La dépendance canadienne du Québec

2016/12/06 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.

À défaut d’avoir notre indépendance politique, il semble que plusieurs en soient venus à agir comme si le Québec était déjà un pays et à faire abstraction d’Ottawa. Pourtant, à chaque jour, Ottawa décide et agit à notre place et en notre nom avec des conséquences qui, le plus souvent, nous servent très mal. En voici des exemples.

 

Le bois d’oeuvre

Un nouveau conflit commercial au sujet du bois d’œuvre est déclaré entre les États-Unis et le Canada. Son issue pourrait être très dommageable pour l’économie québécoise.

L’entente de 2006 est arrivée à échéance et l’industrie américaine a déposé une plainte, le 25 novembre dernier. L’entente était mauvaise pour le Québec, ayant mené à la perte de 23 000 emplois dans l’industrie forestière.

La nouvelle entente pourrait être pire. Dans le communiqué conjoint signé avec Barack Obama, en juin dernier, le premier ministre Trudeau ne fait nullement référence au régime québécois et ouvre même la porte à ce qu’un futur accord englobe le secteur de la deuxième transformation.

Afin de se conformer aux règles de l’ALÉNA, le Québec a revu son régime forestier en profondeur. Un système d’enchères a été mis en place pour déterminer le prix du bois afin qu’il ne fasse plus l’objet de droits de douanes compensatoires, de taxes états-uniennes ou de quotas.

Tout cela semble avoir été fait en vain. Afin de ne pas porter ombrage au modèle de la Colombie-Britannique, Ottawa préfère ne pas défendre le régime québécois à Washington.

Alors que l’industrie québécoise veut mener la bataille juridique jusqu’au bout et faire reconnaitre son système, l’industrie de la Côte ouest réclame, le plus rapidement possible, une entente du même type que celle de 2006. Et tout indique, pour l’instant, qu’Ottawa penche dans ce sens.

Le climat humide et doux de la Colombie-Britannique favorise une croissance rapide des arbres. L’industrie forestière est dominée par de grosses entreprises et ses coûts d’exploitations sont bas. Elle s’accommode bien de droits de compensation ou de quotas, d’autant plus qu’elle exporte beaucoup de billots non sciés, qui sont faiblement taxés, et qu’une bonne partie de sa production prend le chemin de l’Asie.

Si l’industrie québécoise réussit à se défendre jusqu’au bout, tout porte à croire qu’elle gagnerait sa cause. Pour ce faire, elle a besoin de garanties de prêts pour compenser les droits de douanes punitifs, qui seront mis en place pendant le conflit. C’est ce qu’elle réclame d’Ottawa.

En 2006, sans soutien et acculée à la faillite, elle avait dû se résigner à accepter une mauvaise entente. Celle-ci nous a couté 23 000 emplois et la part québécoise des exportations de bois d’œuvre aux États-Unis a chuté à 18,5 %, alors qu’elle était traditionnellement de 24 %.

Avec un gouvernement à-plat-ventriste devant Washington, qui semble encore une fois afficher sa préférence pour l’industrie de l’Ouest, l’industrie forestière québécoise se trouve de nouveau mise en danger.

Ce sont donc 60 000 emplois en régions qui sont en jeu, tout comme notre occupation du territoire, 250 villes et villages, dont 120 communautés rurales qui dépendent exclusivement de la forêt.

Sans vouloir présumer du résultat du nouveau conflit du bois d’œuvre, nous allons tout faire, au Bloc Québécois, pour qu’Ottawa défende l’industrie québécoise, mais la gestion du conflit illustre comment Ottawa ne défend pas le Québec, son modèle et son économie.

 

L’industrie textile

Malheureusement, le cas du bois d’œuvre n’est pas une exception. Les dossiers où Ottawa laisse tomber le Québec sont nombreux et constituent la règle générale.

En 2002, l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a conduit à l’effondrement de notre industrie textile. Ottawa avait promis un accompagnement et une aide pour la transition, mais n’a finalement rien fait.

Trois ans plus tard, 40 000 emplois étaient perdus, au moment où Ottawa coupait dans l’assurance-emploi, abandonnant les employés à leur sort. À titre illustratif, il n’est pas étonnant que le taux de chômage sur l’Île de Montréal dépasse toujours les 10 %.

