Garder la ligne

2017/01/16 | Par Hind Sadiqi

M. Rioux,

C’est une dorade de la Méditerranée en voie d’extinction qui vous écrit aujourd’hui, parce qu’elle ne sait pas trop comment se sentir à la lecture de votre article « La « diversité » ou la tarte à la crème ». Franchement, je ne pense pas que vous ayez faux sur toute la ligne. Votre texte aurait pu être un article qui réveille et challenge la norme. Sauf votre respect, le résultat final est malheureusement un discours décousu teinté de xénophobie.

J’ai envie de commencer par vous poser une simple question. Pourquoi avoir aborder autant de sujets à la fois? Tantôt, on parle d’humoristes « ethniques », tantôt des universités américaines, puis des quotas sur la diversité, puis de mondialisation. On essaye de nous faire croire que tous les sujets abordés sont rattachés par la même base, la même gangrène qu’est la diversité. Alors qu’on a de la difficulté à s’y retrouver, vous flirtez dangereusement avec tantôt des pensées tranchées (par exemple, aucune note sur l’apport positif de l’immigration), tantôt des idées éclairantes (par exemple, la fable de la Fontaine qui se veut frauduleusement une conclusion à l’article). On finit, au mieux, étourdi par toutes ces informations effleurées plus qu’abordées sans trop savoir quoi penser et, au pire, complètement décontenancé par le sophisme caractéristique de votre message.

Vous trouvez votre comparaison des immigrants avec du poisson bon marché « un peu triviale ». Non monsieur. Elle est insultante et surtout erronée. Comment voulez-vous que des personnes montrent leur vraie qualité si on les laisse toujours dans le fond du magasin? Qu’on les discrimine à la première entrevue? Ou par le nom exotique qui figure sur leur CV? Qu’on leur demande d’oublier tous leurs diplômes et expériences passées car ils ne valent rien ici?

Je n’aime pas parler de qualité ou de valeur humaine (le fait que les immigrants soient « inférieurs » en qualité est d’ailleurs infondé et xénophobe, vous l’entendez.) Mais puisque vous parlez de qualité, parlons de qualité. Le Québec accueille chaque jour des talents qui viennent des quatre coins du globe. Vous n’êtes pas sans savoir que les immigrants sont en moyenne plus éduqués que le reste de la population. Au-delà des diplômes, vous n’êtes pas non plus sans savoir que le seul membre québécois de l’Académie française est issu de l’immigration, ainsi que la présidente de Médecins sans Frontières. Sans oublier plusieurs politiciens, hommes d’affaires et journalistes québécois, pour ne nommer que quelques-uns de ceux que vous insultez outrageusement par votre comparaison. Je rêve du jour où ces personnes ne seront pas des exceptions et où on verra aussi parmi eux plus de personnes immigrantes de première génération qui sont souvent les premiers sacrifiés. Je ne parle pas non plus du fait que les immigrants sont simplement essentiels à l’économie du Canada où le nombre de naissance par habitant est insuffisant pour assurer une pérennité à la nation. Il faut arrêter de penser qu’on nous fait un cadeau en nous accueillant ici ; la vérité est beaucoup plus complexe.

Par ailleurs, certes la diversité en soi n’est pas une valeur, mais la volonté de la souligner se rattache à celles de l’égalité et de la justice pour tous. Il y a une différence apparente entre forcer une diversité parfaite et systématique et vouloir une représentativité juste de nos populations. Par exemple, il est difficile de ne pas s’étonner du manque de diversité dans la vidéo qui souligne le 375e de la ville la plus cosmopolite du Québec, ou encore de son absence flagrante dans les médias ou les arts. Dans quel monde vivons-nous si vouloir mettre de l’avant notre diversité et une chance égale pour tous est considéré factice? Rappelez-vous les luttes que les femmes ont tenues et qu’elles tiennent toujours pour avoir une voix égale dans nos politiques et dans les leviers de changement, qui sont encore trop tenus exclusivement par des hommes. Ces hommes seraient-ils des Mohammed ou des Zhang? Vous savez très bien que non.

Vous avez aussi voulu comparer la diversité telle que vécue dans d’autres sociétés. Je me méfie toujours de ces amalgames avec nos voisins du sud et ceux du vieux continent. Notre réalité québécoise par rapport à l’immigration est tout à fait différente. Je vous invite à revoir vos leçons d’histoire.

D’ailleurs, on peut être pour ou contre les quotas de diversité dans le monde professionnel ; c’est un sujet intéressant à débat. Par contre, vous insinuez encore une fois que de miser sur la diversité veut nécessairement dire perdre en qualité de travail et d’égalité des citoyens. Or, ce qu’on observe présentement c’est bien l’inverse : une sous-représentation des immigrants, des femmes et de plusieurs autres minorités (les personnes à mobilité réduite et les personnes transgenres par exemple). L’idée des quotas est donc un projet bien des temps modernes qui a toute sa légitimité.

Je finis comme j’ai commencé ; par une question : pensez-vous que c’est du sexisme inversé que de vouloir que plus de femmes accèdent à des postes de direction dans notre société? Aujourd’hui, on n’aurait pas autant de bel exemple de leadership féminin si on avait continué à penser comme vous, Monsieur Rioux. Et personnellement, j’attends le jour où on fera pareil pour les autochtones et les immigrants.

Je vais m’arrêter là même si j’aurais encore plein de choses à vous dire M. Rioux. J’espère que ce texte vous parviendra, même si l’opinion d’une petite dorade venue de la Méditerranée et échouée quelque part à Montréal ne titille pas vos papilles gustatives!