Hommage à EXPO 67 en sept chapitres

2017/05/03 | Par Pierre Jasmin

Philippe de Gaspé Beaubien, Nancy-b, Yves Jasmin, Guylaine Maroist et Éric Ruel le 25 avril

Sources principales Yves Jasmin, directeur de l'Information, de la Publicité et des Relations publiques d'Expo  67, glanées et aménagées par Pierre J. vice-président APLP. Merci à Guylaine Maroist, ex-présidente des Artistes pour la Paix, pour son film et une bonne partie du texte du 1er chapitre

 

1- EXPO67 Mission impossible

Mardi 25 avril restera longtemps gravé dans la mémoire des gens qui ont assisté à la première du film Expo 67 Mission impossible. Un public ému et conquis, composé de dignitaires, d’artistes, de personnalités politiques et de citoyens ont applaudi à tout rompre l’histoire racontée par MM. Philippe de Gaspé Beaubien et Yves Jasmin.  Ces deux artisans, avec leur travail acharné et leur belle folie, ont fait naître la magie de l’Expo, qui trouvait encore écho hier soir à la Salle Maisonneuve archipleine de la Place des Arts dont le PDG Marc Blondeau a rappelé la date de fondation : le 29 avril 1967 ! Il aurait pu également rappeler son occupation record par Yvon Deschamps, présent avec Judi Richards. Tous les spectateurs n’hésitaient pas à ponctuer le film de leurs applaudissements enthousiastes, une magie qui a teinté même le discours de la ministre de la Culture, Hélène David, devenue groupie, sans compter l’enthousiasme débridé du maire Denis Coderre.

Quoi dire de ce film admirable qui sera projeté le 3 mai à 10h du matin à CANAL D? Notez dès ses premières images foisonnantes, la narration de Guylaine Maroist, PARFAITE tant dans l'éloquence maîtrisée que dans le contenu!!! Du grand art!

Le film EXPO67 MISSION IMPOSSIBLE Il révèle l'effort considérable fourni par les Jean Drapeau, Philippe de Gaspé Beaubien, Pierre Dupuy et Yves Jasmin pour briser le démon du "petit pain des Québécois" : quatre années infernales de travail critiqué, mais aussi quatre années de travail solidaire acharné d’une équipe de sept « durs » dans des pièces enfumées par les cigarettes de Jasmin et le cigare de Churchill (le colonel en charge de livrer à temps les infrastructures), années bien mises en valeur par l’équipe Maroist-Ruel.

Elle a aussi eu l’excellente idée d’insérer les témoignages de deux femmes qui épaulaient dans l’ombre leur travail, Nancy-b Beaubien, l’épouse du maire de l’EXPO, et Diana Nicholson, adjointe aux relations publiques.   

La leçon à tirer du film est que pour nous tous et toutes, RIEN N'EST IMPOSSIBLE pour faire rayonner l'humanité et avancer la paix: c'est le message qu'Éric Ruel a tenu à livrer en affirmant que la mobilisation auprès du maire Coderre et des autres politiques qui croient encore au BIEN COMMUN ne fait que commencer, avec l’aide de tous et toutes et des Artistes pour la Paix.

Pierre Dupuy n’est plus de ce monde mais soulignons qu’il a été l’inspiration première des artisans fêtés le 25 avril dernier en imposant son idéalisme intransigeant par-dessus toute mesquine considération patriotique ou commerciale. C’est pourquoi l’ex-diplomate a pu convaincre près de 70 pays de venir présenter leurs réalisations et espoirs dans autant de pavillons qui ont fait découvrir le monde aux Québécois, même le monde soviétique avec qui on était en pleine guerre froide. Yves Jasmin s’est même lié d’amitié avec le responsable du pavillon tchécoslovaque, qui ne craignait pas d’affirmer les valeurs humanistes et l’humour qui teintaient la première œuvre de Milan Kundera, et ce avant que les tanks russes n’envahissent Prague en 1968.  