 

L’industrie pharmaceutique

Rien non plus pour stopper l’effondrement de l’industrie pharmaceutique au Québec et son déplacement vers l’Ontario. Un coup de pouce d’Ottawa lui aurait permis de se démarquer à l’échelle nord-américaine.

Avec la signature de l’Accord de libre-échange Canada-Europe et la mort annoncée de l’accord entre les États-Unis et l’Europe, le Québec aurait pourtant tout ce qu’il faut pour être une interface entre les pharmaceutiques suisses et le marché américain. De plus, Donald Trump a annoncé vouloir importer davantage de médicaments du Canada, afin de faire baisser le prix des produits pharmaceutiques aux États-Unis.

Rien n’indique qu’Ottawa a un quelconque intérêt à appuyer le Québec en ce sens.

 

La gestion de l’offre en agriculture

Le gouvernement fédéral délaisse nos agriculteurs, en permettant la multiplication des brèches dans la gestion de l’offre. Le lait et le poulet en provenance des États-Unis passent la frontière sans qu’Ottawa n’intervienne pour régler la situation. 

Les compensations annoncées pour les producteurs fromagers et laitiers suite à l’adoption de l’Accord de libre-échange Canada-Europe sont insuffisantes et désavantagent le Québec.

Qu’on le veuille ou non, le prix de la dépendance du Québec est d’aliéner une foule de pouvoirs et de décisions à l’État d’une nation qui travaille d’abord pour elle-même. Le résultat est que l’avancement de leur nation se fait au détriment de la nôtre.

 

L’industrie aérospatiale

Lorsque GM a fermé son usine automobile à Boisbriand, Jean Chrétien n’a rien fait. Son argument était que l’Ontario avait l’automobile et le Québec, l’aéronautique. Aussi, lorsque l’industrie automobile ontarienne a connu des difficultés, lors de la crise de 2008, Ottawa n’a pas hésité à allonger les milliards pour venir à sa rescousse.

Pour l’industrie aéronautique québécoise, c’est autre chose. Québec n’a pas reçu sa juste part des programmes d’aides, l’Ontario raflant la part du lion. Ottawa n’a rien offert lors des mises-à-pied de Bell Helicopter, CAE et Bombardier.

Ottawa continue à repousser dans le temps l’annonce d’un soutien financier à la Série C de Bombardier, fragilisant l’entreprise québécoise et la forçant à rationaliser ses autres opérations. Tout porte à croire que les banques torontoises ont convaincu Ottawa d’exercer des pressions pour que Bombardier se départisse de ses actions multi-votantes, la rendant ainsi vulnérable à une prise de contrôle extérieure.

Avec la modernisation de l’aéroport Pearson, Ottawa a décidé de déplacer le centre du trafic aérien canadien de Montréal vers Toronto. À Toronto, les pistes ne sont même pas adaptées pour l’atterrissage des avions de la Série C de Bombardier.

Au lieu de forcer Air Canada à respecter la loi fédérale l’obligeant à effectuer l’entretien de ses avions principalement au Québec, le gouvernement Trudeau a changé la loi, abandonné les travailleurs d’Aveos et affaibli la grappe aéronautique québécoise.

Pourtant, la privatisation d’Air Canada avait comme contrepartie une garantie en béton que l’entreprise devrait toujours faire l’entretien de ses appareils, principalement dans le Grand Montréal et, secondairement, à Toronto et Winnipeg.

De toute évidence, avec le déclin de son poids démographique et économique, le Québec est marginalisé dans la fédération. Quand Ottawa devrait intervenir pour le Québec, le plus souvent nos besoins sont ignorés. Les députés québécois des partis fédéralistes ne défendent plus leur nation, l’unité de leur parti passant avant leurs commettants.

Face à cette réalité, le demi-État québécois peine à compenser l’inaction de l’État canadien.

 

Les pipelines

Malgré les enjeux environnementaux, les trois partis pancanadiens défendent la construction de nouveaux pipelines, comme Énergie Est et Keystone, afin de doubler la production de pétrole de l’exploitation des sables bitumineux. Peu importent les graves risques de contamination de nos cours d’eau et l’impact sur le réchauffement climatique, les emplois dans les provinces de l’Ouest sont plus importants. Réalité canadienne oblige, même le Parti Vert appuie l’exploitation des sables bitumineux!

