Du radicalisme... ou du bon usage des mots

2017/03/20 | Par Michel Saint-Laurent

« Radicalisez-vous »! nous dit Alain Deneault. C'est dans son dernier ouvrage, Politiques de l'extrême centre, publié chez Lux que, par ces paroles, ce philosophe et essayiste québécois tente de secouer une certaine torpeur qui sévit au Québec aujourd'hui.

Personne ne peut qualifier Alain Deneault de dangereux terroriste. Or, dans un monde en proie à toutes sortes d'idéologies, de courants de pensée, de sectarismes, de théories diverses, il est bon de savoir de quoi l'on parle et de bien connaître la définition des mots, des termes que nous utilisons, parfois sans réfléchir.

Sinon, il me semble que les dérives de sens, les divagations sont faciles et qu'une juste appréciation des choses devient alors impossible. Se crée alors de la confusion dans les esprits, chacun accolant sa propre définition aux mots, le tout afin de servir une cause.

Prenons, par exemple, deux mots bien à la mode de nos jours : « radicalisme et intégrisme ». Ces deux mots sont utilisés à toutes les sauces et les disparités de sens, les interprétations qu'on leur attribue font en sorte, le plus souvent, de créer davantage de confusion que d'éclairer les débats. Un peu plus de rigueur intellectuelle serait fort appréciée. 

 

Définition - Le radicalisme

Dans le Larousse, le mot « radicalisme » est ainsi défini : « Attitude d'esprit et doctrine de ceux et celles qui veulent une rupture complète avec le passé institutionnel et politique.» Puis, à l'adjectif « radical », ceci : « Se dit d'une organisation, d'une attitude visant à des réformes profondes de la société .» Et cette autre définition : « Se dit d'un genre d'action ou de moyen très énergique, très efficace, dont on use pour combattre quelque chose .»

Ce n'est donc pas là, de toute évidence, faire montre d'un comportement asocial. Il n'est pas là non plus question de prendre les armes pour l'atteinte des objectifs. Un comportement résolu, décidé, certes, mais non violent. Une volonté de changer les choses, bien sûr, mais sans le recours aux armes.

Puis, historiquement, le « radicalisme » désignait, en Grande-Bretagne, la doctrine politique de ceux qui, comme John-Stuart Mill, prônaient des réformes libérales extrêmes dans l'organisation sociale du pays. Fondé sur le principe du « plus grand bonheur pour le plus grand nombre », le radicalisme anglais a mené, notamment, au suffrage universel en 1867.

En France, le mot « radical » est apparu en 1840, pour désigner les républicains hostiles à la monarchie, ou gouvernement des rois et reines. « Être radical, disait un dénommé Louis Blanc (1811-1882) c'est vouloir que la République, appuyée sur le suffrage universel, ait pour but l'amélioration morale, intellectuelle et physique du sort de tous. » Pas très violent que tout ça...

 

Définition - L'intégrisme

Autre définition, toujours dans le Larousse. « Intégrisme : Attitude et disposition d'esprit de certains croyants qui, au nom d'un respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution. Intégrisme catholique, juif, musulman. » Puis, au mot « intégriste », ceci : « Qui fait preuve d'intransigeance, d'un purisme excessif. »

À la lumière de ces définitions, dans nombre de cas qui occupent l'actualité de nos jours, ne devrions-nous pas plutôt parler d'intégrisme que de radicalisme, en rapport avec ces personnes, dont beaucoup de jeunes, qui s'en vont combattre auprès de Daech ou de l'autoproclamé État islamique (EI)?  N'y a-t-il pas là confusion dans les termes, détournement du sens véritable des mots?   

Dans les discours de plein de politiciens, de commentateurs et d'analystes, le « radicalisme » est devenu l'ennemi à abattre, la source de tous nos maux, une gangrène qui ronge nos sociétés, l'hydre sanguinaire qui nous menace.

Dévoyé de son sens originel, ce mot a pris une connotation très péjorative. Ainsi, on nous parle sans cesse de ces jeunes qui se sont « radicalisés » et qui sont partis rejoindre le Djihad. On fustige de « radicale » toute action visant à un profond changement de l'ordre des choses et l'on crée même, au Québec, un Observatoire sur la radicalisation et l'extrémisme violent.

De plus, des organismes de « déradicalisation » voient le jour, visant à ramener les brebis égarées dans le droit chemin. Le collège de Maisonneuve a même publié le premier guide pratique destiné aux enseignants du collégial, lequel guide vise à prévenir et à lutter contre la radicalisation menant à la violence. Ainsi, on y propose des activités comme du théâtre, des matchs de soccer et des midis-causeries... C'est quoi ça? De telles activités ne devraient-elles pas déjà faire partie de la vie estudiantine? Sait-on de quoi l'on parle?

Enfin, récemment, il y a eu L'appel de Québec, lancé au terme de la Conférence Québec-Unesco intitulé Internet et la radicalisation des jeunes. Là-dedans, le lien direct entre radicalisation et extrémisme violent est patent.

Donc, selon cet usage d'un mot, selon le sens le plus souvent éloigné de la définition qu'on en fait, des gens qui aspirent à de profonds changements dans notre société, à différents titres, dans divers milieux, se voient vite accolés l'étiquette de « radicaux ». Devraient-ils, eux aussi, être « déradicalisés » et passer au tribunal de cet Observatoire bidon?

À l'inverse, l'on nous parle peu de ces « intégristes» du néolibéralisme déchaîné, débridé, qui n'ont de cesse de mettre en pièces des politiques sociales durement acquises et dont les actions sont des plus néfastes. Cet « intégrisme  économique » n'est-il pas tout aussi pernicieux, dans ses effets, que l'illumination religieuse? Ne fait-il pas autant de ravages?

Ces considérations me portent donc à croire qu'il y a anguille sous roche dans cette campagne actuelle visant à discréditer un mot, « radicalisme » qui, si l'on se réfère à la définition, n'a pas les sombres desseins qu'on lui prête.

À qui veut-on faire peur en brandissant, à tout venant, l'étiquette de « radical »? Souvenons-vous de l'acharnement envers les étudiants, lors du « printemps érable en 2012». Tous de méchants « radicaux », disait-on... Au pilori, tous!

Qu'y a-t-il derrière ce dénigrement d'actions ou de discours, qualifiés de radicaux, mais dans le mauvais sens du terme? Les citoyens et citoyennes qui aspirent à véritablement faire avancer la société, radicalement, véritablement, doivent-ils être déprogrammés, au même titre que les illuminés religieux?  Qui et que veut-on taire? Qui veut-on museler? Quels intérêts défend-on? Ces questions, autour du mauvais usage d'un mot, méritent d'être posées.