La solution : le scrutin proportionnel et non la carte électorale

2017/03/10 | Par Paul Cliche

Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique: le scrutin proportionnel

Même si elle était confiée  à un organisme indépendant des partis politiques, la Commission de la représentation électorale (CRE), le processus de révision de la carte électorale québécoise qui vient de se terminer, a provoqué  de nouveau un psychodrame collectif. Cette fois-ci, c’est la suppression d’une circonscription sur l’île de Montréal  et d’une autre en Mauricie -au profit de la couronne nord de la région métropolitaine- qui en a été la cause. La disparition appréhendée de la circonscription de Sainte-Marie-Saint-Jacques, sans que ses électeurs aient été  consultés,  a provoqué, en l’espace de quelques jours, une impressionnante levée de boucliers et a donné lieu à une mobilisation citoyenne exemplaire. Le CRE a d’ailleurs reconnu son erreur en revenant à sa proposition initiale de fusionner plutôt les circonscriptions de Mont-Royal et d’Outremont.

La fois précédente c’est la suppression de deux circonscriptions en Gaspésie et au Bas-Saint-Laurent et d’une troisième au sud de Québec -au profit de Laval, de Laurentides-Lanaudière et de la Montérégie- qui avait mis le feu aux poudres. Les citoyens de la circonscription de Beauce Nord s’étaient alors mobilisés pour éviter la fusion avec la circonscription de Frontenac. Le CRE avait cédé décrétant plutôt une fusion entre Lotbinière et Frontenac. Les pressions avaient aussi été intenses pour éviter la suppression des deux circonscriptions de l’Est du Québec, mais le CRE a maintenu sa décision.

 

Le principe de la ‘représentation effective des électeurs’

La loi québécoise stipule que la carte électorale, qui délimite le contour des 125 circonscriptions du  Québec, doit être révisée à toutes les deux élections en fonction de l’évolution de la population et de ses mouvements sur le territoire. Au Québec, c’est la CRE qui a le mandat de redécouper la carte électorale en tenant compte des règles définies par la Loi.

À la base, un principe fondamental doit guider l'ensemble du travail de délimitation des circonscriptions: la ‘représentation effective des électeurs’. Ce principe a d'ailleurs été reconnu par la Cour suprême du Canada, en 1991, comme un droit garanti à l ‘électeur par la Charte canadienne des droits et libertés.

La première condition de la ‘représentation effective’ réside dans une égalité relative, de sorte que le poids du vote d’un électeur ne soit pas disproportionné par rapport au poids d’un autre électeur. Cependant, bien qu’essentielle, cette condition n’est pas exclusive, et des facteurs comme les caractéristiques géographiques, l’histoire et les intérêts des collectivités, par exemple, doivent être pris en considération. La Loi électorale prévoit des règles permettant d’assurer la représentation effective des électeurs, à savoir les critères relatifs à l’égalité du vote et au respect des communautés naturelles.

 

L’égalité du vote des électeurs

Le critère sur l’égalité relative du vote consiste à regrouper un nombre d’électeurs à peu près égal au sein de chaque circonscription du Québec. La Loi précise que le nombre d’électeurs dans une circonscription ne peut être ni inférieur ni supérieur à plus de 25 % par rapport à la moyenne provinciale.

Néanmoins, la CRE peut établir des circonscriptions d’exception, c’est-à-dire dérogeant au critère du plus ou moins 25 %, si elle estime que cette décision permet d’atteindre quand même l’objectif de la représentation effective. C’est le cas présentement de six circonscriptions dont le territoire est immense soit Abitibi-Est, Abitibi-Ouest, Bonaventure, Gaspé, René-Lévesque, Ungava et la plus petite au Québec, celle des Îles-de-la-Madeleine qui jouit d’un statut particulier depuis 1895 à cause de son isolement insulaire.

 

Le respect des communautés naturelles

Ce second critère voit à ce que chaque circonscription représente une communauté naturelle établie en se fondant sur des considérations d’ordre démographique, géographique et sociologique. Pour ce faire, la Loi prescrit des exemples d’éléments à considérer, comme la densité de population, son taux relatif de croissance, l’accessibilité, la superficie et la configuration de la région, les frontières naturelles du milieu ainsi que les territoires des municipalités locales.

