Quand la lutte aux paradis fiscaux l’emporte sur les joutes partisanes

2017/04/20 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.

Le mois dernier, la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale a déposé son rapport sur la lutte aux paradis fiscaux. Le document est rigoureux, étoffé et riche en solutions.

La Commission regroupe des membres de tous les partis politiques de l’Assemblée nationale à Québec. Dans ce cas-ci, il semble que la lutte aux paradis fiscaux l’ait emporté sur les joutes partisanes.

La Commission a émis 38 recommandations. Les plus importantes s’adressent à Ottawa. En effet, c’est le gouvernement central qui signe les traités et conventions avec les autres pays et il est le dépositaire de l’échange d’informations entre pays.

Par exemple, ce sont des règlements obscurs adoptés en cachette, au cours des ans, par les gouvernements libéral et conservateur, qui permettent aux banques et entreprises de rapatrier leurs profits au Canada sans payer d’impôt. La Commission propose donc au gouvernement du Québec de demander à Ottawa de faire tomber ces règlements.

La Commission demande aussi aux légistes de l’Assemblée nationale de tester la légalité de ces règlements, qui semblent entrer en contradiction avec la loi de l’impôt et les conventions. Nous aurons leur avis juridique l’automne prochain.

Le fait que ces règlements soient ciblés et clairement identifiés constitue déjà une victoire. Maintenant, on connait le mécanisme technique, qui permet aux banques et entreprises de profiter des paradis fiscaux en toute impunité. On sait à quoi s’attaquer concrètement.

La Commission des finances publiques cible aussi le Code criminel. À l’heure actuelle, il n’y a pas de véritables conséquences pour l’individu qui détourne de l’argent dans les paradis fiscaux. Pour un individu, c’est illégal, mais sans conséquence. Même chose pour le cabinet d’avocats ou de consultants qui crée les montages.

L’affaire KPMG illustre bien la situation. Comme l’a révélé Radio-Canada, l’entreprise a élaboré un stratagème permettant à ses riches clients de faire transiter leurs revenus par l’Île de Man pour échapper au fisc. Lorsque KPMG a senti la soupe chaude, le fisc ayant découvert le stratagème illégal, elle a réussi à conclure une entente avec ses clients et l’Agence du revenu.  Une divulgation volontaire qui met tout le monde à l’abri de poursuites et qui ne comporte aucune pénalité ou amende.

Aux États-Unis, dans un cas semblable, il y a eu des poursuites criminelles, un emprisonnement et des pénalités à hauteur de 50 % des sommes en cause. Là-bas, le message a bien passé, la fin de la récréation a été sonnée. Ottawa devrait donc modifier son Code criminel en ce sens.

Dans le même ordre d’idées, la Commission demande aussi au gouvernement de ne plus octroyer de contrats publics à des entreprises ayant été reconnues coupables d’évasion ou d’évitement fiscal abusif. Ottawa devrait faire sienne cette recommandation, puisqu’on continue de donner de nombreux contrats lucratifs à KPMG.

La Commission demande aussi à la Caisse de dépôts de se retirer progressivement des entreprises, qui ont recours aux paradis fiscaux. Elle demande aussi à la Caisse d’intervenir dans ces entreprises pour les inciter à s’en retirer.

Un stratagème largement utilisé par les entreprises pour détourner leurs profits dans les îles des Caraïbes est la délocalisation des brevets. La filiale offshore détient les différents brevets, forçant la filiale locale à payer le gros prix pour leur utilisation. Le résultat est une délocalisation des profits et donc l’évitement des contributions fiscales.

La Commission veut limiter cette pratique. Elle propose notamment au gouvernement de lier tout soutien en recherche et développement aux entreprises au fait que les brevets, qui en résulteront, ne puissent plus être transférés dans un autre pays.

La Commission propose aussi la création d’une « Google Tax ». Afin de payer moins d’impôt, les multinationales élaborent des montages complexes dans plusieurs pays et paradis fiscaux. Avec différents mécanismes, comme les prix de transfert entre filiales d’une même entreprise, ces multinationales réussissent à enregistrer leurs profits dans les paradis fiscaux et pratiquement à ne plus payer d’impôt dans les pays où elles réalisent leurs activités réelles. L’essor du commerce électronique, qui n’est pas suffisamment balisé, contribue à ce phénomène.

Certains pays, comme le Royaume-Uni, la France et l’Australie, ont déjà mis en place une telle taxe sur les profits détournés. La Commission demande au gouvernement de réaliser une étude d’implantation, d’avoir recours aux déclarations des entreprises, pays par pays, et de modifier la loi pour mieux taxer les transactions en ligne, notamment via les cartes de crédit. Encore ici, Québec devra faire pression sur Ottawa en ce sens.

Le rapport soulève de nombreuses autres solutions, allant de la création d’un registre central des entreprises à la levée du secret bancaire pour des individus soupçonnés de fraude fiscale, en passant par une protection accrue pour les lanceurs d’alertes.

Alors que le Canada est un cancre en matière de lutte aux paradis fiscaux, la Commission veut faire du Québec un leader mondial en la matière. Encore une fois, il faut saluer le travail des élus qui ont participé aux travaux de la Commission, tout comme celui des secrétaires et du recherchiste. Nous avons une pensée spéciale pour le député Nicolas Marceau, qui a demandé à la Commission de se pencher sur le phénomène des paradis fiscaux, car le rapport et les recommandations constituent une mine d’informations et de solutions pour s’attaquer à ce fléau.

Malgré tout le travail réalisé par le Québec et celui effectué à l’OCDE, la lutte aux paradis fiscaux est encore loin d’être gagnée. Le poids économique sur le milieu politique des entreprises, qui ont recours aux paradis fiscaux, est considérable.

Au Canada, l’essentiel des solutions à ce fléau réside à Ottawa. Les gestes que le Québec peut poser se résument donc essentiellement à interpeller Ottawa. Le reste du Canada semble toujours beaucoup moins intéressé par la lutte aux paradis fiscaux et il ne faut en aucun cas sous-estimer le poids de Bay Street.

Les cinq grandes banques torontoises sont les principales utilisatrices des paradis fiscaux au Canada. Elles sont très influentes, tant au cabinet Trudeau qu’au Parti conservateur.

Ce sont donc encore les intérêts économiques d’une autre nation qui dictent nos politiques.

 

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