Les nouveaux monarques

2017/04/20 | Par Michel Saint-Laurent

Le matin du 14 juillet 1789, le peuple français prit d'assaut les Invalides, pour y prendre des armes. Puis, le même jour, la Bastille, entrepôt de munitions, fut investie. La raison de ce soulèvement populaire était la volonté du roi Louis XVI de faire entériner des réformes fiscales impopulaires. On raconte qu'à son lever, le 15 juillet, le roi aurait demandé : « C'est une révolte? » Le duc de La Rochefoucault lui aurait alors répondu : «  Non, Sire. C'est une révolution. »

Puis, plus près de nous, en 1972, le chef du NPD (Nouveau parti démocratique) d'alors, David Lewis, fustigeait ceux qu'il avait qualifiés de « corporate bums » ou « sociétés parasitaires ». Il s'en prenait à de grosses compagnies telles Shell Canada, Canadian Westinghouse, Falconbridge, Bell Canada, pour n'en nommer que quelques-unes, en les accusant de profiter des subventions gouvernementales, tout en s'arrangeant pour payer le moins d'impôts possible. 

 

Un vol plané...

Or, depuis quelques semaines, nous vivons un nouvel épisode de la vie des gens riches et célèbres, ici même au Québec. Je veux parler du cas Bombardier. Lors d'un sondage, pas moins de 93 % des gens sondés ont exprimé leur ras-le-bol face aux appétits insatiables de nos « corporate bums » du jour. Ils en ont contre les gargantuesques hausses de rémunération annoncées pour cinq hauts dirigeants de cette entreprise, ainsi que pour le président-directeur du conseil, Pierre Beaudoin, hausses d'émoluments de l'ordre de 43 M$.

 

Actif versus passif

Les gens qui ont manifesté dans les rues n'ont certes pas pris les armes, comme l'avait fait les Français jadis, mais ils ont clairement marqué leur désaccord, voire leur indignation. Ce qui semble le plus attiser la colère du peuple est le fait que les nouveaux monarques de Bombardier ont, ces dernières années, profité de la manne des gouvernements, tant fédéral que provincial, qui ont insufflé de fortes sommes d'argent public dans cette entreprise, tout en affichant des résultats d'affaires assez faméliques, voire carrément mauvais : 3,5 milliards $US de bilan négatif, baisse des ventes de 18 à 16 milliards, vente d'avions CSeries à perte. En 2015, l'actuel PDG, Alain Bellemare, avouait même que Bombardier était au bord de la faillite.

De plus, ajoutant l'insulte à l'injure, cette multinationale a procédé, en 2016, à la suppression de 7 500 postes, dans un plan de redressement de l'entreprise, en plus d'essuyer une perte nette de 981 M$ US. La cour... royale est pleine!

 

On passe à la caisse...

Volant au secours de ce fleuron (sic) industriel québécois dont les affaires battaient de l'aile, le gouvernement libéral de Philippe Couillard, en 2015, annonçait, en grande pompe, l'injection de 1 milliard 300 millions de beaux dollars canadiens, pour aider Bombardier à compléter le développement de la CSeries et à la commercialiser. Puis, en février dernier, c'était au tour d'Ottawa d'octroyer un prêt de 372,5 M$, remboursable sur 15 ans, pour le développement de la CSeries et du Global 7000.

Or, récemment, malgré les rendements peu reluisants de l'entreprise, les hauts dirigeants de Bombardier sont passés à la caisse, à l'encontre de la plus élémentaire logique économique. Le président-directeur général, Alain Bellemare, a vu son pécule passer d'un maigre 8,5 M$ de beaux dollars, en 2015, à 13 M$ en 2016. Pierre Beaudoin, pour sa part, aurait touché une rémunération totale de 6, 9 M$, en progression de 36,5 % par rapport à 2015, s'il n'avait, face à la grogne populaire, après un silence tonitruant de quelques jours, reculé.