Encore aujourd’hui, selon les groupes environnementalistes, Ottawa subventionne les hydrocarbures à hauteur de 3,3 milliards $ par année.

Si de tels montants avaient été utilisés pour développer l’économie verte et l’électrification des transports, domaines privilégiés au Québec, tout porte à croire que nous pourrions aujourd’hui occuper une place de leader mondial dans une industrie prometteuse.

À la place, la population du Québec, via ses taxes et impôts, soutient une industrie moribonde, qui va à l’encontre de ses intérêts économiques.

À cet égard, la forte appréciation du dollar canadien au cours des années 2000, causée par la hausse du prix du pétrole et son exportation, a sérieusement contribué à plomber notre secteur manufacturier. Face à cette hécatombe, Ottawa n’a adopté aucune mesure ou stratégie industrielle pour atténuer ce choc, pourtant tout à fait prévisible.

Dans la lutte aux changements climatiques, Québec risque de ne pas recevoir sa part d’aide pour ses efforts de réduction d’émissions réalisés depuis Kyoto. Sans de fortes pressions contraires, Ottawa risque fortement de ne reconnaître que les gestes à venir, avantageant ainsi les autres provinces au détriment du Québec. Voici le prix à payer pour être premier de classe dans la fédération!

 

L’industrie maritime

La situation est la même pour l’industrie maritime. Ottawa a octroyé ses contrats de construction de navires à Irving, en Nouvelle-Écosse. La valeur de ces contrats est telle que l’entreprise de la province maritime n’est pas en mesure de les honorer, accumulant retards et dépassements de coûts.

Au même moment, le chantier de la Davie à Lévis a été écarté, menaçant sa survie. Comme si une voie maritime comme le Saint-Laurent pouvait exister sans la présence ne serait-ce que d’un seul chantier naval!

 

L’hydro-électricité

Un des dossiers les plus enrageants est celui de Muskrat Falls, dans le Bas Churchill. Afin de concurrencer les exportations d’Hydro-Québec, Terre-Neuve a décidé de construire une importante centrale hydroélectrique et un câble sous-marin afin de contourner le Québec pour exporter l’électricité.

La province n’ayant pas les reins assez solides pour le développement d’un tel projet, elle a demandé l’appui financier d’Ottawa. Tous les partis fédéralistes ont appuyé la demande et la décision d’Ottawa d’une garantie d’emprunt de 5 milliards $. Nous sommes devant une situation où nos impôts servent à financer un projet qui va concurrencer directement Hydro-Québec. Rappelons que la société d’État québécoise n’a jamais reçu aucun soutien d’Ottawa.

Cette injustice majeure est doublée d’un véritable fiasco dans la gestion du projet. La province multiplie les bourdes, faisant exploser les coûts. L’économiste Jean-Thomas Bernard évalue à 22 ¢/kWh le coût de production de l’électricité, alors que le prix de vente à l’exportation tourne aux environs de 4 ¢/kWh.

On parle d’un endettement de 15 000 $ par habitant de Terre-Neuve, uniquement pour ce projet non rentable. Il est donc clair que c’est Ottawa qui va payer.

Face à ce dérapage, Ottawa a fait passer son soutien de 5 milliards $ à près de 8 milliards $ et a laissé la porte ouverte à un financement supplémentaire. Le gouvernement fédéral laisse même sous-entendre la possibilité d’imposer la construction d’une ligne de transport d’électricité en sol québécois pour relier le Labrador à l’Ontario.

 

La Commission des valeurs mobilières

Les exemples où Ottawa sert mal le Québec sont nombreux. Après le rachat de la Bourse de Montréal par celle de Toronto et sa fermeture, Ottawa cherche à fusionner et centraliser au Canada anglais les commissions des valeurs mobilières.

Une telle fusion entraînerait la disparition de l’Autorité des marchés financiers et avantagerait encore une fois le secteur financier torontois. Le Québec perdrait ici une autre de ses compétences.

