Trudeau encensé par les pétrolières

2017/03/20 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

Quand un premier ministre est récompensé par les pétrolières, les défenseurs de l’environnement ont des raisons d’être inquiets. Le 9 mars dernier, dans un geste sans précédent, le premier ministre Justin Trudeau était le conférencier vedette au colloque de la CERAWeek au Texas, où il a accepté le prix du leadership mondial dans le domaine énergétique !

2017 marquait le 36e anniversaire de la CERAWeek, un organisme inconnu du grand public. Le colloque annuel était organisé par la firme de consultants et de lobbyistes IHS Cambridge Energy Research Associates (IHS CERA). Il réunissait des géants de l’industrie pétrolière et gazière, dont Total, ExxonMobil, BP, Shell, Chevron et ConocoPhillips, ainsi que des grands noms de la finance, comme le Crédit Suisse AG.

L’événement regroupait les décideurs de différents coins de la planète dans le but d’avoir un aperçu complet de l’avenir énergétique mondial, en abordant des sujets comme la géopolitique, les avancées technologiques, le coût des projets, le financement, la réussite opérationnelle et la gestion de risques. Les magnats du pétrole doivent rendre des comptes à leurs actionnaires, non pas à l’humanité qu’elle met en péril.

Devant une telle brochette de participants, Justin Trudeau a eu droit à une ovation debout lorsqu’il a déclaré : « Aucun pays, qui trouverait 173 milliards de barils de pétrole dans le sol, ne les laisserait sous terre ».

Un discours qui détonne avec ses promesses électorales et ses engagements passés devant la communauté internationale, alors qu’il affirmait lutter contre les changements climatiques. En acceptant le prix du leadership à la CERAWeek, Justin Trudeau s’est positionné en véritable promoteur de l’exploitation des sables bitumineux et des pipelines.

Son entêtement à ne pas refuser le projet Énergie Est de la pétrolière TransCanada qui, rappelons-le, va générer seulement 33 emplois permanents au Québec, devrait convaincre les sceptiques que les libéraux n’ont aucune considération pour l’avenir du Québec. Ils sont à la solde de Bay Street et des pétrolières de l’Ouest.

 

L’hypocrisie

La triste réalité est qu’il n’y a rien d’étonnant à voir les grands pollueurs récompenser Justin Trudeau. En moins d’un an et demi au pouvoir, le Premier Ministre a donné son aval au projet de gazoduc Pacific Northwest, qui deviendra l’un des plus importants émetteurs de gaz à effet de serre (GES), principal facteur du réchauffement climatique au Canada. On parle ici d’une augmentation des GES de 8,5 % en Colombie-Britannique et de 1 % à l’échelle canadienne.

Le pro du selfie a aussi donné le feu vert au projet d’oléoduc TransMountain de la compagnie Kinder Morgan et le remplacement de la canalisation 3 du pipeline d’Enbridge. Ces deux projets permettront d’exporter plus 600 millions de barils de pétrole chaque année, ce qui augmentera considérablement les émissions de GES. Celles liées à Trans Mountain seulement seront de l'ordre de 13,5 à 17 millions de tonnes par année, ce qui équivaut à une augmentation de 2 % sur l’ensemble total des émissions canadiennes.

De plus, les projets de pipelines Énergie Est et Keystone XL sont toujours à l’ordre du jour. Le gouvernement Trudeau est incapable de refuser ces projets, même si, à l’évidence, on ne peut pas polluer moins en polluant plus. En fait, il n’a jamais eu l’intention de délaisser l’exploitation des sables bitumineux et il ajuste son discours selon son auditoire. Or, le vrai Justin semble être celui de la CERAWeek.

 

L’or bleu

Après avoir complètement évacué les dossiers environnementaux, lors de sa rencontre avec Donald Trump, Trudeau est resté de marbre lorsque le Président américain a décidé de hausser de près de 10 % les dépenses militaires, aux dépens, entre autres, de l’Agence américaine de protection de l’environnement, ce qui a pour conséquence l’abolition du programme de restauration des Grands Lacs, le plus grand écosystème d'eau douce au monde.

