Dispute Corée du Nord/États-Unis

2017/04/27 | Par Pierre Jasmin

En mai 2016, Mairead Maguire, infatigable prix Nobel de la Paix 1976 (Irlande), menait une délégation de femmes en Corée du Nord pour rompre le cercle infernal des menaces de guerre

L’auteur est vice-président des Artistes pour la Paix, membre de l’exécutif de Pugwash Canada et du comité de direction du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire

Comme nous nous sommes éloignés du basketball de paix et du genre d’initiatives illustré dans la photo ci-dessus! Lundi 10 avril, le ministère des Affaires extérieures du Canada recevait plus d’une trentaine d’invités, pour la plupart experts civils sur la menace nucléaire, à la suggestion de Bev Delong, présidente du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire. Étrangement aux yeux de Martin Larose, l’hôte québécois de cette réunion qui a promis d’améliorer ce ratio, j’en étais le seul Québécois invité. C’est pourquoi il me semble urgent de favoriser la naissance d’un mouvement pan-québécois pour la paix qui ne se limite pas à une activité régionale : les Artistes pour la Paix s’y activent présentement.

La réunion du 10 avril s’est tenue sous la règle stricte de Chatham House, qui m’interdit d’en relater les échanges, pacifiquement collégiaux quoique non dénués de profondes divergences de vue.

À Pugwash Canada, nous échangeons des courriels plusieurs fois semaine et, même, depuis l’arrivée au pouvoir du président américain, plusieurs fois par jour, grâce à la diligence de notre secrétaire Sergeï Plekhanov connecté à un grand nombre de publications spécialisées internationales.

 

Marius Grinius, ami de Pugwash Canada

Sur le sujet de cette chronique, je peux donc compter sur les écrits informés de Marius Grinius, ancien ambassadeur canadien en Corée du Sud (2004-7) et en Corée du Nord (2005-7) où il a effectué quatre visites à Pyongyang. Il en a retenu que si un correspondant affirme savoir ce qui s’y passe, soit il pèche par naïveté, soit il ment carrément!

Lui-même a eu une rencontre « franche et cordiale » d’une heure et demie avec des dirigeants militaires nord-coréens, qui la lui ont accordée probablement en raison de leur respect pour son passé militaire. Ils lui ont confié qu’à leur avis, seule leur arme nucléaire empêchait une attaque américaine sur le territoire national. Marius a plaidé que cette arme aliénait les voisins japonais et sud-coréens qui se sentant menacés, songent à acquérir eux-mêmes des armes létales, et que la Chine « alliée » est de plus en plus embarrassée par les déclarations agressives du leader Kim Jung-un.

À la fois partisan de négociations pour la paix et affligé par le manque d’ouverture de la Corée du Nord, toujours à la merci d’une pulsion agressive de son leader capable de faire tuer un de ses généraux parce qu’il s’est assoupi pendant un de ses discours, Marius Grinius croit que, malgré le petit nombre d’ogives nucléaires à sa disposition, la Corée du Nord doit rester au sommet de l’échelle des préoccupations tant des pacifistes mondiaux que des pays signataires du Traité de non-prolifération.

 

Situation tendue mondiale

Lui donne hélas raison l’hostilité manifeste et croissante du président américain Trump, à laquelle la Corée du Nord a répondu dimanche en menaçant de couler son porte-avions qui, après un détour par l’Australie, s’approche du Japon.

Les tweets de Trump sont d’autant plus irresponsables (mondialement parlant) qu’il fait courir un risque énorme au Japon et à la Corée du Sud, alors que ses propres côtes de l’ouest sont encore hors de portée des missiles nord-coréens. On en jugera en consultant le croquis suivant par Stratfor ayant diplomatiquement omis de dessiner le Japon, bien sûr aux premières loges d’une attaque nord-coréenne dont les missiles sont capables de frapper les zones 1 et 2, avec de la difficulté pour la zone 3 (le croquis a inversé les légendes des zones 2 et 3) et encore loin de pouvoir frapper la zone 4.

Le colonel américain à la retraite Larry Wilkerson, qui fut assistant de l’ancien Secrétaire d’État Colin Powell, s’est vu demander son opinion sur la déclaration du vice-président Pence à l’effet que l’époque de patience stratégique était terminée. Il a également commenté les tweets menaçant la Corée du Nord du président Trump, avec leur vantardise en préambule à propos de son attaque de 59 missiles en Syrie en punition contre une agression à l’arme chimique attribuée sans preuves concluantes[1] à Bachar al-Assad et de l’explosion de « la mère de toutes les bombes[2] » contre les Taliban en Afghanistan.

« Ce genre de déclarations grossières non diplomatiques m’alarme, a répondu le colonel. Comme la plupart des Américains et la plupart des Sud-Coréens, je suis prêt à patienter aussi longtemps qu’on réussira à éviter la guerre. La patience stratégique a permis d’éviter toute guerre sur la péninsule coréenne depuis 1953. «That's a pretty darn good record. Although I don't know what [Pence] means by "the period of strategic patience is over"».