Ces éléments ne sont toutefois pas limitatifs et aucun de ceux-ci ne doit être pris isolément si l’on désire créer des entités géographiques cohérentes et regrouper des collectivités aux intérêts communs. C’est pourquoi la CRE doit tenir également compte, dans ses travaux, d’autres éléments tels que le sentiment d’appartenance des citoyens, la communauté d’intérêts, la reconnaissance de pôles régionaux de développement, le patrimoine culturel et historique, les limites des quartiers urbains ainsi que les différentes limites administratives sur le territoire.

 

Une égalité de façade

Voilà un appareillage fort complexe qui constitue toutefois un leurre parce qu’il ne garantit qu’une égalité de façade aux électeurs. Se limitant à la carte électorale il ignore les effets  que produisent les différents modes de scrutin, sur la ‘représentation effective des électeurs’. Or, ces effets sont particulièrement négatifs dans le cas du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour qui régit les élections québécoises.

Avec ce mode de scrutin, seuls comptent les votes en faveur des candidats gagnants. Les autres n’ont aucun poids pour élire les députés. Même  si ces bulletins de vote sont déposés dans les urnes électorales c’est tout comme on les jetait à la poubelle. D’une élection à l’autre ces votes gaspillés totalisent plus de 50% des votes valides. Avec ce système la ‘représentation effective’ de plus de la moitié des électeurs est donc absolument inexistante. Par exemple, on a calculé qu’à chacune des six dernières élections fédérales de cinq à sept millions de votes ont ainsi été gaspillés!

De plus, les votes ont un poids bien différents d’un électeur à l’autre dépendant du parti qu’ils appuient. Beaucoup moins de votes, en effet, sont nécessaires en moyenne pour élire les députés dont le parti remporte le pouvoir que les députés d’opposition. Si on prend l’exemple des élections québécoises de 2014, seulement quelque 25,000 votes ont été nécessaires en moyenne pour faire élire chacun des 70 députés libéraux tandis qu’il a en fallu   35 800 en moyenne pour faire élire chacun des 30 députés péquistes; 44 350 pour faire élire chacun 22 députés adéquistes et 107 700 en moyenne pour faire élire chacun des trois députés solidaires.   Encore là on ne peut certes pas parler de ‘représentation effective’ des électeurs!

Une carte électorale égalitaire n’a aucun effet non plus pour corriger les principal défauts du scrutin majoritaire: les distorsions qu’il provoque entre l’appui populaire que reçoivent les divers partis et la représentation parlementaire qui leur échoit. Ainsi, au début des années 1970, le gouvernement Bourassa, refusant de réformer le mode de scrutin, s’était plutôt appliqué à mettre au point une carte électorale assurant la ’représentation effective des électeurs’ convaincu que  les partis en lice seraient traités avec plus d’équité. Mais l’élection de 1973 a été celle où on a enregistré les distorsions les plus aberrantes dans l’histoire du Québec. Ainsi, le Parti libéral a obtenu près de 93% des sièges parlementaires avec seulement 55% des suffrages. Quant au Parti québécois il n’a obtenu que 5,5% des sièges malgré qu’il ait reçu 30,2% des suffrages.

Seul le scrutin  proportionnel peut assurer une ‘représentation effective des électeurs’ parce qu’il garantit que chaque vote va compter. De plus, sans faire disparaitre complètement les psychodrames dus à la révision de la carte électorale, il diminuerait leur fréquence. En effet, la création de circonscriptions régionales prévue dans le système mixte avec compensation, proposé d’un commun accord par Québec solidaire, le Parti québécois et la Coalition avenir Québec, rendrait la carte électorale plus stable. Qu’attend-on le gouvernement libéral pour se joindre aux trois partis d’opposition pour assurer le règlement de ce dossier qui stagne depuis près de 50 ans érodant de plus en plus la vitalité de la démocratie québécoise.