouvement syndical britannique. Boisclair déclare donc que, s’il est élu Premier ministre, il en serait fini des « diners bien arrosés » avec les chefs syndicaux et qu’il n’avait pas pour mission de « fédérer les insatisfaits ».

Jean Charest prend acte de la mésentente entre Boisclair et les chefs syndicaux et déclenche des élections. Le PQ n’obtient que 28% des suffrages – son pire score depuis 1970 – et dégringole au rang de deuxième opposition.

 

L’« Enrichissez-vous ! » de Marois

Pauline Marois ne fait pas l’erreur de s’aliéner ouvertement le mouvement syndical. Toutefois, elle s’en distance, comme lorsqu’elle intervient dans les négociations du Front commun pour déclarer que les syndiqués en demandent « un petit peu trop »!

Mais surtout elle l’ignore. Au congrès de 2011, aucune proposition sur le syndicalisme et le monde du travail n’est votée! Une première dans l’histoire du parti. On est bien loin du « préjugé favorable aux travailleurs » de René Lévesque.

Dès sa mise en candidature au titre de chef du parti, Mme Marois avait annoncé son orientation néolibérale avec le message codé qu’« avant de partager la richesse, il faut la créer », un message amplifié, lors du Conseil national de Lévis de mars 2010, par son célèbre « Enrichissez-vous ! », plaçant « l’enrichissement des individus au centre de la politique économique », tout en précisant que « ce n’est plus l’État qui doit être au cœur de notre enrichissement national »!

À cette occasion, elle fait voter, au mépris des statuts du parti, l’exclusion du SPQ Libre, dont le crime avait été de publier dans Le Devoir, la veille du Conseil national, un texte intitulé « S’enrichir durablement, c’est s’enrichir collectivement ».

 

Des carrés rouges à PKP

Après la crise de l’amphithéâtre, qui a entraîné la démission de quatre députés, la défaite lors de l’élection partielle de décembre 2011 dans Bonaventure, un sondage qui n’accorde que 18% des suffrages au Parti Québécois et la contestation ouverte de son leadership, Mme Marois effectue un virage à 180 degrés au Conseil national de janvier 2012.

Pour la première fois depuis son accession à la direction du PQ, elle salue la lutte de travailleurs en grève et, surtout, elle donne un appui sans équivoque à la lutte du mouvement étudiant. Le Conseil national se prononce aussi pour la nationalisation de l’éolien, l’application des dispositions de la loi 101 au cégep, le référendum d’initiative populaire sur la souveraineté… et la modernisation de la loi anti-briseurs de grève.

Les députés péquistes portent le carré rouge, Mme Marois joue de la casserole dans les rues de Montréal et, le soir du 4 septembre, le Parti Québécois est appelé à former un gouvernement… minoritaire, à cause de la division du vote progressiste et souverainiste.

Des mesures progressistes seront adoptées (droits de scolarité, amiante, fermeture de Gentilly, etc.), mais l’orientation économique, axée sur le Déficit zéro, demeure néolibérale.

En témoigne la présentation euphorique du traité de libre-échange Canada-Europe, lors du Conseil national de mai 2013, par le ministre des Finances Nicolas Marceau. Jean-François Lisée vient prêter main-forte à son collègue Marceau pour faire battre une résolution recommandant la plus grande vigilance quant à la présence d’une disposition permettant aux entreprises de poursuivre les gouvernements. Le Québec rate alors l’occasion de jouer le rôle qui sera celui de la Wallonie quelques années plus tard.

Lors du déclenchement de la campagne électorale, la promesse de modernisation de la loi anti-briseurs de grève disparaît de la plate-forme électorale pour accueillir la candidature de Pierre Karl Péladeau.

Le patron le plus antisyndical de l’histoire récente du Québec succède à Pauline Marois à la tête du Parti Québécois. Son départ ne provoque pas de rupture avec l’indifférence péquiste à l’égard du mouvement ouvrier, comme en témoigne l’absence totale de référence au mouvement syndical lors de la dernière course à la chefferie.

 

Un Trump québécois pour réagir?

En 2004, nous avons créé le SPQ Libre avec l’objectif de reconstituer la grande alliance syndicale-nationale des années 1970, qui nous a menés en 1995 aux portes du pays. Cette alliance reposait sur deux piliers : la social-démocratie et l’indépendance.

La stratégie proposée était axée sur la mobilisation des abstentionnistes, l’histoire nous ayant appris que le Parti Québécois gagne quand le taux de participation est élevé et perd lorsqu’il est anémique.

Mais les directions successives ont préféré tenir un discours néolibéral dans le chimérique espoir de rallier les électeurs adéquistes. Au fil des ans, les références et l’appui au mouvement syndical ont été sacrifiés. Aujourd’hui, la boucle est bouclée avec le report de l’indépendance aux calendes grecques.

Espérons qu’il ne faudra pas l’émergence d’un Trump québécois pour procéder à la profonde remise en question qui s’impose.