Trump et le Québec

2016/12/07 | Par Pierre Dubuc

Que les bien-pensants se rassurent, la bible des milieux d’affaires internationaux ne prédit pas une révolution prolétarienne. Mais le magazine constate que le Brexit et l’élection de Donald Trump compromettent la globalisation, de la même façon que la montée du nationalisme et la guerre avaient mis fin à l’âge d’or du libre-échange au début du XXe siècle.

Cependant, contrairement à il y a cent ans, la critique de l’ordre économique et social existant ne provient pas de la gauche, mais bien de la droite.

Dans ce contexte de grande turbulence appréhendée, le très néolibéral The Economist célèbre « l’exceptionnalisme canadien ». Parmi les pays occidentaux, le Canada fait bande à part avec des politiques pro-immigration, pro-libre-échange et pro-stimuli-fiscaux.

Mais tout risque d’être chamboulé avec l’arrivée de Trump. Bien sûr, à Calgary, Ottawa et Bay Street, on célébrera l’autorisation donnée au projet d’oléoduc Keystone, mais les réjouissances risquent d’être de courte durée si Trump encourage, comme il l’a promis, l’extraction du pétrole de schiste, ce qui plombera le prix du pétrole et compromettra la rentabilité de l’exploitation des sables bitumineux.

En juin 2010, le Conseil international du Canada (CIC), un think tank parrainé par l’élite économique du Canada, publiait un document intitulé « Un Canada ouvert : Stratégie de positionnement mondial à l’ère des réseaux », présenté par ses auteurs comme aussi important que l’avait été la politique protectionniste du ministre Walter Gordon au début des années 1960 et celle qui lui a succédé, au début des années 1980, de la Commission Macdonald en faveur du libre-échange avec les États-Unis.

Le CIC remettait en question la politique d’alliance avec les États-Unis en notant que « le libre-échange génère des rendements à la baisse ». Mais, six ans plus tard, les États-Unis sont toujours le marché qui accueille 77 % des produits canadiens et la classe d’affaires cache mal sa nervosité devant la remise en question de l’ALENA, même si le Mexique est la cible principale de Trump.

L’attitude de Trump à l’égard de la Chine et de l’Asie en général est un autre sujet d’inquiétude. Le CIC recommandait à l’élite économique, culturelle et politique canadienne un « pivot » vers l’Asie, principalement la Chine et l’Inde, en s’appuyant sur les 3,7 millions de Canadiens d’origine asiatique. Harper a pris ce virage avec réticences, mais Trudeau avec grand enthousiasme.

Cependant, l’abandon du traité de libre-échange transpacifique et la menace d’une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine n’augurent  rien de bon pour le Canada.

De même, les relations avec l’Europe sont imprévisibles. Le traité de libre-échange Canada-Europe devait servir de modèle à un traité Europe-États-Unis, auquel plus personne ne croit.

D’un point de vue géostratégique, le rapprochement avec l’Europe avait pour objectif de consolider l’alliance militaire de l’OTAN contre la Russie. Dans cette perspective, l’oléoduc d’Énergie Est aurait permis d’alimenter l’Europe en pétrole canadien et réduire sa dépendance au pétrole et au gaz russes.

Le rapprochement de Trump avec Poutine est fort probablement le signe que les États-Unis ont compris qu’ils ne peuvent pas affronter en même temps la Russie et la Chine. À l’époque, Nixon avait créé une commotion mondiale en se rendant serrer la main à Mao en Chine, pour sceller leur alliance contre l’Union soviétique. Aujourd’hui, c’est au tour de Trump et Poutine de se faire de beaux yeux.

En Europe, la Russie peut compter sur l’appui de la Hongrie, de la Bulgarie, de la Moldavie et probablement de la Turquie. De plus, de nombreux partis politiques, aujourd’hui dans l’opposition ne cachent pas leur sympathie à l’égard de la Russie. En France, les deux candidats susceptibles de s’affronter au deuxième tour de l’élection présidentielle au mois de juin prochain, Marine LePen et François Fillon, entretiennent des relations cordiales avec Poutine et la Russie.

Pour remplacer les relations rompues avec l’Union Européenne par suite du Brexit, des analystes prédisent que la Grande-Bretagne cherchera à intensifier sa « relation spéciale » avec les États-Unis, mais aussi avec les pays du Commonwealth dont, évidemment, le Canada.

Ces bouleversements sur la scène internationale, les changements d’alliance, le Brexit et l’arrivée de Trump vont inévitablement toucher le Canada et le Québec.

Nous n’en mesurons pas encore l’ampleur et les répercussions. Mais, déjà, il semble bien que Trump va cibler les exportations canadiennes de bois d’œuvre et de bestiaux. Il pourrait aussi remettre en question la gestion de l’offre en agriculture. Dans le secteur industriel, il va de toute évidence favoriser le Buy American Act. Trois domaines qui affecteront les exportations québécoises.

Dans tous les cas, le Québec ne pourra compter sur l’appui d’Ottawa. Lors de la crise de 2008, le gouvernement fédéral a investi des milliards pour soutenir l’industrie automobile en Ontario, mais à peine quelques centaines de millions pour l’industrie forestière au Québec. Dans les négociations pour les accords de libre-échange transpacifique et Canada-Europe, il a sacrifié l’agriculture québécoise.

Dans le document du CIC, le Québec était totalement absent. Preuve qu’il ne figure plus dans la planification stratégique de l’élite financière et économique canadienne. Ses intérêts sont sacrifiés au profit du Canada anglais, comme en témoigne éloquemment le dossier de Gabriel Ste-Marie (La dépendance canadienne du Québec).

Néanmoins, le Québec écopera de sa part de la dette astronomique qu’est en train de constituer le gouvernement Trudeau, un fardeau qui sera d’autant plus lourd si les stimuli n’entraînent pas une relance économique digne de ce nom.

Pour la défense de nos intérêts, nous ne pouvons pas non plus compter sur « l’État succursale » québécois, complètement inféodé à l’État fédéral et à l’élite financière internationale, comme le démontre brillamment Simon-Pierre Savard-Tremblay dans son livre L’État succursale. La démission politique au Québec (vlb éditeur).

Le dernier projet asservissant est la vente d’électricité à l’Ontario, une politique à laquelle le Québec s’est toujours historiquement opposé parce qu’il signifie l’exportation d’emplois dans la province voisine, plutôt que l’utilisation de notre potentiel hydro-électrique pour attirer des investissements créateurs d’emplois.

Le Brexit, l’élection de Trump et la montée de la droite, voire de l’extrême-droite, en Europe vont modifier considérablement la configuration des forces politiques aux plans mondial, nord-américain et canadien. The Economist parle de Révolution. Celle-ci ne présage rien de bon pour la classe ouvrière et la nation québécoise. La vigilance sera de mise.

Ayant remisé l’objectif de l’indépendance, il est prévisible que le Parti Québécois se désintéresse de ces questions de politiques macro-économiques et de politique étrangère pour se concentrer sur les politiques provincialistes.

Heureusement, le Bloc Québécois, malgré des ressources extrêmement limitées, veille au grain. C’est pourquoi nous ouvrons et continuerons d’ouvrir nos pages et notre site Internet à ses représentants.