Le pauvre devra donc se contenter d'un maigre 5 M$ par année. « Moi, je n'ai jamais vu ça, un tel salaire, pour gérer 10 ou 11 réunions par année. Cet homme a été chef de la direction pendant huit ou neuf ans et a amené l'entreprise près de la faillite », a renchéri François Legault, chef de la CAQ.  Et les salaires de trois autres hauts dirigeants sont à l'avenant. Puis, cinq jours après l'annonce des hausses, face à l'indignation grandissante de la population qui est descendue dans la rue, Bombardier a finalement reculé et annoncé le report du versement de la deuxième moitié des hausses de 2019 à 2020.

Mais le problème des inégalités croissantes dans nos sociétés reste entier car Bombardier n'est pas seule de sa classe. Une récente étude d'un groupe d'experts du FMI, Fonds monétaire international, que l'on ne peut certes pas accuser d'être un groupuscule de gauche, relève que les inégalités sociales sont un frein à la croissance et augmentent le risque de crises financières. C'est peu dire...

Toujours au Québec, la rémunération totale, qui comprend notamment les salaires de base, les attributions sur les actions et les primes, des membres de la haute direction de SNC-Lavalin, compagnie privée, s'est établie à 24, 5 M$ en 2016, une hausse d'environ 20 % par rapport à l'année précédente. Par contre, au cours du dernier exercice, cette compagnie a vu ses profits nets reculer de 37 %, à 255,5 M$, alors que son chiffre d'affaires a été de 8,5 milliards, en baisse de 11 %.  Peut-on parler de primes à l'incompétence...?

Toujours au palmarès des salaires « éléphantesques », n'oublions pas nos chères (sic) banques. Pour l'année 2016, les dirigeants des sept principales banques canadiennes et du Mouvement Desjardins ont vu leur rémunération totale s'établir à près de 67,4 M$. À lui seul, le président et chef de la direction de la Banque Royale, David McKay, a touché 12,25 M$. Vite, l'aide sociale pour le pauvre...

Le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (Médac), souligne que c'est le dirigeant de la Banque Scotia, un dénommé Brian Porter, qui remporte la palme du plus grand écart entre sa rémunération par rapport à la moyenne des employés, de l'ordre de 146 fois plus. « L'escalade n'a pas de fin. Nous faisons face à un modèle de fixation de la rémunération qui n'a pas de limite », déplore Daniel Thouin, président du conseil du Médac.

 

La morale de cette histoire...

Ne sommes-nous pas là devant une nouvelle phalange d'aristocrates, dans tous les pays où sévit un capitalisme sauvage, qui s'arrogent des salaires insensés, qui contribuent à creuser les écarts d'inégalités?   Que vont-ils faire de tout ce fric? Ces nouveaux monarques de la financiarisation de l'économie, où tout est axé sur le profit et la rentabilité, n'ont-ils aucun sens moral? Tels les rois d'antan, ne semblent-ils pas tout aussi insensibles à toute forme de justice distributive? Ne vivent-ils pas, eux aussi, des vies fastueuses, emmurés dans leurs châteaux, bien à l'abri du commun des mortels qui peinent à obtenir une hausse du salaire minimum à 15 $ l'heure?

 

La coterie des copains

Enfin, les politiciens qui votent des lois qui favorisent cette classe dominante ne sont-ils pas, eux aussi, complices? Il faut savoir que, dans le cas de Bombardier, Daniel Johnson, ex-chef du Parti libéral du Québec et proche conseiller de Philippe Couillard, siège au comité de rémunération de Bombardier, qui a fixé et approuvé les récents cadeaux aux petits amis. De plus, dans le dernier budget du Québec, Philippe Couillard lui-même a décidé d'alléger le fardeau fiscal des PDG. Il fallait aussi entendre le discours lénifiant des Dominique Anglade, ministre du gouvernement Couillard, et compagnie nous seriner les oreilles à propos de la nécessité de payer le gros prix pour attirer les meilleurs (sic) administrateurs. Meilleurs à s'en mettre plein les poches... certes!

Un parfum de révolution dans l'air...?  Une nouvelle prise de la Bastille...?