Le motif qui a donné naissance à l'emblème de l'Expo 67 est un ancien cryptogramme représentant l'homme debout, les bras tendus. Reproduit en caractères jumelés, il exprime l'amitié universelle dans une ronde symbolisant le monde en paix. Sans Dupuy et la solidarité des « durs », le très beau symbole créé par Julien Hébert sur la thématique Terre des Hommes aurait été supprimé par la Chambre des Communes qui a voté contre : le chef conservateur Diefenbaker parlait de « monstruosité », d’autres de « pattes de poule », la plupart déploraient l’absence de feuille d’érable canadienne[1]. Cela prenait du courage pour passer outre, puisqu’après tout, comme le souligne Jasmin dans le film, c’était Ottawa qui payait leurs salaires en grande partie et que le gouvernement Pearson était minoritaire…

Ils ont eu ce courage idéaliste, même si le journaliste Bill Bantey de The Gazette parlait d’un symbole ridicule critiqué par TOUS les Américains. Heureusement, il en restait des à gauche comme Schulz dont on voit ci-dessous une œuvre dont même les fils Hébert, Michel et François, ignoraient l’existence  :

Cela prenait aussi du courage pour mettre l’accent de l’EXPO (terme âprement critiqué par le même journaliste, avant qu’il s’impose dans le monde entier…) sur la culture et l’éducation, sans considérations matérialistes autres que les aménagements floraux par le jeune directeur de 23 ans, Pierre Bourque ! La rigueur de Dupuy a su néanmoins se laisser convaincre par M. Beaubien que la Ronde était un ajout intéressant pour un divertissement qui profiterait à tous et même aux générations futures !

Anecdote: lors de l’hommage APLP à Janette Bertrand le 7 avril à l'hôtel de ville de Montréal[2], elle et Yves Jasmin se sont échangé beaucoup de souvenirs, entre autres sur une des toutes premières émissions de TV chacun son métier où ils se retrouvaient souvent il y a 65 ans (!), ainsi que des infos sur les mérites de leurs marchettes respectives... Si elles ne vont pas très vite, au moins vont-elles quelque part, dans leurs beaux engagements respectifs!

Quel beau chant du cygne pour mon père qui a probablement dû en partie son divorce (il y a près de 50 ans mais avec le bénéfice heureux de ma demi-sœur Élisabeth et de mes deux brillants neveux présents le 25 avril) à ces heures supplémentaires aux quatre coins de la terre. Il est heureux que Gilbert Rozon reconnaisse enfin l’importance de célébrer le 50e anniversaire d'EXPO67, plus important dans la tête de centaines de milliers de Québécois que les fêtes du 375e de Montréal ou du 150e de la Confédération. Mon père est reconnaissant à Guylaine Maroist, Éric Ruel et à leur impressionnante équipe, Rosemonde communications, des développements des derniers jours, qu'il doit en très grande partie à leurs efforts!

Merci aussi à l’article de Lisa-Marie Gervais (voir 4e chapitre) et au Devoir qui a consacré son édition de samedi à la thématique principale EXPO67.

Merci enfin à l’équipe de Guy A. Lepage à Tout le monde en parle pour avoir accueilli avec tant de chaleur Yves J. et Philippe de Gaspé-Beaubien le 23 avril !

 

2- Des faits

L’EXPO 67 fut le début de l’altermondialisation au Québec, responsable en partie de l’ouverture aux autres de notre peuple qui n’avait dû son salut et celui de sa langue qu’à son douloureux repliement sur lui-même. Les lignes suivantes sont principalement écrites à partir de notes de mon père, Yves Jasmin, responsable des communications à EXPO67.

Son grand thème fut « Terre des Hommes » à partir de la pensée de Saint-Exupéry : « Être homme, c’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde ». À partir du thème général, sept sous-thèmes furent développés :

- L'Homme interroge l'univers : l'Homme, la planète et l'espace, l'Homme et la vie, l'Homme et la mer, l'Homme et les régions polaires ;

- L'Homme à l'œuvre : les ressources de l'Homme, l'apprenti-sorcier, le progrès ;

- Le Génie créateur de l'Homme : les beaux-arts, la sculpture contemporaine, l'esthétique industrielle, la photographie, la musique (son pavillon sera transplanté à Orford Musique dont il constitue encore un fier bâtiment) ;

- L'Homme dans la cité : l'architecture et l'aménagement intérieur, les portes de la cité, le citérama, la cité des solitudes, la cité inquiète, la cité quotidienne, les cités en marche, l'uni-cité, la cité enchantée ;

- L'Homme et la santé : le médi-théâtre, les problèmes de la santé, les problèmes sanitaires, l'enseignement médical et le service hospitalier, la recherche, la médecine de l'avenir ;

- L'Homme et l'agriculture : l'acre au soleil, la population mondiale et l'alimentation, l'agriculture et le cycle de la nature, les sols, les récoltes, la mise en marché, la mécanisation, la volaille, l'élevage du bétail, les produits laitiers, la fermette ;

Le Labyrinthe et Habitat 67 furent ajoutés à la liste des concrétisations du thème.

