Gestion de l’offre en agriculture : une menace qui vient de l’intérieur

2017/02/22 | Par Pierre Dubuc

Jusqu’ici, les menaces qui planaient sur la gestion de l’offre en agriculture venaient de l’extérieur, c’est-à-dire de pays étrangers qui, dans le cadre de négociations de traités de libre-échange avec le Canada, réclamaient son abolition ou, tout au moins, la réduction de son champ d’application.

Désormais, la menace vient également de l’intérieur.

En effet, dans un avis, rendu public le 6 février dernier, le Conseil consultatif en matière de croissance économique cible le secteur agroalimentaire pour la mise en pratique de sa nouvelle approche destinée à stimuler la croissance de l’économie canadienne.

Le Conseil, mis sur pied par le gouvernement Trudeau, recommande de « produire jusqu’à six milliards de litres de lait plus commercialisables par année en réduisant progressivement les obstacles comme des quotas provinciaux rigides qui restreignent les investissements dans la productivité ».

Les membres du Conseil s’émoustillent devant l’exemple de la Nouvelle-Zélande, qui exporte environ 97 % de sa production de lait, en précisant que celle-ci représente près de 30 % des produits laitiers vendus dans le monde.

Cependant, nulle mention n’est faite des conditions climatiques de la Nouvelle-Zélande fort différentes de celles du Canada. Les troupeaux sont à l’année longue dans les pâturages.

Pour les auteurs du Rapport, ce n’est pas une question de climat, mais de faible taux de productivité, c’est-à-dire de la présence de fermes familiales au Québec par opposition aux mégafermes nouvelle-zélandaises.

« Dans certains sous-secteurs (laitier, par exemple) la taille moyenne de nos fermes est relativement petite, de sorte que peu d’entre elles réalisent des économies d’échelle comme dans d’autres pays exportateurs », écrivent-ils.

Pour augmenter la productivité de l’agriculture, le Comité propose de « faire du secteur agroalimentaire une priorité de la nouvelle agence fédérale proposée par le Conseil pour attirer les investissements directs étrangers ».

Des capitaux étrangers qui pourront racheter les fermes familiales en faillite, une fois les quotas éliminés, et les fusionner pour créer des fermes géantes, pourrions-nous ajouter.

 

Un Comité qui a l’oreille d’Ottawa

Présidé par Dominic Barton, directeur général de la firme de consultation McKinsey & Company, le Comité a l’oreille du gouvernement.

À peine une dizaine de jours après avoir recommandé la création d’une Banque de l’infrastructure, le ministre des Finances Bill Morneau annonçait, dans sa mise à jour économique du 1er novembre 2016, la mise sur pied d’une telle banque.

Une autre proposition-choc du Comité, soit d’augmenter de 50 % le nombre d’immigrants au Canada, en faisant passer le seuil de 300 000 à 450 000 annuellement est toujours à l’étude.

Le Comité, sur lequel siège Michael Sabia de la Caisse de dépôt et placement du Québec, a pour mandat de conseiller le ministre Bill Morneau avec l’objectif d’aider à créer « les conditions pour une croissance à long terme et une classe moyenne vigoureuse ».

 

Libre-échange avec l’Asie

Le document rappelle que le secteur agroalimentaire du Canada se situe au 5e rang mondial avec 5,7% de toutes les exportations agricoles pour une valeur, en 2015, de 26,1 milliards $. Le secteur représente 2,1 millions d’emplois et 6,7% du PIB.

Cependant, le Canada cumule un déficit commercial de 3,2 milliards américains pour les produits agro-alimentaires en bonne partie parce qu’il ne traite que 50% de sa propre production agricole.

La solution réside dans une plus grande transformation au Canada, mais surtout dans la conquête des marchés asiatiques.

Les auteurs citent l’exemple du canola, dont les récoltes ont augmenté de plus de 150% depuis son introduction en 1970. La croissance des exportations d’huile de canola a été de près de 200% de 2003 à 2015, principalement en raison de la demande en Chine.

Le Comité prévoit une croissance mondiale de 70 % d’ici 2050 pour la demande en aliments, en provenance principalement de l’Asie où trois milliards de personnes devraient, en accédant à la classe moyenne, consommer beaucoup plus de protéines qu’actuellement.

Les auteurs du Rapport constatent que le Canada n’a pas d’accords commerciaux préférentiels avec trois des cinq marchés les plus promoteurs pour les exportations agroalimentaires : la Chine, l’Inde et le Japon. Ils en font une priorité.

 

Qui est Dominic Barton?

L’ouverture des marchés asiatiques est une priorité pour Dominic Barton, le président du Comité consultatif.

Barton est le directeur général mondial de la firme de consultation McKinsey & Company (qualifiés dans certains milieux d’« éminence grise du capitalisme »), qui comprend 25 000 employés avec des bureaux dans 80 pays et un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards $ en 2015.

Barton connaît bien l’Asie. En 1997, il a joué un rôle clef dans la restructuration du système bancaire de la Corée du sud, pour résoudre la crise financière qui frappait le pays, en réduisant le nombre de banques de 34 à 8.

Il est aussi bien connu des travailleurs coréens licenciés du secteur bancaire. Chaque lundi, au cours de cette période, ils le brûlaient en effigie!