Réplique à Francine Pelletier

2017/02/08 | Par Jean-François Thibaud

À propos de votre article intitulé « Sortir de l’angélisme »,  publié dans Le Devoir du 1er février 2017

J’étais présent le lundi 30 janvier dernier à la vigile en soutien aux victimes de la tuerie dans la mosquée de Québec. Je voulais apporter mon soutien à la communauté musulmane attaquée par un Québécois d’extrême-droite. J’ai été passablement indisposé, quoique peu surpris, par les propos tenus par une bonne partie des intervenants sur la scène. Des propos en forme de raccourci avec la même prémisse de départ qu’à l’habitude, mais avec désormais une rhétorique implacable de vérité absolue qui se décline à peu près ainsi : charte des valeurs du PQ = xénophobie + radios poubelles ÷ par le nombre de balles qu’il faut à un raciste extrémiste pour stigmatiser un peuple tout entier et son histoire.

Comme prévu, Radio-Canada et votre journal ont emboité le pas avec la férocité que l’on connaît en rappelant à notre bon souvenir le débat sur la fameuse charte des valeurs, certes électoraliste, très mal nommée et discutable.

Cependant, Le Devoir n’a manifesté aucune objection à ce que le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, en pleine cérémonie protocolaire dans le cadre de ses fonctions, pour exprimer sa compassion envers les victimes et manifestement pour se faire un capital politique dégoûtant, a cru trouvé de bon ton d’articuler un « Allahou Akbar » bien senti.

Dieu est grand, même en arabe, dans la bouche d’un premier ministre du Québec dans le cadre de ses fonctions en 2017, c’est pour moi non seulement inacceptable, c’est carrément révoltant.

La laïcité n’est pas une affaire à prendre à la légère. Le débat sur la Charte des valeurs aurait dû porter non sur les valeurs, mais sur le rôle structurant de cette dite laïcité pour protéger les acquis civilisationnels des Lumières.

Je ne vous apprends rien en disant que celle-ci n’a pas pour but de dénigrer une religion plutôt qu’une autre, mais d’affirmer la neutralité de l’État. Je me permets même d’affirmer qu’il est normal pour une société, tout en tâchant de négocier des accommodements raisonnables avec les mœurs et coutumes des nouveaux arrivants, de garder vivant un patrimoine culturel traditionnel et même certains signes ostentatoires de son passé historique avec ses tares et même ses atrocités, sans pour cela tomber dans l’autodénigrement perpétuel.

Depuis plus d’une décennie, les peuples du Moyen-Orient ont eu à se défendre contre les agressions constantes d’Al-Qaïda ou de l’État islamique, ce ramassis de mercenaires pseudo-sunnites, qui sont, comme tout le monde sait (sauf les journalistes occidentaux qui font mine de ne pas le savoir) financés, armés, soutenus par nos alliés le Qatar, l’Arabie Saoudite, de même que l’OTAN, le Pentagone, et les diverses factions de la CIA, du MI 6 et tutti quanti.

Bien sûr, tout le monde convient que la guerre en Irak, déclenchée par le méchant républicain Georges W. Bush, a préparé le terrain à une série d’exodes massifs jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale.

Mais à peu près aucun journaliste progressiste en Occident n’a voulu admettre que les guerres contre la Libye et la Syrie furent elles aussi de pures agressions déclenchées par le gouvernement de « gauche » d’Obama, de son allié Hollande (dans le cas de la Syrie), et menées à peu près de la même manière et avec la même intensité sanglante.

J’ai assisté, effaré, ces dernières années, à la dérive guerrière de la ligne éditoriale du journal le plus prestigieux du Québec, Le Devoir. Cette ligne, vous l’avez défendue vous-même, avec une hargne redoublée, de mois en mois, au fur et à mesure que se dessinait au sud de notre frontière une montée de l’extrême droite fasciste représentée par Donald Trump.

Vous avez aussi défendu, comme le New York Times et le Washington Post ou La Presse, à peu près sans nuance, la candidature d’Hillary Clinton, une faucon notoire, impliquée dans d’innombrables magouilles génocidaires sur la planète et dans le financement de groupes armés, violeurs de femmes et coupeurs de tête, tout ça, sous prétexte qu’elle était une femme. Vous avez aussi, jour après jour, fait le jeu de la propagande de la CIA contre la Russie et démonisé Vladimir Poutine, responsable personnellement, à vous entendre, de tous les maux du Moyen-Orient et même de l’élection du grand méchant fasciste Donald Trump.

Les stigmates de la théorie du complot ont changé de camp.

Me voici donc à constater la bassesse de vos attaques qui amalgament le combat légitime pour la laïcité qu’a défendu le Parti Québécois, quand bien même maladroitement ou avec malveillance, avec l’attentat terroriste d’un forcené d’extrême-droite.

Je pourrais, moi aussi, avec toute la violence de mon indignation, vous accuser, vous et vos confrères et consoeurs de la gauche multiculturaliste dans les médias et les partis politiques, de jouer de l’amalgame et vous rendre responsable de l’attentat de Québec. Mais je ne le ferai pas.​