L’EXPO 67 nous a ouverts à la science par ses pavillons thématiques, à la culture par ses pavillons de la musique et de la jeunesse mais surtout par son incroyable festival mondial à la Place des Arts ; elle nous a aussi ouverts aux cuisines exotiques, aux danses africaines et sud-américaines et au monde mystérieux derrière le Rideau de Fer : pavillons de l’URSS, de Tchécoslovaquie, de Cuba dont on a découvert les accomplissements, chez ceux que la propagande nord-américaine nous avait dépeints comme des barbares sans foi ni loi.

 

3- Ne pas faire TAIRE DES FEMMES

Le fils décline toute accusation de machisme que ne manquera pas de susciter le texte suivant que son père a repris en partie dans son discours à la Salle Maisonneuve…

« Le thème Terre des Hommes permit de méchants jeux de mots, comme: On ne dit pas Terre des Femmes, parce qu'on ne peut pas faire Taire les Femmes.

Il faut cependant souligner l'importante participation de deux femmes, dès le début de l'aventure: lorsque Louis-Alphonse Barthe eut l'idée d'une exposition universelle, en lisant les préparatifs de l'Expo de Bruxelles au début des années 50, il en parla à sa sœur, Marcelle Barthe, speakerine à Radio Canada. C'est elle qui trouva l'idée excellente et suggéra à son frère d'en parler au ministre fédéral Sévigny.

Pierre Sévigny reçut Barthe, l'écouta poliment et le remercia, pas tellement convaincu. Au dîner chez lui, il parla de sa journée à son épouse Corinne et de la visite de Barthe. Celle-ci s'enthousiasma et dit à son mari: "C'est une idée merveilleuse. Il faut y donner suite..."

On connaît la suite. Ce qu'on ne connaissait pas, c'est l'influence de ces deux femmes sur leurs maris. Voilà, entre autres, pourquoi il ne faut pas faire Taire les Femmes. »

 

4- Expo 67: vendre Montréal au reste du monde

22 avril 2017 |Lisa-Marie Gervais | Actualités en société

Yves Jasmin est l’une des rares mémoires vivantes d’Expo 67. L’ancien directeur des relations publiques, des communications et de l’information de cet événement d’une envergure sans précédent explique comment il a « vendu » Montréal au monde.

Âgé de 95 ans aujourd’hui, Yves Jasmin a l’esprit vif, la répartie intacte et les souvenirs frais. Depuis son modeste chez-lui aux allures de musée — des affiches, des caricatures, une plaque de voiture et d’autres artéfacts sur le thème de Terre des hommes ornent les murs et jonchent le sol —, il explique, grâce à sa mémoire chirurgicale des événements, comment il a convaincu le monde entier de s’intéresser à l’Exposition universelle de Montréal en 1967. « Ce qu’il nous fallait, c’étaient les Américains. Les Canadiens, bien sûr, mais les États-Unis, c’était le gros marché qu’on visait », raconte Yves Jasmin, qui fut cinéaste à l’ONF et journaliste, avant d’embrasser une longue et fructueuse carrière de relationniste (Air Canada, Molson, Ford). Il fallait surtout faire mieux que la Foire internationale de New York, qui s’était tenue en 1964 et 1965 et qui avait été un flop, selon lui.

Déjà, quelques années avant l’ouverture d’Expo 67, Yves Jasmin faisait venir des vols et des autobus nolisés de journalistes pour leur faire son « song and dance », soit une opération de séduction destinée à les impressionner. « J’avais un budget assez important pour ça, mais certains journalistes insistaient pour payer, raconte-t-il. Ça commençait, disons, le mercredi soir, la Ville les recevait à dîner à l’hôtel Windsor et leur faisait visiter Montréal. Le lendemain matin, les journalistes étaient invités chez moi pour le petit-déjeuner et, avec notre gang, on leur faisait notre “song and dance”. » Les journalistes étaient ensuite emmenés sur le site en construction. « C’était une mer de boue. Mais il y avait une petite cabane construite par les fabricants de bois et, pour 10 cents, tu pouvais monter là-dedans et avoir une vue de ce qui se passait sur le site. »

Selon Yves Jasmin, c’est à ce moment-là que la « curiosité était piquée » et que le charme commençait à opérer. Les quelque 50 millions de visites — et non pas de visiteurs uniques, insiste M. Jasmin — lui ont donné raison par la suite.