 

Les sièges sociaux

La présence de nombreux sièges sociaux d’entreprises à Montréal et au Québec est une composante importante de notre modèle économique. Le reste du Canada compte peu de sièges sociaux, son économie étant surtout basée sur la présence de filiales américaines.

Ottawa s’intéresse donc peu à leur maintien et ne fait rien pour contrer leur déménagement. Le cas de la vente de Rona à l’américaine Lowe’s l’a démontré. Le gouvernement fédéral, et non celui du Québec, avait le pouvoir de garantir le maintien du siège social de Rona à Boucherville.

2 000 emplois de qualité dépendent directement du siège social de Rona. Près de la moitié des achats de l’entreprise sont effectués auprès de fournisseurs québécois. Les relations de ces derniers deviendront nettement plus difficiles, puisqu’ils devront vraisemblablement négocier avec le géant Lowe’s, dont le siège social est situé dans le sud des États-Unis.

 

La recherche et le développement

Le Québec est un champion dans les secteurs de haute technologie; les autres provinces ne le sont pas. L’économie du reste du Canada reposant principalement sur la présence de filiales de compagnies états-uniennes, il se fait donc très peu de recherche et développement (R&D) en entreprise dans les autres provinces.

La situation est telle que le Grand Montréal est le deuxième pôle en importance en Amérique du Nord en R&D, après la Silicon Valley. Près de la moitié des exportations technologiques canadiennes proviennent du Québec.

Comme la R&D n’est pas un enjeu dans les autres provinces, Ottawa n’appuie à peu près pas nos entreprises des secteurs de haute technologie qui font de la R&D. On préfère soutenir la recherche industrielle en milieu universitaire et les transferts de technologies qui s’ensuivent. C’est la réponse du gouvernement fédéral à la quasi absence de R&D dans les entreprises hors Québec.

Encore une fois, la structure de l’économie québécoise diffère grandement de celle du Canada et le fédéral adapte ses politiques afin de soutenir l’économie de sa nation, au détriment de la nôtre.

 

L’économie sociale et programmes sociaux

Il n’est pas étonnant que le gouvernement fédéral ne fasse rien pour soutenir l’économie sociale. Ce modèle est propre au Québec et pratiquement inexistant ailleurs au Canada.

Au chapitre des services sociaux, Ottawa se retire du financement de la santé, de l’éducation et des autres services. Cela accroît la pression sur les finances publiques du Québec et justifie les politiques d’austérité.

Dans ses dernières modifications à l’assurance-emploi, Ottawa a mis un régime particulier pour les régions touchées par la baisse des cours du pétrole, désavantageant les régions du Québec qui comptent pourtant parmi les premières victimes de la réforme précédente, qui avait pour cible le travail saisonnier.

Dans les services sociaux, on assiste aussi à une forme de concurrence entre les niveaux de gouvernement. Par exemple, le Québec a adopté une politique globale de lutte à l’itinérance, allant de la prévention à la réinsertion sociale, alors qu’Ottawa se concentre dans l’hébergement pour itinérants. Les montants versés sont difficiles à prévoir et les mesures d’Ottawa s’arriment mal à la politique québécoise.

Même chose pour la politique familiale. Alors que le Québec a décidé de favoriser les services de garde avec sa politique des CPE, le gouvernement Trudeau privilégie les allocations familiales. Mises en communs, sous la juridiction d’un seul gouvernement, ces ressources auraient permis d’offrir une politique familiale plus efficace.

 

Des prix de consolation

Qu’on le veuille ou non, le Québec est encore une province canadienne. La nation québécoise continue à être administrée par le Canada anglais, qui gère les politiques économiques et sociales d’abord en fonction de ses intérêts.

Dans la plupart des cas, cela signifie un manque de soutien d’Ottawa pour le Québec, ce qui entraîne un ralentissement de notre développement. Face à cette situation, la péréquation représente un bien pauvre prix de consolation. Il en est de même du programme des infrastructures du gouvernement Trudeau. Des prix de consolation largement payés par les impôts que nous versons à Ottawa!

Tant que le Québec demeurera au sein de la fédération canadienne, il sera condamné à être privé des outils dont dispose l’État central pour développer l’économie en fonction des intérêts du Canada anglais. S’ensuit pour le Québec un combat à armes inégales pour se tailler une place dans l’économie mondialisée.