Des obligations vertes pour financer la guerre aux changements climatiques

2017/04/04 | Par IREC

Alors que le Québec vient d’émettre ses premières obligations vertes, notamment pour financer des projets de transport public, il nous semble important de revenir sur un thème récurrent de recherche de l’IRÉC : le rôle de l’épargne privée, en particulier celle engagée pour la retraite, pour financer la transition énergétique. Au-delà des problèmes liés aux cycles conjoncturels du système financier, toujours plus dramatiques au fil des ans, il est admis que le secteur privé peut difficilement financer à lui seul les investissements de la transition énergétique puisque les retours sur l’investissement sont trop longs ou trop faibles pour intéresser des acteurs orientés trop souvent sur le court terme et sur la maximisation des profits.

Du côté des pouvoirs publics, l’ampleur des travaux d’infrastructures à réaliser réduit les ambitions, alors que des pressions de toutes sortes se conjuguent pour limiter la base fiscale des gouvernements.

Le financement de la transition pose donc de nombreux défis aux sociétés qui souhaitent conserver l’initiative face à la nouvelle donne économique et écologique.

Dans notre plus récente note d’intervention, nous cherchons à montrer le rôle particulier d’un instrument financier tel que les obligations vertes pour contribuer à résoudre cette problématique.

Perspectives et recommandations

Dans une analyse publiée récemment pour faire la promotion de ses investissements responsables[1], la Banque TD fait un rapprochement entre les émissions d’obligations vertes et les « Obligations de la Victoire », c’est-à-dire les émissions d’obligations d’épargne des gouvernements alliés pour financer la guerre contre la coalition des pays fascistes (Allemagne, Italie et Japon).

Ce rapprochement nous apparaît pertinent car, aujourd’hui comme hier, nous faisons face à des menaces que nous pouvons qualifier de redoutables. C’est particulièrement vrai pour les nouvelles générations, puisque les changements climatiques ont la capacité de remettre en question la vie sur Terre telle que nous la connaissons jusqu’à maintenant. Face à ces menaces, nous devrions donc, comme l’ont fait les puissances alliées lors de la 2e Guerre mondiale, mobiliser nos ressources pour faire la guerre aux changements climatiques avant que la limite critique ne soit franchie.

L’analyse réalisée par la Banque TD souligne que la relative popularité actuelle des obligations vertes tient beaucoup au fait que nombre d’entre elles offrent un rendement supérieur à celui des obligations d’États de référence, qui sont extrêmement faibles, voire négatifs dans le cas de certains pays.

Or, le contexte actuel laisse plutôt supposer que ces taux sont appelés à remonter plus rapidement que prévu, ce qui laisse aussi présager que les obligations vertes devront affronter une concurrence accrue. Par ailleurs, il est à prévoir qu’avec la hausse des taux, les investisseurs vont tendre à accorder une plus grande place dans leur portefeuille aux titres qui, comme les actions, produisent un meilleur rendement. Dans ce contexte, il sera plus difficile pour les émetteurs de répercuter les coûts de la certification « verte » sur les investisseurs, rendant ces obligations un peu moins concurrentielles.

Malgré tout, les obligations vertes conservent des avantages certains, dont celui de sensibiliser les intervenants aux enjeux climatiques et environnementaux et de permettre aux investisseurs les plus engagés de soutenir les initiatives écologiques. C’est pourquoi nous pensons que le gouvernement devrait faire un effort supplémentaire pour faire du Québec l’un des leaders de la mobilisation des acteurs financiers autour de la finance climatique, de manière à répondre à l’appel de l’OCDE qui, rappelons-le, encourage les gouvernements et les diverses parties prenantes à corriger les inadéquations entre l’offre et la demande de titres de dette en faveur de la transition énergétique.

Pour ce faire, le gouvernement du Québec devrait le plus rapidement possible mener une consultation auprès des parties prenantes sur les enjeux du financement de la transition afin de bonifier sa politique d’encadrement. Il ne peut pas se contenter de rester cantonné dans le seul périmètre comptable du gouvernement ; il a la capacité de contribuer à la transformation du marché obligataire pour financer la transition vers une économie à faible émission.

