L'insoutenable légèreté de... l'information

2017/01/20 | Par Michel Saint-Laurent

Paraphrasant le titre de l'oeuvre de l'écrivain tchèque Milan Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être, j'aimerais jeter un oeil un tantinet critique sur l'état de l'information dans notre société. Il est admis qu'en démocratie, l'information revêt un caractère primordial afin d'éclairer les citoyens et leur permettre de faire des choix judicieux quant à la gouverne de leurs affaires. Un individu bien informé sera en mesure, pense-t-on, de mieux évaluer ceux et celles qui le gouvernent, à tous les échelons de gouvernance. Il pourra rendre redevables de leurs actes les soi-disant élites, quelles qu'elles soient.

Cependant, pour ce faire, le citoyen doit être bien informé. Qu'en est-il donc de la qualité de l'information, ici au Québec?

La quantité est certes au rendez-vous, sur maintes plates-formes, mais je crois que l'on est en droit de se questionner sur la qualité, la pertinence et le sérieux de l'information qu'on nous y sert. Je pense en particulier aux dits réseaux sociaux, envers lesquels la vigilance s'impose. Aussi, très occupés, les gens n'ont pas toujours le temps de s'informer.

Quand ils le font ils vont, habituellement, utiliser les « grands médias de masse ». Chez nous ce sont, essentiellement, les chaînes de Radio-Canada, radio et télévision, TVA, et les journaux à grand tirage tels La Presse et le Journal de Montréal.

Il y a certes aussi, au niveau local, les journaux et radios communautaires, dont les moyens sont néanmoins assez restreints. Les grands réseaux sont donc les principales mamelles auxquelles la majorité des gens vont s'abreuver, pour s'informer. J'aimerais ici m'attarder au cas précis de la télévision de la Société d'État Radio-Canada, afin de voir si cette institution publique remplit bien son rôle de quatrième pouvoir. Enquête.

 

Le carcan de la publicité

La plus grande part du budget de fonctionnement de Radio-Canada-télévision provient de nos impôts, à hauteur de 1,2 milliard, bon an mal an. Certes, depuis un certain nombre d'années, les sommes allouées au diffuseur public ont diminué en particulier sous le règne de Stephen Harper, qui n'avait pas cette institution en odeur de sainteté. N'empêche que ce sont là de forts montants sortis de nos poches de contribuables. Sont-ils utilisés à bon escient? Sommes-nous bien informés? Y a-t-il place à amélioration?

Au fil des ans, alléguant un manque à gagner, CBC/Radio-Canada a investi de plus en plus le champ de la publicité commerciale afin de regarnir ses coffres. Or, depuis un certain temps, des voix du secteur privé se font de plus en plus pressantes, qui réclament la fin de cette pratique, jugée déloyale, étant donné l'apport de fonds publics pour la Société d'État dont eux ne bénéficient pas.  Récemment, Maxime Bernier, député fédéral de Beauce et ci-devant candidat à la direction du Parti conservateur du Canada, a lui-même enfourché ce cheval de bataille.

Dans un élan quelque peu suspect de basse partisanerie, il réclame  « moins d'émissions de cuisine, moins de sport et moins de  mauvaises copies canadiennes d'émissions populaires américaines. » Il souhaite également que la Société d'État augmente l'offre d'émissions d'affaires publiques. Il propose enfin que le diffuseur public sorte du marché de la publicité, mettant ainsi fin à ce qu'il a qualifié de « concurrence déloyale avec les autres médias ». Il estime que cela assurerait une programmation de plus haute qualité, car Radio-Canada n'aurait plus à se soucier des cotes d'écoute plus élevées pour vendre de l'espace publicitaire. Jusque-là, ce n'est pas dénué de bon sens.

Par contre, il appelle aussi à une compression du budget actuel de Radio-Canada. Il préconise plutôt des campagnes de collectes de fonds auprès du public, à l'instar de la PBS américaine et ses téléthons intermittents. Cela ne ressemble-t-il pas davantage à une envie d'étranglement qu'à une aide?

