Des Québécois qu’on a tués…

2017/02/03 | Par Pierre Jasmin

Merci à Pascal Élie pour avoir créé cette cruelle caricature (Le Devoir le 31 janvier)

 

L’auteur est vice-président des Artistes pour la Paix

Les Artistes pour la Paix ont appelé leurs membres à se rassembler à la gare Jean-Talon (métro du Parc)  le 30 janvier 2017, en solidarité avec leurs frères et sœurs musulmanes à qui ils ont offert leurs plus sincères condoléances, suite au lâche assassinat de six membres du Centre culturel islamique de Québec le soir du 29 janvier.

Saluons la bonne réaction immédiate de la classe politique : les maires de Québec et de Montréal sont intervenus avec de bons discours pour renforcer l’esprit meurtri du vivre-ensemble, en affirmant leur confiance dans le droit et en rassurant par des mesures de sécurité policière autour des mosquées.

Nos deux premiers ministres ont su être à la hauteur, à la fois humbles, dignes et compassionnels, face aux membres désemparés de la Mosquée de Québec et face aux orphelins causés par cet ignoble massacre.

On doit certes s’auto-culpabiliser, comme la caricature le suggère, mais on peut heureusement se consoler à l’idée que c’est à Québec aussi qu’avait été votée par l’Assemblée Nationale une condamnation sans réserve et unanime de l’islamophobie et des appels à la haine et à la violence contre tout citoyen du Québec, le 1er octobre 2015, à l’incitation de Françoise David. Notre article le rappelait le 8 janvier. Elle nous manque déjà, peu de temps après son retrait de la vie politique.

Le président sortant français Hollande y est allé d’une déclaration intelligente : « C’est l’esprit de paix et d’ouverture des Québécois que les terroristes ont voulu atteindre. » Mais si lui et les médias appellent cela « attentat terroriste », ce qui se justifie par la terreur infligée aux musulmans qui veillent aussi sur huit blessés graves, ne s’agirait-il pas plutôt de « crime haineux raciste » ?

Le suspect identifié n’est pas un vétéran souffrant de stress post-traumatique, mais un jeune étudiant de l’Université Laval, Alexandre Bissonnette, un individu fragile fanatisé par des idées racistes, xénophobes, anti-musulmanes, religieuses et politiques d’extrême-droite…

Appeler cela terroriste fait le jeu de l’OTAN et des armées occidentales dans leur ballet funèbre au Moyen-Orient, en Afghanistan, au Pakistan et en Afrique du Nord, que nos dirigeants préfèrent ne pas insérer dans l’équation ni remettre en question. Une fois les funérailles officielles et le deuil respectueux à porter terminés, il faudra bien nous poser les questions essentielles à ce sujet.

Saluons la belle déclaration du président de la CSN, Jacques Létourneau : « La montée des mouvements xénophobes, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde, doit être catégoriquement condamnée. Le Québec se doit d’œuvrer vers une société juste, accueillante et inclusive, ouverte à l’ensemble de sa population. Les musulmans québécois sont une partie intégrante du tissu social au Québec et nous invitons la population à être solidaire avec eux afin de contrer la violence, la haine et le terrorisme qui frappe aujourd’hui le Québec. Ensemble, nous devons intervenir et dénoncer les gestes et propos racistes dès qu’ils se manifestent.»

Est-ce un hasard si cela s’est passé à Québec dont les radios-poubelles crachent des discours haineux contre imams, femmes voilées, Montréalais de Québec solidaire, artistes du Plateau et immigrants voleurs de jobs? Que font l’Université Laval et sa Faculté des Sciences sociales pour contrer ces discours haineux? Ont-ils jamais invité le professeur Rachad Antonius, par exemple?

Bissonnette se serait-il senti légitimé à « tuer du musulman », parce que l’armée canadienne le fait légalement et parce que le président Donald J. Trump a émis un décret excluant les immigrants de sept pays musulmans (mais pas de l’Arabie Saoudite d’où provenaient les terroristes du 9/11)?

Et si ce dernier soutient que la fermeture des frontières américaines n’est pas dirigée contre les musulmans, les débordements de ses discours n’ont-ils pas fait déraper l’Amérique du Nord entière vers l’intolérance?