Outre les objectifs clairement invoqués dans le cadre du programme québécois des obligations vertes, les titres obligataires ont en effet le potentiel de fournir des sources de capital « patient » à bas coût pour les entreprises québécoises du secteur des technologies propres ; ils peuvent aussi financer ou refinancer des investissements, permettant ainsi de recycler des prêts par de nouvelles rondes de financement.

Les obligations vertes peuvent également tirer parti d’un fonds global (un pool) de capital « patient » réunissant divers bailleurs de fonds et qui rendrait  possible une standardisation des émissions. Cette standardisation simplifierait la gamme des options et contribuerait à réduire les coûts d’évaluation et de révision de stratégie de portefeuille pour intégrer ces obligations vertes, les rendant du coup plus attrayantes pour certains investisseurs institutionnels. Cette action est d’autant plus urgente que le gouvernement fédéral devrait, dans la foulée de ses engagements en faveur des investissements dans les infrastructures vertes (dont la création d’une Banque de l’infrastructure du Canada), formuler lui-même un cadre de référence canadien sur les obligations vertes[2]. Si le Québec veut conserver dans ce domaine une autonomie et une capacité d’initiative, il devrait donc formuler une cadre plus ambitieux.

Dans cette optique, nous recommandons que le gouvernement du Québec s’engage à produire un plan d’action global et un Cadre de référence national sur les obligations vertes. Pourraient s’y retrouver les éléments suivants :

  • Le gouvernement pourrait bonifier le programme québécois d’obligations vertes en élargissant le périmètre de couverture des projets soumis et des types d’organismes habilités à y soumettre des projets en intégrant les sociétés d’État, les divers organismes paragouvernementaux et les municipalités.
  • Il devrait encourager Hydro-Québec à se doter d’un programme d’achats d’obligations vertes pour financer ses projets de développement à l’international, dans la mesure où l’entreprise poursuit dans ses intentions de se concentrer sur son expertise de production et de transport de longue distance des énergies renouvelables, où existent les meilleures conditions de réalisation.
  • Le gouvernement pourrait autoriser et mandater Investissement Québec pour l’inciter à utiliser les produits d’émissions d’obligations vertes (par des émissions propres ou par le biais de crédits issus d’émissions du gouvernement) pour financer les entreprises québécoises du secteur des technologies propres.
  • Tout en continuant de respecter l’indépendance de la Caisse de dépôt et placement, le gouvernement pourrait, en consultation avec les déposants de la Caisse, lui confier un nouveau mandat, celui d’en faire le leader de la finance climatique au Québec. Tant pour ses investissements dans les infrastructures que pour ses projets immobiliers, la Caisse pourrait mobiliser les investisseurs institutionnels autour de plateformes communes de financement[3] qui impliqueraient des émissions d’obligations vertes. Un Cadre de référence sur les obligations vertes serait ainsi
    à privilégier.
  • Le gouvernement devrait enfin se joindre à la grappe Finance Montréal afin de promouvoir des efforts communs pour le développement du marché des obligations vertes au Québec. Il faut mentionner que certains pays (dont la Chine et le Brésil) ont introduit des définitions et des certifications locales pour les obligations vertes sur leur propre marché. Le gouvernement pourrait ainsi créer avec ces partenaires un Comité consultatif des obligations vertes avec le mandat d’examiner les avantages qu’il y aurait à mettre sur pied un Cadre de référence québécois.

En somme, ces diverses recommandations permettraient de constituer une offre diversifiée de titres obligataires verts, faciles à évaluer et à insérer dans les portefeuilles des investisseurs québécois et étrangers. En contrepartie, une telle offre diversifiée de capital « patient » serait susceptible d’accueillir une plus vaste gamme de projets de transition énergétique. La guerre aux changements climatiques sera d’autant moins difficile à mener que des réservoirs de capitaux seront mieux arrimés aux besoins des promoteurs de projets novateurs.

 

[1]. Obligations vertes : les obligations de la victoire de l’environnement, Services économiques TD, Études spéciales, 1 novembre 2013.

 

[2]. Voir la Lettre de mandat du ministre de l’Infrastructure et des Collectivités : [http://pm.gc.ca/fra/lettre-de-mandat-du-ministre-de-linfrastructure-et-d....

[3]. Voir par exemple son initiative de plateforme financière au Mexique : [http://cdpq.com/fr/nouvelles-medias/communiques/cnw-caisse-et-grands-inv....

 

Photo : Udra / 123RF Banque d'images