Les cols bleus sous le tir groupé de la Ville, des tribunaux et des médias

2017/04/18 | Par Pierre Dubuc

Chantal Racette reconnaît aujourd’hui qu’elle aurait dû être plus prudente. Quand 3 500 des 6 500 membres du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal se déplacent, au mois d’avril 2015, pour l’élire à la présidence de leur syndicat en lui accordant 60 % de leurs voix, alors qu’elle revendique l’héritage de Jean Lapierre, un message clair est envoyé à l’administration municipale.

Quand, par la suite, elle réussit le tour de force de réunir 4 000 de ses membres dans une assemblée générale contre le Pacte fiscal et pour la préparation de la prochaine convention collective et qu’une semaine plus tard, 4 000 autres cols bleus participent à une autre assemblée spéciale prévue pour ceux qui n’avaient pas pu participer à la précédente parce qu’ils étaient au travail, il fallait s’attendre à une réplique à la mesure de cette mobilisation. 1 800 cols bleus seront suspendus par la suite.

La réplique est venue d’un tir groupé de l’administration municipale, des tribunaux et des médias.

La Ville a infligé une suspension d’une semaine aux cols bleus fautifs, d’un mois aux directeurs du syndicat et de deux mois aux quatre dirigeants, en plus d’une amende de 103 000 $ pour outrage au tribunal soit 50 000 $ au syndicat, 50 000 $ à la présidente et 1 000 pour chacun des trois autres dirigeants.

Puis, le 14 janvier 2016, la juge Danielle Grenier de la Cour supérieure confirme un jugement précédent, rendu en 2010 – soit bien avant la présidence de Chantal Racette – qui ordonnait au Syndicat des cols bleus de payer des dommages punitifs de 2 millions à la suite d’un recours collectif de Montréalais tombés sur des trottoirs glacés, le 4 décembre 2004, après que des cols bleus eurent débrayé pour protester contre l’imposition d’une sentence arbitrale.

Rappelons que, profitant de la loi sur les fusions municipales, l’arbitre Gilles Lavoie leur avait imposé une convention collective qui leur faisait perdre 7 congés fériés, une semaine de vacances pendant 5 ans, des reculs au chapitre des assurances et faisait passer la semaine de 35 heures sur quatre jours à 36 heures sur quatre jours et bien plus encore.

Deux semaines plus tard, encore sous le coup de la colère suite à la décision sans précédent de la juge Grenier, Chantal Racette la traitait de « crisse de folle » et avouait vouloir «crisser un coup de batte dans le front» de son employeur, lors d’une assemblée convoquée pour organiser la riposte à la sous-traitance. Elle ne se doutait pas que ses paroles se retrouveraient le lendemain à la une du Journal de Montréal, sous la plume de Christopher Nardi, qui reconnaît dans son article avoir assister incognito à l’assemblée pour enregistrer les paroles de la présidente.

« L’assemblée était à huis-clos. Les journalistes n’étaient pas admis. Quand je parle à mon monde, c’est connu que j’ai un langage coloré. Maintenant, je fais plus attention », nous confie Chantal.

Devoir affronter l’administration municipale, la justice et les médias, les cols bleus en ont l’habitude et ne se laissent pas démonter. Mais une attaque venant de l’intérieur est plus vicieuse et déstabilisatrice.

Deux directeurs du syndicat ont porté plainte devant les tribunaux après avoir découvert sous leur véhicule des clés USB à mémoire de localisation. Chantal ne veut pas commenter l’affaire, parce qu’elle se trouve devant les tribunaux, mais elle rappelle son mandat. « Comme présidente, je représente 11 000 membres, si on inclut les retraités. Je gère des millions de dollars. Je dois vérifier les activités de mes officiers, surtout quand il y a des plaintes depuis 1 an et demi à leur endroit. Mais c’est sûr qu’il y a beaucoup de choses que j’aurais dû faire autrement ».

Le fait qu’elle ait décidé de réduire de 24 à 8 le nombre de jours de maladie des représentants syndicaux et d’exercer un contrôle plus strict sur leurs dépenses n’est sans doute pas étranger à la contestation.

