La gauche et l’allocation universelle

2017/01/09 | Par Pierre Dubuc

À la fin de l’année 2016, paraissaient deux nouvelles en apparence contradictoires. D’une part, le taux de chômage serait à son plus bas depuis 30 ans à Montréal et le nombre d’assistés sociaux à son plus faible niveau depuis 40 ans, alors que, d’autre part, jamais autant de personnes n’auraient eu recours aux banques alimentaires.

Le paradoxe s’explique par l’augmentation spectaculaire du travail à temps partiel, des emplois temporaires et du nombre de travailleurs autonomes. Avec la « flexibilisation » du travail, la part des personnes occupant un emploi atypique dans l’emploi total au Québec est passée de 16,7% en 1976 à plus de 37,7% en 2009. Présentement, 13,5% de la population a le statut de travailleur autonome, ce qui représente 560 000 personnes.

Cette situation n’est pas particulière au Québec. Elle est généralisée dans l’ensemble des pays occidentaux. C’est ce qui explique l’intérêt nouveau pour l’Allocation universelle, appelée également Revenu de citoyenneté ou Revenu de base.

Des expériences sont en cours en Finlande et dans d’autres pays et le sujet est un des principaux thèmes de la primaire du Parti socialiste en France.

Au Québec, les éditions Lux ont publié récemment « Contre l’allocation universelle », un recueil de textes d’auteurs européens, dont on nous dit qu’il « n’aurait pas pu voir le jour » sans la contribution de Gabriel Nadeau-Dubois.

Après avoir rappelé que l’idée d’une allocation universelle est soutenue tant par des intellectuels de gauche que de droite, le recueil la présente comme ne semblant « pas être l’aboutissement de nombreuses conquêtes sociales passées mais, au contraire, l’alternative à leur abandon ».

« Dans cette mesure, résume-t-on dans l’introduction du recueil, se dessine plus généralement un projet intellectuel et politique qui vise à liquider une certaine conception de la justice sociale ainsi que l’héritage institutionnel de l’après-guerre. Ce projet, loin d’être une étape vers le progrès social, n’est qu’une des aberrations engendrées par le néolibéralisme dans notre imaginaire social. L’allocation universelle est, en ce sens, l’expression la plus aboutie de l’utopie du libre-marché. »
 

Le précariat

La critique de l’allocation universelle est bienvenue, mais son attrait demeurera très fort auprès de cette importante couche sociale qui vivote dans la précarité en voyant les milliards détournés dans les paradis fiscaux et les revenus de ces patrons qui ont dépassé le revenu annuel moyen des Canadiens au salaire minimum (22 100 $), dès 14 h 07 du tout premier jour de l’année.

Le professeur britannique Guy Standing qualifie de « dangereuse » cette couche sociale, qu’il a définie sous le terme de « précariat », une contraction de « précaire » et « prolétariat ».

Il montre qu’elle est une clientèle cible pour des partis d’extrême-droite, comme le Front national de Marine Le Pen en France ou du Mouvement 5 étoiles du clown Beppe Grillo en Italie, qui a fait élire 164 parlementaires et sénateurs, dont la majorité viennent du précariat.

Standing propose une Charte du précariat en 26 points – dont la majorité sont des demandes de modifications aux lois du travail – mais dont l’axe principal est le revenu universel.

Dans notre livre « Le droit au revenu de citoyenneté. Entre la gauche et la droite », nous présentons l’essentiel de l’analyse et de la proposition de Standing.

La critique de l’allocation universelle, comme s’y emploie le recueil de Lux, est essentielle mais, faute de proposition alternative autre que le maintien du statu quo, il sera difficile d’empêcher le précariat de tendre l’oreille aux sirènes de la droite – voire de l’extrême droite – comme nous l’enseigne l’exemple européen.

C’est dans le but d’élargir le débat, susciter une véritable réflexion et encourager l’élaboration de propositions en provenance de la gauche que nous avons publié une brève synthèse des différentes écoles de pensée – de droite et de gauche – dans notre livre « Le droit au revenu de citoyenneté. Entre la gauche et la droite. »

Pour un sommaire du livre et se le procurer, cliquez ici.