Cette décision met en péril notre plus grande richesse naturelle et l’alimentation en eau potable de milliers de Canadiens, de Québécoises et de Québécois. Pas étonnant que le maire Coderre ait imploré Ottawa de bouger dans ce dossier, un message que le Bloc Québécois est le seul parti politique à porter sur la colline parlementaire.

L’administration Trump a également passé à la trappe le financement fédéral destiné à la recherche sur les changements climatiques et a supprimé la participation américaine au Fonds vert des Nations unies, mis sur pied à l’issue de la Conférence de Paris sur le climat.

 

Une politique pétrolière et un lobby puissant

En campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau ont fait de l’environnement un enjeu. À Paris, la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, avait été accueillie en héroïne, parce que tous croyaient que, après l’ère Harper, le Canada rejoindrait le concert des nations pour lutter contre le réchauffement climatique.

Malheureusement, moins de six mois après les accords de Paris, Mme McKenna affirmait que le Canada avait besoin des emplois pétroliers. La communauté internationale fut bernée par le gouvernement Trudeau.  Le Premier Ministre canadien a montré son vrai visage au Texas. L’environnement est relégué à l’arrière-plan, loin derrière les pétrodollars.

Ne croyons pas un seul instant que TransCanada va « oublier » le Québec à cause de la mise en chantier de Keystone XL. De passage à Montréal, dans le cadre d’une conférence du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), le président-directeur général de l'Association canadienne des producteurs pétroliers (ACFP), Tim McMillan, a farouchement plaidé en faveur du pipeline Énergie Est.

Pour l’ACPP, l’approbation du pipeline, qui traverserait 830 de nos cours d’eau, est essentielle au positionnement du Canada à l’échelle internationale parce que l’industrie pétrolière veut rejoindre le très lucratif marché indien. Avec plus d’un milliard d’habitants, l’Inde est déjà le troisième importateur mondial de produits pétroliers, une manne pour les gens de l’Ouest.

Le discours de M. McMillan était aberrant à plusieurs niveaux. Il a tenté de nous faire croire que l'exploitation des sables bitumineux est compatible avec la protection de l'environnement. Selon lui, les récentes avancées technologiques permettront à l’industrie de mieux répondre aux défis environnementaux. 

« Imaginez un baril de pétrole canadien carboneutre, nous y travaillons », a-t-il déclaré.

Il parle littéralement de pétrole « vert », un produit qui n’existera jamais. Même s’il y a des avancées quant à son extraction, le pétrole issu des sables bitumineux demeure l’un des plus polluants de la planète en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

 

L’environnement

À Paris, les scientifiques et les dirigeants du monde entier se sont entendus sur la nécessité d’agir énergiquement et immédiatement pour endiguer les changements climatiques. Le Canada s’est alors engagé à maintenir le réchauffement climatique à deux degrés Celsius. Pour atteindre cet objectif, plusieurs estiment que le Canada doit laisser dans son sol plus de 85 % de ses ressources pétrolières.

Le pétrole sera difficile à éradiquer puisque les lobbys pétroliers sont puissants et proches de nombreux gouvernements. Le prix reçu par Justin Trudeau en témoigne.

Le Bloc Québécois continuera de proposer que les sommes attribuées par le Canada aux pétrolières, en vertu d’un régime fiscal avantageux, soient versées dans le Fonds vert pour le climat créé à Copenhague ainsi qu’à des projets pour développer les énergies renouvelables au Canada et dans les provinces. De plus, le Bloc est d’avis qu’il faut limiter le lobbying des compagnies et abolir graduellement les subventions aux énergies fossiles.

L’idéal de croissance économique de Trudeau est un projet suicidaire pour le climat. L’heure semble malheureusement être au prix fossile et non au développement des énergies propres, ce qui devrait tous nous inquiéter.