La politique... à la dérive

2016/12/05 | Par Michel Saint-Laurent

Bon, il faudra bien encaisser le coup, Donald Trump a été élu président des États-Unis. Il y a quelque chose de bizarre, voire d'horrifiant à dire cela, mais il faudra bien s'y faire. Sa grosse face de bouledogue bourru va remplir nos écrans pendant quatre ans, ses idées réactionnaires vont s'étaler et nous allons encaisser... à moins qu'il ne soit destitué, ce qui est toujours possible aux USA. On verra...

Depuis l'élection de cet homme carrément dangereux en lui-même, mais aussi pour ceux qui l'entourent et qui vont occuper des postes névralgiques dans son administration, tous les commentateurs patentés, les spécialistes bardés de diplômes, les sondeurs médusés, les journalistes qui ne l'ont pas vu venir et toute l'élite bien-pensante, tous cherchent à comprendre ce qui a bien pu se passer chez nos voisins du Sud, tout en se remettant, tranquillement, d'une belle gueule de bois...

Les explications fusent.

Afin d'expliquer l'inexplicable, plusieurs parlent d'une révolte contre les élites, politiques, financières, médiatiques qui, depuis fort longtemps, se seraient accaparées de l'agenda politique aux États-Unis et qui dicteraient la marche à suivre.

L'Amérique profonde, tant à gauche qu'à droite, en aurait ras-le-bol d'une clique de politiciens professionnels qui gouvernent en fonction de leurs seuls intérêts et de ceux des financiers, banquiers et grands propriétaires d'entreprises qui alimentent leurs caisses électorales, ce fameux 1 %, quoi!

Ce serait là la révolte des petites gens et de cette classe moyenne fourre-tout qui, tous, se sentent délaissés par Washington et qui veulent changer le « système ». C'est d'ailleurs le clou sur lequel Trump à cogner tout au long de sa campagne... interminable. Il y a sans doute du vrai là-dedans.

Mais n'y-a-t-il pas contradiction à voir que tant de gens aient voté pour un homme qui, toute sa vie, a profité à plein de ce système, au point de se targuer de n'avoir pas payé, pendant des années, un cent d'impôt?

Poussant le bouchon encore plus loin, c'est ce Donald, grand défenseur (sic) des laissez pour compte, qui a promis des réductions d'impôt… pour les riches. Misère!

Il est par contre une statistique qui, selon moi, est très révélatrice d'un mal profond qui afflige la plupart de nos sociétés dites démocratiques. C'est le fait que pas moins de 43 % des électeurs éligibles aux États-Unis n'ont tout simplement pas voté. Presque la moitié. Voilà étalé au grand jour l'expression du déficit démocratique d'un pays qui se targue d'en être le principal propagateur, promoteur, par armes interposées, à travers la planète...

Une vision politique…?

Ainsi, au-delà de toutes les interprétations post-traumatiques dont les médias nous abreuvent, l'élection d'un bouffon à la Maison-Blanche n'est-elle pas le reflet de l'écart grandissant qui existe, dans maintes sociétés, entre « le politique » et « la politique »?

Comment se fait-il que tant de gens ne prennent même pas la peine d'aller voter, sûrs que cela ne changera rien? Je pense que l'on peut soupçonner que plusieurs progressistes, car il y en a dans ce pays, ceux et celles qui appuyaient Bernie Sanders, cavalièrement écarté du « ticket » démocrate par les bonzes du parti, ne sont carrément pas allés voter, par dépit, par désillusion.

Ils refusaient le choix qu'on leur offrait entre un démagogue et une vendue aux forces de l'argent. Ce faisant, ils ont ainsi laissé toute la place à la frange des « rednecks » américains, des réactionnaires autoproclamés qui buvaient les paroles incendiaires de Donald. Eux sont allés voter, en masse. Les autres n'ont donc qu'eux-mêmes à blâmer. 

Cependant, pour plusieurs, cette élection, mauvais spectacle à plus d'un titre, fait ressortir le fait que, de nos jours, la plupart des gouvernements sont devenus de simples succursales du milieu des affaires. Ils sont, avant tout, responsables du « service à la clientèle » des grandes corporations.

Une vision politique, des idées altières, c'est quoi ça? Leur vision se limite, de plus en plus, à balancer les colonnes de chiffres et …, à se balancer du reste. Tous les grands traités de libre-échange qui pullulent en ce moment sont négociés, la plupart du temps, derrière des portes closes, en fonction de l'intérêt des puissants.

Les grands dossiers de la gouverne d'un État dans l'intérêt de TOUS les citoyens, l'éducation, la santé, les soins aux aînés, l'aide aux démunis, la culture, l'environnement, etc., tout cela passe en seconde place.

C'est la sacro-sainte ÉCONOMIE, érigée en mesure de tout le reste, qui dicte les politiques mises de l'avant et ce, au bénéfice de quelques privilégiés qui s'en mettent plein les poches. Comment expliquer autrement tous ces scandales qui, régulièrement, ici comme ailleurs, nous apprennent combien l'appât du gain, pour certains, est insatiable? Et que dire des paradis fiscaux, souvent favorisés par des lois gouvernementales complaisantes?

Voilà où se situe, selon moi, la différence entre « la politique » et « le politique ». « La politique » se fait à la petite semaine, dans le court terme, sans vue d'ensemble ou d'avenir, par des politiciens et politiciennes de carrière qui sont avant tout intéressés à leur réélection, dans quatre ans.

Il y en a même, tel François Gendron, qui réussissent l'exploit de rester en place pendant quarante ans. Bel exemple de renouveau politique (sic). « Le politique », par contre, vise à assurer le bien-être de tous les citoyens. C'est une denrée rare de nous jours.

Mais ce triste état des lieux pourrait changer. Il fait ressortir l'importance de procéder, au plus vite, à une véritable éducation citoyenne, populaire, à la « chose politique ». Créer des lieux de rencontres, de discussions, susciter une information éclairée, fouillée, non complaisante, forcer la reddition de comptes des élu(e)s, adopter de nouveaux systèmes de vote proportionnel, il y a plein de choses à faire, si on s'y met.

Il faudra bien aussi commencer à sortir, pas à pas, d'une société consumériste à outrance qui nous mène au gouffre. Tout cela n'est certes pas une mince affaire et il faut s'attendre à ce que la partie adverse ne lâche pas le morceau sans résister...

Le résultat de l'élection présidentielle aux États-Unis, pays visiblement aujourd'hui plutôt « désuni », milite donc en faveur d'une reprise en mains du « politique » par les citoyens. Sinon, nous pouvons craindre que des « Donald Trump », il y en aura plein d'autres...