 

Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Yves Jasmin, directeur de l'information, de la publicité et des relations publiques d'Expo 67

Quand Moscou bat en retraite

Malgré le succès qu’on lui connaît, l’Expo n’était pas gagnée d’avance. « Peu de gens savent que c’est parce que Moscou s’est désistée que Montréal a pu avoir sa chance », raconte pour sa part l’historienne Huguette Dussault, dont le mari récemment décédé, Michel Dumas, a été le premier président de la Fondation Expo 67 et spécialiste des communications dans les Expositions internationales.

                                                                                                  
Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir Serge Martin, président de la Fondation Expo 67 et des Grands Explorateurs

Après le désistement de l’Autriche, le Canada a joué du coude avec l’URSS en 1960, pour finalement voir l’événement lui filer entre les doigts. Le président du BIE a eu tôt fait de rassurer la délégation canadienne en lui disant qu’elle aurait très certainement l’Expo. « Les Russes ne veulent pas avoir à surveiller 20 millions d’étrangers et ne veulent pas non plus montrer au monde entier la misère du système socialiste. Ils vont se désister et, dès que je le saurai, je vous préviendrai », lit-on dans La petite histoire d’Expo 67, un essai d’Yves Jasmin rassemblant anecdotes et souvenirs publié il y a 20 ans.

La prophétie s’avéra. Une exposition commerciale française tenue à Moscou au début de l’année 1962 donna le coup de grâce. Des catalogues des Galeries Lafayette furent massivement distribués, laissant entrevoir toutes les « richesses » de l’Occident, ce qui a déplu aux dirigeants soviétiques, qui ont renoncé à l’Expo. « C’était la première fois qu’une exposition de ce calibre-là allait se tenir hors de l’Europe », précise M. Jasmin. Victorieux, le Canada a d’abord offert l’occasion à Toronto, qui a refusé pour des raisons financières. « Non, merci. Donnez ça à Drapeau, il va se ruiner », avait lancé le maire de la Ville reine.

 

Un coup de fouet pour les transports urbains

Des infrastructures majeures, comme les autoroutes Bonaventure et Décarie et le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, ont été créées ou améliorées en prévision de l’événement. Le métro, inauguré quelques mois auparavant, a évidemment été le moyen de transport privilégié pour se rendre à l’Expo. 

Le site même d’Expo 67 a été le lieu d’expérimentation de plusieurs modes de transport. Toutes les images d’archives montrent le très populaire minirail bleu qui parcourait le site du matin au soir. Les visiteurs ont également pu se déplacer en gondole et en vaporetto, en pousse-pousse, en pédicab. Des hélicoptères ont fait la navette pour transporter des visiteurs. 

Un aéroglisseur britannique sillonnait le fleuve, qui a transporté quelque 350 000 passagers pendant l’été, dont plusieurs jusqu’à l’île Charron. Il parvenait d’ailleurs à remonter les rapides de Lachine.

Mais le moyen de transport le plus populaire était probablement l’Expo-Express. Ce train rapide de surface empruntait un trajet de près de six kilomètres et faisait la navette entre cinq stations sur le site. Il était composé de huit trains comportant chacun six wagons. Ses commandes étaient complètement automatisées. Les voitures roulaient sur des roues en fer. Chaque train pouvait transporter 1000 passagers, et il semble que le temps d’attente entre les trains était d’à peine cinq minutes.

Dans ses mémoires, Yves Jasmin soutient que l’Expo-Express avait été conçu pour être utilisé dans le tunnel sous la montagne et pour devenir un des trains de banlieue. « On prévoyait même que ce train se rendrait de la Gare Centrale à l’aéroport de Dorval ou de Mirabel, qui existait déjà dans l’esprit des planificateurs », dit-il. C’était le fameux rêve de la navette rapide entre le centre-ville et l’aéroport. Un beau projet qui n’a jamais vu le jour.

Le train a été en fonction sur un circuit plus petit jusqu’en 1972, puis il a été remisé. Après plusieurs projets avortés pour le relancer, les wagons ont fini par être envoyés à la ferraille.

