Chili : le modèle craque, le gouvernement est déboussolé

2017/01/09 | Par José Del Pozo

L’auteur est professeur associé, dép.d’histoire, UQAM

Depuis la fin de la dictature, en 1990, le Chili a été considéré pendant longtemps comme un cas exemplaire de réussite en Amérique latine. Suivant le modèle néolibéral hérité de la dictature, le pays austral connaissait une croissance économique soutenue, accompagnée d’une certaine diminution de la pauvreté. En plus, son système politique était d’une remarquable stabilité, et le Chili était l’un des rares pays de la région à ne pas être frappé par la corruption au sein de ses élites dirigeantes.

Cette image positive s’estompe de plus en plus. Depuis quelques années, les manifestations de mécontentement avec la situation sociale, caractérisée par de fortes inégalités, se font sentir. Cela a commencé avec les manifestations des étudiants du secondaire en 2006, qui réclamaient un meilleur système d’éducation publique.

Ce mouvement fut relayé en 2011 par les étudiants universitaires, qui protestèrent massivement contre le coût très élevé des études supérieures.

En 2013 ce fut le tour de la « marche des malades », qui réclamaient une loi permettant de rendre le prix des médicaments plus accessibles aux personnes atteintes de maladies graves.

Et au cours de cette année, des protestations massives se sont élevées contre le système de pensions implanté en 1981 par le régime militaire, basé sur les cotisations individuelles, sans participation de l’État ni des employeurs, avec comme résultat que la grande majorité de la population se retrouve avec des pensions inférieures à 300 dollars par mois au moment de la retraite.

Jusqu’à maintenant, le gouvernement, pris de court, n’a pas présenté un projet concret pour répondre à cette dernière demande. Le modèle hérité de la dictature, basé sur la prédominance du privé et par un désinvestissement de l’État en matière des services publics, commence à craquer de toutes parts.

Fait à noter : si les Chiliens manifestent massivement dans la rue, c’est parce qu’ils ne semblent pas croire que la solution aux problèmes viendra des politiciens. C’est la société qui a fait bouger les autorités, qui se limitent à réagir.

Résultat : la désaffection envers tous les partis traditionnels, autant de droite comme de gauche, est palpable. Cette attitude s’était manifestée déjà lors de l’élection présidentielle et parlementaire de 2013, par un anémique taux de participation de 40%, un creux jamais atteint auparavant.

Le phénomène va sûrement s’accentuer, puisque plusieurs parlementaires ont été accusés – et certains ont été trouvés coupables - de manœuvres illégales pour financer leurs campagnes électorales.

Et la présidente Michelle Bachelet se retrouve sur la sellette depuis février 2015, alors que sa belle-fille, Natalia Compagnon, et son fils aîné, Sebastián Dávalos, furent accusés d’avoir obtenu un prêt de faveur d’une banque et d’avoir utilisé cet argent dans un investissement qui avait rapporté gros, sur la base d’informations privilégiées auxquelles ils n’auraient pas dû avoir accès.

Même si la présidente a toujours nié avoir eu connaissance de cette affaire, sa popularité est en chute libre depuis cette date et atteint aujourd’hui un maigre 24%, alors qu’elle était de 80% en 2013.

Pourtant, le gouvernement Bachelet avait entamé, dès 2014, des réformes ambitieuses. Sur le plan social, une loi a été approuvée, qui accordait la gratuité des études universitaires, d’abord en faveur des étudiants en provenance de familles à bas revenus, et que couvrira progressivement la totalité des étudiants d’ici les prochaines années. Une autre loi a donné un peu plus de pouvoirs aux syndicats.

Ces réformes ont été néanmoins considérées insuffisantes par leurs bénéficiaires. Au niveau politique, on a mis sur pied un nouveau système de vote basé sur la proportionnelle, une vieille aspiration de la gauche, et les Chiliens résidents dans d’autres pays pourront voter pour la première fois lors de l’élection de 2017.

Enfin, le gouvernement a présenté au pays, en octobre 2015,  un projet en vue de doter le Chili d’une nouvelle constitution, afin de remplacer celle implantée durant la dictature, qui reste en vigueur malgré quelques réformes importantes en 2005.

Mais le gouvernement a depuis août cessé de faire référence à ce projet, et les étapes annoncées pour le deuxième semestre de l’année en cours semblent remises aux calendes grecques.

Ainsi,  le taux d’approbation du gouvernement demeure assez bas, aux alentours de 25%. Un taux de croissance faible, d’environ 2% en moyenne durant l’année, contribue à garder une ambiance morose. Les autorités ont dernièrement multiplié les bourdes sur toute sorte de sujets, comme les nombreuses erreurs commises dans les inscriptions électorales, lors de la dernière élection municipale. Et on n’a pas trouvé une réponse satisfaisante  aux revendications des autochtones, qui réclament la récupération de leurs terres dans le sud.

Déboussolé, le gouvernement semble attendre l’élection de novembre 2017 afin de décider si l’on s’attaquera finalement à l’héritage néolibéral ou si le tout continuera avec des réformes à la pièce.

Deux anciens présidents, Ricardo Lagos et Sebastián Piñera, ont déjà commencé à se pointer comme des candidats possibles. Face à eux, un regroupement de nouvelles forces de gauche, dont les têtes d’affiche sont les jeunes députés Giorgio Jackson et Gabriel Boric, tous les deux issus de la génération de leaders du mouvement de la contestation étudiante, commence à prendre forme. Elle pourrait constituer une alternative pour les électeurs désabusés avec les partis traditionnels, même si il est trop tôt pour mesurer ses chances de succès.