Un Franco-Albertain critique The Story of Us

2017/04/07 | Par Michel Bouchard

L’auteur est professeur d’anthropologie à l’University of Northern British Columbia et coauteur de Songs Upon the Rivers. The Buried History of the French-Speaking Canadiens and Métis from the Great Lakes and the Mississippi across to the Pacific (Baraka Books, Montréal, 2016).

« Je ne comprends pas pourquoi quelqu'un se fâche à propos de ces trucs », écrit un ami qui réagit à ma critique de l'épisode 2 de « The Story of Us » de CBC. Bien que lui soit sceptique quant à la possibilité que la CBC puisse représenter avec précision l’histoire, quel que soit le sujet, cette recréation du mythe fondateur anglo-canadien est peut-être plus pénible pour moi, Franco-Albertain, qui travaille justement à contrer ces discours et à remettre notre histoire dans l’histoire de l’Amérique du Nord.

Comment puis-je lui expliquer que ces récits historiques anglo-canadiens qui évacuent les francophones font réagir plus vivement ceux qui ont grandi loin du Saint-Laurent? Trop souvent, on m'a demandé d'où je venais, ne croyant pas que ce soit possible que je sois francophone de l’Alberta, quoique ma famille soit là depuis quatre générations.

Comment peut-on détailler la honte qui est inculquée par de telles émissions qui glorifient ces véritables Canadians, les Bell et les Mackenzie, présentant ces géants de l’industrie et la découverte, tout en montrant nos communautés comme arriérées, nos ancêtres des pauvres sales qui n’ont pas encore eu la chance d'être assimilés à ce « Nous » dont l'histoire que la CBC raconte dans un ton qui rappelle un publireportage ?

Comme mes coauteurs, Robert Foxcurran, Sébastien Malette et moi-même avons décrit dans Songs Upon the Rivers, il y a une histoire riche qui a été enterrée des deux côtés de la frontière canado-américaine. Les Canadiens, Créoles, Acadiens et Métis ont une histoire continentale, mais elle a été dévalorisée pour mieux la faire oublier par la suite des deux côtés de la frontière. CBC, notre prétendu réseau public national, poursuit dans cette voie avec une fiction qu’ils présentent comme de l’histoire, mettant à nouveau l'anglo-canadien sur un piédestal.

L’un de ses « faits alternatifs » que la narratrice lance avec autant de délicatesse qu’une bombe est l'affirmation que ce n'est qu'après 1777 que « les commerçants européens commencent à se diriger vers l'ouest à la recherche de nouvelles richesses se rendant au-delà des Grands Lacs pour la première fois ».

Aucun des 75 historiens que l’on prétend avoir consultés ne semble avoir entendu parler de Pierre Gaultier de Varennes, sieur de La Vérendrye ? Ce dernier et ses fils ont pénétré dans l'intérieur profond du continent, jusqu’au territoire qui est maintenant le Manitoba, les Dakotas et le Montana. De plus, ils n'étaient même pas les premiers à dépasser les Grands Lacs.

Déjà en 1727, la Couronne française a permis la création de la Compagnie des Sioux pour amener des commerçants et des missionnaires auprès Sioux dans les grandes plaines ; qui plus est, cela a été construit à partir d’une Compagnie des Sioux antérieure formée par Pierre La Sueur en 1699. Pourquoi ces histoires ne valent-elles pas la peine d’être racontées ?

Ainsi, pendant près d'un siècle, avant la prétendue poussée vers l’ouest dont nous parle la CBC, les Français et le Canadiens voyageaient loin vers l'ouest et même vers le Nord. Au cours des années 1760, un coureur de bois, François Beaulieu, s’est aventuré dans ce que sont maintenant les Territoires du Nord-Ouest. Et c'est ce Beaulieu et sa famille, établis dans ce Grand Nord, qui ont aidé Alexander Mackenzie lorsqu’il s’est égaré dans l'Arctique à la recherche du Pacifique.

Cette même famille Beaulieu avec des liens de parenté dans la communauté autochtone environnante est venue au secours de la Compagnie du Nord-Ouest afin d’établir rapidement des réseaux commerciaux à travers le continent. Le fils du premier François Beaulieu, centenaire lorsqu’il est décédé était un patriarche de la communauté métisse du Nord.

Sans ce réseau préexistant de Français, de Canadiens et de Métis, ces commerçants et hommes libres qui parlaient français ainsi que des langues des Premières nations, Alexander Mackenzie n'aurait jamais atteint le Pacifique. Le seul explorateur qui n’a pas eu recours aux Canadiens et aux Métis lors de son voyage de découverte était sir John Franklin, lors de sa dernière expédition. Il n’en est jamais revenu.

Malheureusement, dans ce deuxième épisode, même les voyageurs sont muets. Bien qu’on mentionne brièvement que ce sont des Canadiens français, ils demeurent toujours la toile de fond silencieuse sur laquelle l’on bâtit la gloire de Mackenzie. Certains des noms ne sont pas connus, mais d’autres sont bien connus. N'auraient-ils pas mérité une minute ou deux pour les nommer et raconter leur histoire pour les humaniser et les intégrer complètement à l'histoire ? En plus de François Beaulieu, il y avait aussi un Joseph Landry, un Acadien, qui avait également fait son chemin vers l'ouest. Les inclure dans ce récit aurait été plus bénéfique – et surtout plus juste –  que de nous faire le sans fin sur l’esprit entrepreneurial (anglo-)canadian.

Enfin, de tels épisodes nous secouent émotivement. J'ai dû passer trop de temps en tant que Franco-Albertain à expliquer le nationalisme québécois pour ainsi défendre ma propre identité et les injustices auxquelles notre communauté francophone minoritaire a dû faire face depuis toujours. Le Québec était invariablement présenté comme ayant le mauvais nationalisme ethnique par rapport au bon nationalisme canadian civique.

Pourtant, les deux premiers épisodes de cette histoire de « Nous » soulignent que le nationalisme anglo-canadien cherche aussi à imposer un récit aussi triomphant que la destinée manifeste américaine. Ici, aussi, l’œuvre civilisatrice est poursuivie par ces Anglais et Écossais avec leur esprit d’innovation et leur intelligence innée qui traînent l'autre, en fait nous, francophones sales et délabrés, vers la gloire. Ce discours n'est certainement pas nouveau, il perdure depuis plus d'un siècle. De tels contes, cependant, poussent de nombreux francophones à internaliser ce sentiment d'être inférieur, poussant vers l'assimilation, car beaucoup cherchent à échapper à une identité stigmatisée.

Malheureusement, la CBC vend cette série aux écoles, les poussant à l'intégrer dans la classe et, si la société d’état réussit, cela laissera une nouvelle génération encore moins informée sur l’histoire. Hélas, plus ça change ...