Puis, en décembre dernier, CBC/Radio-Canada, par la voix de son président-directeur général Hubert T. Lacroix, se disait elle-même prête à se retirer du marché publicitaire, à condition de recevoir une compensation d'environ 418 millions de dollars par année. Cela ferait passer son financement public à 1,6 milliard par année. Ainsi, chaque contribuable canadien verserait 46 $ par an, une augmentation de 12 $. À titre de comparaison, les citoyens versent, par habitant, 73 $ en France, 114 $ au Royaume-Uni et 143 $ en Allemagne, pour leurs diffuseurs publics.

J'avoue qu'il serait des plus intéressants que la publicité disparaisse de la Société d'État, nous libérant ainsi de ces appels incessants à la consommation... N'est-il pas affligeant que les émissions, surtout celles visant à nous informer,  soient constamment hachurées par les réclames commerciales de toutes sortes? Cependant, la disparition de la publicité en ondes apporterait-elle une amélioration de la qualité de l'information? Que ferait-on avec les nouveaux fonds?

 

L'information-spectacle

D'abord, l'élimination de la publicité à la télévision de Radio-Canada ferait-elle en sorte de mettre fin à ces annonces d'autopromotion incessantes, plusieurs fois par jour, de la part des lecteurs, lectrices de nouvelles et journalistes de cette chaîne? Sans arrêt, ceux-ci nous disent à quel point ils et elles sont bons et combien nous devrions les écouter...

N'est-ce pas de la publicité, ça aussi, impliquant des coûts qui pourraient être affectés ailleurs, à meilleur escient, dans la préparation de dossiers, par exemple? Ces « vedettes de l'info » ne pourraient-elles pas se contenter de bien faire leur travail de service public?

Puis, aurions-nous droit à plus d'entrevues de fond et moins de sensationnalisme, d'information-spectacle, avec des journalistes mieux préparés, ayant pris le temps de fouiller leurs dossiers davantage? Sans parler d'une presse de combat, l'information sur cette chaîne pourrait-elle avoir plus de mordant, de pertinence? Puis, les nouvelles, toujours les mêmes à tous les postes,  seraient-elles moins à la remorque de la simple recension des faits?

À cet égard, le conseiller municipal de Montréal, Luc Ferrandez, a dit ceci : «  Je trouve que, souvent, les médias ont une excellente attitude pour couvrir l'actualité, mais ils ont un petit retard pour percevoir le changement. » Plus de prospection donc, en amont, et de l'analyse plus poussée? Est-ce là une chimère, impossible à réaliser?

Verrions-nous la disparition de ces micros de rue ou « Vox pops » qui témoignent, avec tristesse, à quel point la plupart des gens sont mal informés? Ce souci de donner la parole au peuple, en dix secondes, n'apporte rien qui vaille. Puis, l'accaparement des nouvelles se passant dans les seules grandes villes de Montréal et Québec, avec presque rien pour les régions, cesserait-il?

Celles-ci, très souvent anecdotiques, colorées de pathos, sont trop pétries de ce « human interest », tant décrié par feu Michel Chartrand. Irions-nous aussi chercher des collaborateurs, des intervenants, des analystes autres que la même clique, toujours les mêmes, qu'on voit sans arrêt et qui radotent les mêmes idées reçues, le prêt-à-penser défini par les élites? À quand une plus grande diversité d'opinion, de tous les côtés du spectre politique?

Les politiciens et autres puissants de ce monde seraient-ils davantage traqués dans leurs retranchements, par des intervieweurs aguerris qui les forceraient à en dire plus que les « clips » de 30 secondes qu'ils nous servent? Serions-nous libérés des banalités entendues lors de leurs passages obligés à Tout le monde en parle ou à Infoman? La fin de l'information-spectacle, quoi!

Les bulletins de météo, incessants, seraient-ils moins catastrophistes? L'annonce d'une bordée de neige serait-elle moins apocalyptique? Le niveau de langue serait-il amélioré? La description des événements, dans le style d'une pièce de théâtre, dramatique à souhait, avec plein de trémolo dans la voix, serait-elle chose du passé? Somme toute, y aurait-il moins de légèreté et plus de substance?

Voilà autant de questions légitimes, parmi tant d'autres, auxquelles CBC/Radio-Canada devrait répondre. Si de réels changements dans la façon de nous informer, à la télévision d'État, survenaient, j'estime que la plupart des Canadiens seraient prêts à ouvrir leurs goussets. Mais pour ce faire, un certain examen de conscience s'impose. La Société d'État en aurait-elle le courage? La fin de l'information légère en dépend.