L’affaire s’est vite transformée en fronde contre la présidence. Lors d’une assemblée syndicale, tenue le 10 décembre 2016, les frondeurs remportèrent une courte victoire sur un vote de confiance portant sur l’ensemble des membres de l’exécutif, soit les quatre officiers et les 12 directeurs.

Mais la valeur de ce vote a été rapidement mise en doute parce qu’il n’avait recueilli que 262 voix sur 519 votants, et ce après que l’assemblée se soit indûment prolongée, alors que 687 personnes, soit les deux-tiers des votants, avaient exprimé leur confiance dans l’exécutif quelques heures auparavant.

Mais les frondeurs n’allaient pas en rester là. Ils lancèrent une pétition réclamant une assemblée spéciale pour le 4 février ayant pour seul objet la destitution des quatre principaux dirigeants du syndicat. La réaction de Chantal ne s’est pas fait attendre. Elle prend de court les frondeurs en organisant un vote consultatif sur son leadership, le 12 janvier, supervisée par des personnalités provenant des trois grandes centrales syndicales et d’autres organismes au-dessus de tout soupçon. Les deux-tiers des 914 membres qui votent lui réitèrent leur confiance.

Des représentants du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), auquel le local 301 est affilié, ont questionné, dans un premier temps, la légalité et les modalités de cette consultation. « Mais, précise Chantal, nous leur avons démontré que cela respectait nos statuts. »

Pour dissiper toute ambiguïté, une délégation des cols bleus, avec Chantal à sa tête, accompagnée, entre autres, par Claude Généreux, qui a été secrétaire-trésorier pancanadien du SCFP pendant quatre mandats, s’est rendue à Ottawa rencontrer le président du SCFP Mark Hancock. Satisfait des explications, Hancock a envoyé une lettre à l’exécutif du local 301.

Mais les frondeurs n’allaient pas en rester là. Le 16 mars, le Journal de Montréal publiait un article sur de supposées « dépenses excessives » de la présidente sur la base d’allégations de certains membres de l’exécutif.

Cette fois, c’est le président Hancock du SCFP, qui est venu à Montréal rencontrer les 24 dirigeants du Syndicat, une réunion au cours de laquelle chacun a pu faire valoir son point de vue. Par la suite, il a été convenu de procéder, sous la supervision du SCFP national, à une vérification comptable supplémentaire et à une mise à jour des statuts du syndicat.

Deux opérations auxquelles Chantal Racette a donné son accord et dont elle ne craint pas les résultats : « Mon salaire, mes allocations de dépenses et d’automobile sont conformes à nos statuts. Ce sont les mêmes conditions que celles dont ont bénéficié mes prédécesseurs Michel Parent et Jean Lapierre. Elles sont calquées sur celles du directeur québécois du SCFP et des conseillers du SCFP. C’est dans nos statuts ».

Chantal est convaincue d’avoir l’appui de la grande majorité de ses membres. « Notre syndicat est démocratique. En 2015, en plus des quatre exécutifs réguliers, nous avons tenu 11 exécutifs spéciaux. En 2016, il y en a eu 18. J’ai fait libérer les membres du Conseil syndical, soit environ 200 personnes, une journée entière pour préparer la mobilisation. C’est du jamais vu.

« Notre syndicat dérange, poursuit-elle. À l’été 2016, nous avons organisé une caravane, qui a parcouru l’ensemble du Québec, pour sensibiliser les autres syndicats contre le Pacte fiscal intervenu entre Québec et les municipalités. »

Actuellement, le Syndicat lutte contre la privatisation d’employés auxiliaires en sécurité aux mains de l’entreprise Corps canadien des commissionnaires, à laquelle s’est joint, au mois de mai 2015, Marc Parent, l’ancien chef de police de Montréal.

Le Syndicat compte aussi s’impliquer dans la prochaine campagne électorale municipale. « J’ai rencontré Valérie Plante, la chef de Projet Montréal. Je lui ai dit : si tu es pour faire comme Coderre, qui se disait ‘‘fier des cols bleus’’, lors de la dernière campagne électorale et qui, depuis, nous tape dessus, dis-le moi tout de suite », raconte Chantal.

Mais, surtout le prochain grand rendez-vous, c’est celui de la négociation pour le renouvellement de la convention collective, qui se termine le 31 décembre 2017. Nous aurons l’occasion d’y revenir.