 

Mois de suspense

Dans les quelques mois qui ont précédé l’inauguration, il y avait un certain scepticisme au sein de la population, soutient Serge Martin, président de la Fondation Expo 67 et des Grands Explorateurs, né dans la foulée de cette manifestation d’envergure. « Les entrepreneurs avaient un doute. Ils hésitaient à investir pour avoir une concession de kiosques de souvenirs ou un restaurant. Ils se demandaient si ça allait réellement avoir lieu, explique-t-il. Mais ils ont été pleinement récompensés. Au restaurant steakhouse Klondike, des petits gars avaient été embauchés rien que pour rouler des 25 cents en paquet. »

 

Passeport, coup de génie

Certains avaient proposé que l’Expo se tienne sur plusieurs sites répartis dans la ville. Mauvaise idée, avait déclaré Yves Jasmin. En veillant à ne pas répéter les ratés de la foire de New York, il tenait mordicus à l’idée d’un transport sur rail gratuit. Idem pour l’accès au site et la visite des pavillons : pour lui, pas question « de sortir son portefeuille à tout bout de champ ».

Photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec Une affiche de l'Expo 67

L’idée du passeport a été l’un des meilleurs coups de génie d’Expo 67. Elle est parvenue aux oreilles de M. Jasmin, qui l’a tout de suite adoptée. Il a néanmoins dû batailler ferme pour la faire accepter. « La photo, le papier spécial pour ne pas que les estampilles soient recopiées… C’était compliqué et coûteux, dit-il. Mais encore aujourd’hui, c’est un objet de collection. Des milliers de Montréalais l’ont gardé. »

En tout, 41 millions de billets d’un jour, de visas d’une semaine et de passeports permanents ont été imprimés et distribués. Il en coûtait de 20 $ à 35 $ (de 182 $ à 218 $ en dollars d’aujourd’hui) pour un passeport, selon qu’il était acheté avant ou après l’ouverture le 28 avril. « À l’Expo de Shanghai de 2010, ils ont créé une réminiscence du passeport en soulignant que c’était à Montréal qu’il avait été lancé, raconte Mme Dussault. C’était une sorte d’hommage. »

Mais ce passeport ne permettait pas de couper les longues files d’attente, contrairement aux laissez-passer des journalistes. « Ça, c’était très recherché. Au lieu d’attendre quatre heures pour aller voir le Labyrinthe, qui ne méritait pas qu’on attende autant, les journalistes pouvaient passer devant, explique-t-il. Si on attrapait quelqu’un avec une fausse carte, il pouvait presque être emprisonné ! »

Pour promouvoir Expo 67, Jasmin et son équipe ont aussi beaucoup voyagé, en Europe (Grande-Bretagne, France) et surtout aux États-Unis. De petits messages publicitaires d’une minute ont même été tournés avec le concours de Maurice Chevalier, de Yuri Gagarine et d’Ed Sullivan. « C’était pour le peuple américain. On voulait leur faire comprendre que c’était vrai, ce qui se préparait. Ce n’était pas une invention ! » Mais le bon coup de marketing publicitaire a été sans contredit l’achat — très coûteux — d’une annonce dans le magazine américain Life, à l’époque tiré à neuf millions d’exemplaires. « Ça disait quelque chose comme : “Voyez ce que les Russes construisent à 60 kilomètres de la frontière américaine”, et on montrait le début de la construction du pavillon soviétique. Ça avait l’air d’une rampe de lancement », rigole Yves Jasmin.

En pleine guerre froide, cet éclair de génie a eu son effet. Le reste, c’est l’histoire, comme disent nos voisins les Américains, qui n’ont pas boudé leur plaisir de venir visiter le « monde entier » dans un Québec qui entrait dans la modernité.

 

5- Marc Séguin, peintre et romancier

Le texte suivant est tiré de son roman Nord/Alice p. 149

« Ils se sont d’abord croisés dans un autobus sur l’avenue du Parc. Cette jeune femme a tout de suite obsédé mon père. Il s’est mis à penser à elle comme un homme pense à une femme, constamment, avec désir et volonté. Convaincu d’avoir trouvé l’épouse parfaite, il la trouvait douce et intelligente.

Puis mon père a invité ma mère à l’accompagner à l’Expo 67. Ce fut leur première sortie. Il était déjà médecin à l’hôpital Saint-Luc de Montréal. Ils se sont fait faire des passeports de l’Expo, avec la photo. De faux passeports. C’était dans le thème d’une société moderne.

