L’éducation selon Trump

2016/12/01 | Par Pierre Dubuc

« Le statu quo en éducation est inacceptable », a déclaré Betsy DeVos, la nouvelle Secrétaire d’État à l’Éducation des États-Unis.

Étant donné le piètre état du système d’éducation étatsunien, on serait, de prime abord, porté à donner raison à Mme DeVos. Puis, on se ressaisit et on se rappelle qu’elle vient d’être nommée par Donald Trump !

Selon le New York Times, il est difficile de trouver quelqu’un voulant aussi passionnément priver de financement public le réseau des écoles publiques que Mme DeVos.

Philanthrope et fort active dans les levées de fonds pour le Parti Républicain, Mme DeVos milite depuis près de 30 ans pour distribuer les fonds publics directement aux parents, sous forme de « bons d’étude », de façon à ce qu’ils puissent choisir l’école de leur enfant et financer les écoles à charte privées.

 

Les « bons d’étude »

À l’origine, le concept des « bons d’étude » a été mis de l’avant par l’économiste Milton Friedman, gourou du néolibéralisme, pour contourner la constitution américaine, qui interdit le financement public des écoles à vocation religieuse.

Depuis, son utilisation a été étendue pour financer les écoles privées, peu importe si elles ont ou non un statut confessionnel.

Au Québec, lorsqu’il dirigeait l’ADQ, Mario Dumont avait proposé les « bons d’étude », jusqu’à ce que ses amis néolibéraux lui fassent remarquer que le financement public direct des écoles privées, confessionnelles ou pas, en vigueur au Québec était plus avantageux.

 

Un bilan déplorable

Dans toute administration publique digne de ce nom, le bilan de l’action de Mme DeVos ne la qualifierait pas pour occuper un poste de responsabilité, quel qu’il soit.

Son État, le Michigan, est le plus important laboratoire pour les « bons d’étude » et les écoles à charte aux États-Unis. Les districts scolaires de Détroit, Flint et Grand Rapids figurent dans le « Top Ten » du palmarès des États ayant les plus importants contingents d’élèves fréquentant des écoles à charte.

La ville de Détroit compte la plus grande proportion d’élèves dans les écoles à charte des États-Unis, à l’exception de la Nouvelle-Orléans où presque toutes les écoles publiques ont été transformées en écoles à charte au lendemain de l’ouragan Katrina.

L’État du Michigan a versé plus d’un milliard de dollars aux écoles à charte, dont 80 % sont administrées par des organisations à but lucratif.

Cependant, cela n’est pas gage de succès. Loin de là ! Depuis que l’État favorise les écoles à charte, soit depuis deux décennies, il a dégringolé dans le classement des États pour les tests nationaux de lecture et de mathématiques. La performance de la plupart des écoles à charte est inférieure à la moyenne nationale.

En 2015, une étude fédérale a trouvé un pourcentage « anormalement élevé » d’écoles à charte sur la liste des écoles moins performantes.

À remarquer que les seules écoles qui réussissent sont celles qui sélectionnent leurs élèves.

 

Un chaos

Après l’adoption, en 2010, d’une loi favorisant les écoles à charte, parrainée par le Great Lakes Education Project, un groupe financé par Mme DeVos, le nombre d’écoles à charte a doublé.

Ainsi, bien que la population scolaire de la ville de Détroit ait diminué de 220 000 élèves depuis 2003, il s’est ouvert plus de 100 nouvelles écoles à charte.

Au cours des dix dernières années, il s’est créé tellement d’écoles à charte dans les quartiers les plus huppés que même ses partisans parlent de « chaos » pour décrire la situation actuelle.

Dans ces quartiers, il y a trop d’écoles pour le nombre d’élèves. Aussi, celles-ci dépensent des fortunes en campagnes publicitaires pour attirer et retenir des élèves.

Le cas de l’entreprise Equity Education est intéressant. 35 % des élèves de leurs trois écoles ne se représentent pas l’année suivante. Pour combattre cette désaffection, l’entreprise oblige son personnel à entrer en contact avec les élèves, au moins une fois par semaine au cours de l’été, pour les inciter à revenir.

 

Rentabilité

Les écoles à charte permettent différentes façons de s’enrichir. Par exemple, le promoteur immobilier M. Huizenga achète des édifices et les loue à des écoles à charte. Après avoir échoué cette année à faire reconnaître devant les tribunaux qu’une organisation à but lucratif devait être exemptée de taxes foncières si elle louait des locaux à des écoles, il a fait modifier la loi pour pouvoir bénéficier de cette exemption fiscale.

Au cours de la campagne électorale, Donald Trunp a déclaré vouloir rediriger vers les « bons d’étude » 20 milliards de dollars d’argent fédéral, puisés en grande partie dans un programme dédié aux écoles accueillant la clientèle la plus pauvre du pays. Trump a qualifié ce choix « d’enjeu des droits civiques de notre époque » ! Rien de moins !

 

L’anti-syndicalisme

Une composante importante du choix d’implanter des écoles à charte est la volonté d’éliminer les syndicats d’enseignants. À Détroit, le mouvement a été amorcé dès 1993 – soit bien avant la faillite de la ville – par le gouverneur John Engler, reconnu pour son anti-syndicalisme.

Pas étonnant que Randi Weingarten, le président de l’American Federation of Teachers ait qualifié la nomination de Mme DeVos comme « la nomination la plus idéologique, la plus anti-éducation publique depuis qu’a été créé le poste de Secrétaire d’État à l’Éducation, il y a quatre décennies ».

Soulignons que le mari de Mme DeVos est l’héritier de la fortune de l’empire des produits Amway. Son frère, Érik Prince, a fondé l’agence privée de sécurité Blackwater, qui a reçu des milliards de dollars sous forme de contrats de Washington pour prendre la relève de l’armée américaine en Irak et dans d’autres pays du Moyen-Orient.

Pas de doute possible, Donald Trump sait s’entourer !