Il devient opportun de rappeler l’action mémorable du pasteur Martin Niemöller, au moment où un tribun populiste prénommé Adolf, qui venait tout juste d’accéder démocratiquement au pouvoir en 1933, identifiait les Juifs comme obstacles à ses visées militaristes et à son idéal du « Make Germany Great Again ! »

Martin Niemöller, né en 1892, mort en 1984, pasteur luthérien allemand, d’abord hitlérien (lire sur wikipedia, merci à FAIR de nous l’avoir rappelé) fonde à la fin de l'année 1933 la Ligue d'urgence des pasteurs. Soutenue par des protestants à l'étranger, elle adresse au synode une lettre de protestation contre les mesures d'exclusion et de persécution prises envers les Juifs et envers les pasteurs refusant d'obéir aux nazis. Six mille pasteurs, soit plus d'un tiers des ecclésiastiques protestants allemands, rejoignent ce groupe dissident. Malgré les protestations, Martin Niemöller est déchu de ses fonctions de pasteur et mis prématurément à la retraite au début du mois de novembre 1933. Mais la grande majorité des croyants de sa paroisse décide de lui rester fidèle, et il peut ainsi continuer à prêcher et à assumer ses fonctions de pasteur.

Niemöller est arrêté en 1937, envoyé au camp de Sachsenhausen et transféré en 1941 au camp de concentration de Dachau. Libéré par la chute du régime nazi en 1945, il se consacre jusqu'à sa mort à la reconstruction de l'Église protestante d'Allemagne et prend de plus en plus de distance avec les milieux conservateurs de ses origines pour devenir un militant pacifiste. Le contenu ci-dessous est une traduction de celle reconnue définitive par la Fondation Martin Niemöller (avec un addendum de notre cru).

 

 

 

Quand le président Trump attaque les Mexicains et les musulmans, les Artistes pour la Paix ne doivent pas se taire…

Le jour du massacre, les APLP venaient tout juste d’inscrire sur leur site dans l’indifférence générale avec une vision quasi-prophétique six articles en un mois à propos de l’art de l’inclusion des musulmans (et des femmes, Premières Nations et LGBTQ). Les plus récents enregistrés portaient sur l’ouverture nécessaire à la communauté musulmane, grâce à l’initiative de Jean-Daniel Lafond et de la Fondation Michaëlle-Jean avec l’exposition tenue le 10 décembre au Musée des Beaux-arts de Montréal, ignorée par les médias francophones. On peut lire à ce sujet non pas un, mais trois de nos articles sur l’art de l’inclusion – parole aux jeunes musulmans.

Ont suivi deux articles-phares d’André Jacob, Travailler à construire la paix relève d’une conscience critique[1], puis son article-manifeste Je suis la paix, enregistré sur le site à peine trois jours avant la tuerie[2]. Les Artistes pour la Paix ont aussi proposé comme antidote au nouveau président des États-Unis, le nouveau Secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Gutteres, présenté par un article sur notre site partagé avec les Ami-es du Monde Diplomatique, l’aut’journal et le site officiel de Pugwash Canada.

On ne doit pas prendre ce dernier paragraphe comme un puéril « on vous avait avertis » adressé aux médias. Et nous ne voulons pas tomber dans la naïveté épouvantable d’accorder l’absolution aux islamistes extrémistes : nos liens avec les Kurdes nous en rappellent les exactions quotidiennes et nous avons écrit là-dessus trois articles en un mois et demi sur notre site, dont deux partagés avec l’aut’journal, car ce sujet est trop grave pour être à ce point ignoré par les médias officiels.

Merci de relayer nos prises de position, plutôt que d’inscrire des mots agressifs futiles et nuisibles sur facebook.


[1] 6 janvier 2017http://www.artistespourlapaix.org/?p=12384 L’article commence par « À l’aube de l’arrivée d’un président américain au comportement imprévisible, faudra-t-il devenir encore plus vigilant quant aux enjeux relatifs au vivre-ensemble? Et se termine par « La solidarité entre les citoyens et les citoyennes s’avère nécessaire pour réclamer le respect des droits de la masse d’exclus et un vivre-ensemble pacifique. En ce sens, l’État, les institutions sociales, les entreprises et les organisations citoyennes doivent favoriser une pleine reconnaissance des droits d’une manière responsable et proposer des politiques et des programmes d’action à caractère structurant: éducation, francisation, lutte à la pauvreté, égalité hommes-femmes, services de santé, politiques démocratiques et diplomatiques de paix au lieu de militaristes, politiques fiscales justes et autres leviers essentiels à l’intégration sociale, culturelle et économique.

[2] Déclamé par son auteur à Laval le 30 janvier au soir dans une manifestation en solidarité avec les musulmans de Québec : on y trouve l’admonestation « Vivre en paix devient alors le parapluie du vivre-ensemble harmonieux entre les êtres humains.(…) Une mouvance de l’extrême-droite populiste semble prendre racine dans plusieurs pays. Renaissent le racisme, la xénophobie, l’acceptation de la violation des droits humains fondamentaux et des droits sociaux et économiques. »