 

Photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec Un passeport d'Expo 67

Ils se sont embrassés pour la première fois dans le pavillon du Canada. Le Katimavik. J’avais raconté, fier, cette histoire à Alice [une inuïte dans le roman], en essayant de lui dire que le mot, en inuktitut, voulait dire « lieu de rencontre ». Elle avait juste souri en disant que les dialectes changeaient tellement d’un village à l’autre que c’était toujours le sens qu’on voulait donner aux traductions qui survivrait. Mon père lui a d’abord pris la main. Ils ont traversé tout le pavillon, le cœur battant, sans se regarder, pendant de longues minutes. Juste heureux et nerveux d’être enfin liés. C’était fait. Sans considération pour la durée, ils formaient un couple. Leurs regards se sont croisés et leurs lèvres se sont finalement touchées juste avant de sortir du pavillon. Un baiser court. Officiel comme le maillet d’un juge. La suite irait de soi. Avec les désirs et les attentes de l’autre. Il voulait l’embrasser de nouveau. Elle ne souhaitait que ça. Un baiser, deux vies, parmi cinquante millions d’autres venues à Montréal à l’été 67. »

 

6- Le "déficit" de l'Expo

Il s'agit d'une légende urbaine, soigneusement entretenue par les détracteurs de l'Expo, qui semblent vouloir démontrer que l'Exposition universelle et internationale était "une autre des fantaisies désastreuses du maire Drapeau". Or, loin d'être déficitaire, l'Expo a été d'un grand bénéfice monétaire pour ses trois commanditaires, le Canada, le Québec et Montréal. Il faut parler d’un investissement et même d'un investissement extrêmement rentable. Qui a raison ? 

Oublions d’abord, pour un moment, que L’EXPO 67 fut le meilleur et le plus important investissement gouvernemental CULTUREL et qu’elle a transformé notre vision du monde : qui sait si la création des Universités du Québec aurait eu lieu en 1968, sans l’accent qu’EXPO67 a mis sur l’apport culturel et scientifique des peuples ? Oublions donc ses bénéfices de prestige, culturels et intellectuels, impossibles à monnayer, donc inexistants aux calculs des détracteurs, imperméables à tout ce qui n’est pas économique.

Les chiffres officiels sont les suivants: capitalisation, 230 292 760$; exploitation, 201 611 923, un coût total de 431 904 683$, soit, pour arrondir la somme, quelque 432 millions de dollars. Et l'Expo a rapporté directement, en billets vendus, en ristournes, en droits, la somme de 231 239 872$ (chiffres tirés du Rapport général, publié en 1968). Le coût de l'Expo aurait donc été de quelque 210 millions. C'est que l'on ne compte dans ce Rapport général que les revenus directement perçus par l'Exposition sur l'emplacement, alors que les revenus de l'Expo ne sont pas provenus uniquement de la vente des billets d'admission.

Il faut compter les taxes perçues sur les matériaux de la construction de l'Expo et des pavillons étrangers; les impôts perçus sur le revenu des milliers d'employés qui y ont œuvré  pendant cinq ans : employés de l'Expo, employés des pays étrangers qui ont payé logement, alimentation souvent pour plusieurs années, ainsi que les employés des centaines d'entreprises qui ont participé à sa réalisation, ingénieurs, architectes, concepteurs des pavillons de l'Expo et des pavillons des pays participants et dès son ouverture, les taxes payées par les visiteurs, aux restaurants, aux hôtels (rappelons que Québec avait imposé une taxe de 10% sur les séjours aux hôtels du Québec pour la durée de l'Expo, aux stations-service pour l'essence, aux achats en tous genres, au Canada, au Québec et à Montréal, au cours de ces 185 jours de 1967).

Et on oublie de tenir compte des quelque 270 millions investis par les pays étrangers et par les provinces canadiennes, les entreprises et associations nationales et internationales dans la construction et le maintien de leurs pavillons dont certains sont restés (dôme géodésique, pavillon de la France…).

On oublie aussi de calculer la valeur de ce que l'Expo a laissé derrière elle à sa fermeture, les terrains, les routes, les ponts et le parc de La Ronde.

