Que peut-on espérer de la visite du premier J. Trudeau au président D. Trump?

2017/02/13 | Par André Jacob

Dans Le Devoir du 10 février, la journaliste Mélanie Marquis rapporte les propos du premier ministre Justin Trudeau au sujet de cette rencontre attendue : « Les Canadiens savent très bien qu’en plus de protéger et développer nos emplois et nos opportunités économiques, je me dois d’être clair dans ma défense, dans ma promotion, de valeurs canadiennes, et c’est exactement ce que je vais continuer à faire ». Partout, il répète le même refrain.

Oui, mais…

Mais que signifie « être clair dans ma défense, dans ma promotion, de valeurs canadiennes » ? Il faudrait d’abord savoir à quoi réfèrent « ses » valeurs canadiennes. Un tel discours lénifiant ouvre la porte à mille interprétations. En même temps, en utilisant un discours aussi vague, le premier ministre ferme la porte à la critique, car une chose et son contraire peuvent entrer dans le fourre-tout des valeurs canadiennes.

Une chose est certaine, cette rencontre abordera les questions relatives à la sécurité et aux armements, car la première personne envoyée à la Maison-Blanche pour paver la voie à sa visite est son ministre de la défense. Que peut-on supposer ?

Si le premier ministre promet au président Trump de l’appuyer dans la course aux armements, il pourra dire aux médias que le Canada est solidaire de l’Occident dans la lutte au terrorisme. Répétera-t-il qu’il s’agit là d’une valeur canadienne?

Si le premier ministre se dit ouvert à la discussion avec le président au sujet de la fermeture des frontières, il pourra toujours murmurer que le Canada a la sécurité à cœur. Évoquera-t-il une autre valeur canadienne?

S’il est d’accord pour que les échanges entre les producteurs d’armes canadiens et américains soient maintenus, voire améliorés, ce sera encore une fois au nom la sécurité comme valeur canadienne.

En outre, le premier ministre pourra se vanter d’avoir gagné du terrain pour développer des emplois favorables à la « classe moyenne », autre concept flou passe-partout si utile pour noyer toutes les critiques dans l’arche des valeurs. Et la nef portée par la langue de bois flottera sur des flots paisibles…

Mais qu’en est-il des valeurs canadiennes par rapport à la course aux armements nucléaires ? Que dira le premier ministre ? Quelles seront les valeurs canadiennes mises de l’avant à la lumière du développement agressif de l’OTAN ?

Et que dire de la protection des droits des réfugiés ? Bien malin qui peut prédire quelles valeurs canadiennes le premier ministre va évoquer face aux velléités du président Trump de serrer la vis d’une façon radicale et de déporter des dizaines de milliers de personnes.

Et quelles valeurs canadiennes utilisera-t-il pour négocier la gestion de l’offre dans la production agricole et dans l’exportation du bois d’œuvre ?

En somme, la manipulation de l’expression « les valeurs canadiennes » sous tous les angles fait partie de la construction d’un discours pour dorer l’image décontractée d’un premier ministre sans veston ni cravate. Le contenu reste flou et vide à souhait.

Avec un argument aussi faible, le premier ministre Trudeau sera-t-il capable de prendre une position ferme à la lumière de la charte canadienne des droits qui fonde le respect des femmes, des minorités, des droits sociaux et économiques ?

Pour qu’on le prenne au sérieux, le premier ministre devrait dire haut et fort sur toutes les tribunes ce qu’il entend faire pour ne pas se laisser emberlificoter par les menaces américaines sur plusieurs fronts.

Avec un discours aussi vague, assisterons-nous à une soumission aux diktats du grand voisin qui pratique l’intimidation allègrement ? En nous rejouant l’hymne des valeurs canadiennes, les artisans de l’image du premier ministre trouveront sûrement astuces et entourloupettes bien dosées pour faire avaler à peu près n’importe quoi.

À la sortie de ce sommet, les Canadiens vont peut-être se réveiller avec des résultats décevants, mais ce sera parce qu’ils ne comprennent pas le sens des valeurs canadiennes. À réfléchir !

Le Québec a vécu le pénible et dramatique débat sur la charte dite des valeurs. Cette polémique a permis de voir que les dites valeurs peuvent aussi déchirer une population et ériger des murs. Allons-nous revivre un scénario semblable à la mode Trudeau.

Le contenu de la cassette de l’image sur les valeurs canadiennes n’explicite rien quant aux dites valeurs. Comment savoir si sa mallette de valeurs canadiennes englobe la défense des droits fondamentaux des citoyens et des citoyennes ? Ses valeurs signifient-ils arrimer ses positions aux seuls intérêts économiques ?

Et que dire des enjeux reliés aux murs de divers types que semblent vouloir ériger l’administration Trump : est-ce que les valeurs canadiennes vont coller aux murs (fermeture des frontières, mur contre les immigrants, misogynie, racisme, etc.) élevés par le président américain ? Nul ne le sait.