La Chine, même si elle préfère une Corée du Nord dirigée par un parti communiste allié, sait qu’elle DOIT négocier avec les États-Unis pour persuader l’impatient Trump qu’elle applique suffisamment de pression, à l’aide de ses échanges commerciaux qui constituent plus de 90% de ceux pratiqués par sa très pauvre voisine.

Mais la Chine croit les États-Unis coupables de l’impasse nord-coréenne, par sa politique d’agressions impulsives menées sans accord du Conseil de Sécurité de l’ONU. Car comment peut-elle persuader Kim Jung-un de renoncer à son arme qu’il croit dissuasive, au vu du sort réservé à l’Afghanistan, à l’Irak, à la Libye, à la Serbie et maintenant à la Syrie, tous bombardés par les États-Unis?

Quant à la Corée du Nord, elle se souvient certainement d’un conflit qui a tué en trois ans 20% de la population coréenne et de la déclaration d’alors par Dean Rusk, Secrétaire d’État américain, que les avions américains avaient bombardé chaque être en mouvement et même chaque construction de plus de deux pierres au pays.

De leur côté, les Nations-Unies semblent avoir épuisé tous leurs recours en sanctions, sans résultats positifs apparents. Et le Secrétaire général se désole de l’inertie occidentale, chinoise, pakistanaise et indienne face à la plus belle initiative de désarmement à l’ONU (27 au 31 mars et à nouveau en juin) menée par l’ambassadrice colombienne ayant rallié 132 pays : plus de solidarité envers elle apporterait une détente au climat mondial.

 

(Ir)responsabilité du Canada

Nos collègues pacifistes étaient à Ottawa le 10 avril pour faire comprendre au gouvernement canadien que le discours de Trudeau, qui jouit hélas de l’appui de la très grande majorité des éditorialistes nord-américains, est irresponsable : sa déclaration en faveur de l’attaque de missiles américains en Syrie et son boycott des négociations en vue d’éliminer la bombe nucléaire (négociations en faveur desquelles la Corée du Nord avait voté en décembre, seule des neuf pays nucléarisés) constituent un délire militariste à dénoncer.

Car les armes nucléaires, à la merci de déclenchements accidentels ou de vol terroriste, ne font qu’augmenter la pression de guerre partout dans le monde et monopoliser des coûts de plus de cent milliards de $ annuels qu’on pourrait par exemple consacrer à l’aide internationale[3], au moment où le Haut-Commissariat de l’ONU clame la menace de 20 millions de morts en Afrique de l’est et au Yémen.

nfin, on nous trouvera chauvins comme artistes de prêter foi à la thèse du caricaturiste de La Presse, Gérard Chapleau, résumant ci-dessous à son inimitable façon l’un des objets les plus inquiétants de la situation internationale : la dispute Corée du Nord/États-Unis, vue sous l’angle macho de leurs leaders militaristes aux déclarations irresponsables.

PS1 Un documentaire de Vitaly Mansky, Under the Sun, permet une rare incursion dans l'un des pays les plus fermés du monde, où très peu de journalistes et de touristes peuvent aller. Le cinéaste russe a reçu l'autorisation du régime de Pyongyang pour filmer, pendant un an, une fillette de 8 ans durant les préparatifs pour les grandes célébrations de l'ancien leader Kim Jong-il. Le chercheur Benoît Hardy Chartrand et la documentariste Raymonde Provencher ont expliqué à Catherine Perrin (Radio-Canada) comment le film montre la bouleversante transformation d'une enfant parfois désemparée en outil de l'État.

PS2 Roots Action nous demande d’appuyer sa prise de position modérée face au président américain (suit une traduction maison):

Menacer d’attaquer un pays doté d’armes nucléaires est extrêmement irresponsable et tout à fait illégal, peu importent les défauts de son régime.

La Corée du Nord a souvent présenté l’offre d’abandonner son programme d’armes nucléaires si les États-Unis et la Corée du Sud cessaient leurs survols et exercices militaires.

La Corée du Nord a montré de l’intérêt à développer un traité de paix avec le Sud pour mettre un terme à la guerre de Corée.

La Corée du Nord a adhéré à une entente pour mettre fin à son programme d’armes nucléaires jusqu’à ce que le président américain George W. Bush qualifie le pays de membre de l’axe du mal et attaque vicieusement l’un des deux autres membres désignés, l’Irak.

La paix est possible. Nous demandons aux États-Unis d’arrêter ses pulsions de guerre et de travailler plutôt à des solutions de paix.

 

Ci-dessous, trois enfants nord-coréens

 

[1] Le New York Times croit avoir trouvé au moins la preuve que la Russie et la Syrie ont menti sur le bombardement comme on peut voir dans la vidéo https://nyti.ms/2q4rtTC . Par contre on trouve différentes thèses en appui du contraire : lire entre autres le journaliste israélien Uri Avnery.

[2] Expression horrible reprise par plusieurs journaux, contre laquelle Stéphane Laporte s’est emporté en songeant aux « mères de tous les orphelins » laissés par la dite bombe GBU-43/B Massive Ordnance Air Blast Bomb (MOAB), déclenchée le 13 avril dernier.

[3] Le Canada a procédé à sa plus grosse diminution de l’aide internationale en 2016, sous Trudeau!