Le Bonhomme Sept-Heures

2017/04/12 | Par Michel Rioux

L’expression Bonhomme Sept-Heures est une excellente illustration de la force de la langue québécoise, qui lui permet de s’approprier les mots d’une autre langue et de les malaxer pour en faire un produit respectant en tous points son génie. Dans le temps, les parents qui voulaient calmer les enfants après le souper les menaçaient de faire venir ce Bonhomme. Or c’est l’expression bone setter qui a servi de matrice dans la construction de cet épouvantail. Le bone setter, c’était le ramancheur qui, dans les campagnes, soignait les entorses, foulures et fractures. On comprend que certains patients devaient parfois hurler de douleur…

Il en va de même pour ces bécosses qui avaient été auparavant des back house. Ou encore ce mot enfirouaper, directement issu de l’expression in fur wrapped.

Constatons qu’ils avaient de l’invention, nos ancêtres !

Suivre Philippe Couillard ces jours-ci, c’est l’assurance de voir et d’entendre ce fameux Bonhomme Sept-Heures en personne. Dans une carrière qui en avait fait jusque-là un affidé de l’Arabie saoudite, un client des paradis fiscaux, un ministre de la Santé qui n’a laissé derrière lui que le souvenir d’un homme qui s’est négocié un emploi dans le secteur privé de la santé alors qu’il était toujours en poste, un pêcheur aux fréquentations aussi douteuses que payantes, le cas Porter en étant le plus éclairant exemple, voici que le bon docteur s’est trouvé un nouveau rôle de composition !

Depuis quelque temps, sur toutes les tribunes, ce premier ministre cérébral emprunte les accents imprécatoires de Caton l’Ancien quand il en appelait à la destruction de Carthage. Mon vieil ami Roméo Bouchard a bien cerné le phénomène récemment.

« Le PQ se radicalise. Le PQ donne dans le négationnisme. Le PQ cultive l’intolérance et la xénophobie. Le PQ fait fi des droits individuels et des minorités. Le PQ divise les Québécois. Qui parle ? Couillard. C’est le thème de la prochaine campagne électorale. Le langage est très fort et réfère, au niveau du subconscient, au langage des nazis (négationnisme), des islamistes (radicalisation), de l’extrême droite (xénophobie), des multiculturalistes (droits individuels, des minorités) et des fédéralistes (division). Il s’agit de diaboliser le discours identitaire et le nationalisme sous toutes ses formes (y compris économique comme dans le cas de Bombardier) pour légitimer le consentement à notre disparition comme peuple distinct et à notre assimilation. »

Ce cérébral connaît trop le sens des mots pour avancer l’excuse d’en utiliser qui dépasseraient sa pensée. Non ! C’est consciemment qu’il enfile les habits du Bonhomme Sept-Heures. Ce redoutable stratège appelle même à la barre Gabriel Nadeau-Dubois, avec lequel il dit partager des inquiétudes quant à la radicalisation du PQ, au négationnisme de son chef et aux positions de ce parti, qui reflèteraient celles de l’extrême droite européenne.

Une fois engagé sur les chemins de l’hyperbolique, Couillard n’allait pas s’arrêter. Refusant une demande du PQ de recourir à la clause dérogatoire incluse dans la Constitution canadienne afin d’empêcher qu’un homme accusé d’avoir égorgé son épouse se retrouve innocenté, il s’en est bien gardé, plaidant qu’il s’agissait là de «l’équivalent de l’arme nucléaire en matière constitutionnelle » et que ce serait « retirer volontairement et délibérément des droits aux gens ».

On sait à quel point ce premier ministre, le plus canadien de l’histoire du Québec, a horreur de faire de la peine à Ottawa. En revanche, ses scrupules constitutionnels avaient été moins évidents quand il s’est agi d’enlever à des travailleuses et des travailleurs leurs droits en rapport avec leurs caisses de retraite. Cinq fois ce gouvernement libéral s’est prévalu de la clause dérogatoire, en 2014, pour « retirer volontairement et définitivement des droits aux gens ».

Dans un portrait que j’avais dressé de lui il y a quelques années, j’avais décrit Couillard au sortir d’un cauchemar. « Lui était alors apparu, comme dans un film en cinémascope, son ancêtre Jean-Baptiste Couillard, mort en 1759, à 30 ans, tué à Montmagny par les Anglais qui venaient de gagner la bataille des Plaines d’Abraham. Jean-Baptiste, comme trois autres membres de sa famille tués avec lui, n’acceptaient pas cette défaite et avaient poursuivi les soldats du capitaine Joseph Goreham, qui mettaient la Côte-du-Sud à feu et à sang, de Kamouraska à Lévis. »

D’ici les élections, il faut donc s’attendre à voir le Bonhomme Sept-Heures jouer dans un remake du film À soir, on fait peur au monde. Avec comme covedettes des avatars du référendum : le négationnisme, la division, la xénophobie et autres fantômes agités par ce même Bonhomme .