L'Expo a aussi généré beaucoup d'actifs non mesurables, pour les Canadiens et les Québécois, un prestige international et de nombreuses entreprises qui autrement n'auraient jamais vu le jour. Mais, pour rester dans le domaine concret, voyons seulement le bilan touristique pour 1967. L'Office canadien du Tourisme, dans son rapport de l'année 1967, fait état d'une augmentation des revenus touristiques de 533 millions sur les chiffres de 1966 et estime que 460 de ces 533 millions sont directement attribuables à l'Expo. Ces 460 millions à eux seuls couvrent amplement l'investissement initial dans l'Expo. Il n'est pas étonnant que ces chiffres fassent que 1968 ait eu figure de vache maigre! La dépression morale qui a suivi a amené plusieurs à dire que nos "malheurs" de 1968 étaient attribuables au déficit de l'Expo. C'est là qu'une vigoureuse campagne de rétablissement de la vérité aurait été utile.

Yves Jasmin, O.C., (décembre 2011)

CQFD : les dollars investis en culture rapportent en dividendes, sans compter l’enrichissement culturel des Québécois qui se sont ouverts au monde à cette occasion.

En comparaison, les dollars en armement n’apportent souvent que destruction et coûts en soins psychiatriques pour nos malheureux soldats exposés à la violence des populations envahies résistantes et parfois à celle de leurs supérieurs et souffrant de troubles post-traumatismes persistants, que le général Dallaire a eu le courage d’exposer.

 

7- Antécédents d’Yves Jasmin à sa nomination à l’EXPO67

« Un aimable gentleman avec qui je parlais de ma participation à l'Expo 67 m'a demandé l'autre jour quelle avait été ma formation pour qu'on me confie une tâche aussi importante. Cela m'a fait réfléchir.

S.E. Pierre Dupuy dans son livre L'Expo 67 ou la découverte de la fierté dit en terminant sa description de l'équipe de l'Expo: "restait le poste le plus difficile, le plus ingrat, le plus nécessaire: celui de directeur des relations publiques. Une enquête assez longue nous conduisit à M. Yves Jasmin qui remplissait les mêmes fonctions chez Ford à Montréal. J'aurai l'occasion de parler de lui ultérieurement. Disons qu'en définitive, il triompha de tous ses critiques."

M. Dupuy dit avoir écrit son livre sans avoir de notes. Un envol spontané, cela paraît. On y trouve quelques erreurs. Celle que je trouve impardonnable est le traitement superficiel qu'il fait de l'immense travail d'administration et d'ingénierie de Robert F. Shaw, son grand ami, comme il dit quelques fois. C'est Shaw qui a construit l'Expo et qui en a été l'administrateur extraordinaire.

En ce qui me concerne, il dit: j'aurai l'occasion de parler de lui ultérieurement ce qu'il n'a pas fait, et une enquête assez longue pour me trouver n'a jamais été faite à ma connaissance. Kniewasser m'a dit en ce temps-là: You have powerful friends. J'ai compris plus tard qu'il s'agissait du maire de Montréal, Jean Drapeau.

Revenons à mes antécédents. Quelle a donc été ma formation pour qu'on me confie une tâche aussi importante? (L’article de mon père s’étend sur quelques réalisations professionnelles, mais j’ai retenu cette confession atypique : on attribue exclusivement aux bombes du FLQ la conversion des anglos à la vertu d’apprendre le français. Comme pacifiste, je récuse cette explication insultante pour la valeur de mes amis anglos et j’ai été fier de trouver les dons de prédicateur de mon père P.J.).

« J'étais membre de la Société des relations publiques, la SCRP, et en ai gravi les échelons: président de la société de Montréal, ensuite du Québec et finalement du Canada. C'est à ce titre que j'ai eu l'occasion d'être invité à parler aux membres de la SCRP[3] à Montréal le 7 février 1963. C'est dans le livre Le français au-delà des mots, écrit par Aimé Gagné[4], ardent défenseur du Québec français, révélant les problèmes linguistiques du Québec. Aimé m'a fait l'honneur de me citer dans son livre, un document que j'ai probablement quelque part dans la masse de documents que nous conservons tous précieusement, laissant à nos successeurs le soin de s'en débarrasser:

"Je garde toujours à l'esprit une de ses toutes premières interventions publiques qu'il fit à Montréal le 7 février 1963, à titre de président de la SCRP du Canada devant ses confrères. Son propos me paraissait osé pour le temps, mais tellement juste. Jamais personne n'avait parlé si ouvertement en public à des anglophones québécois. Il fallait certes du toupet pour le faire! Je rappelle que nous étions au tout début de la Révolution tranquille, au temps du fameux Maîtres chez nous lancé par le nouveau premier ministre Jean Lesage, chef et inspirateur de la célèbre Équipe du tonnerre.

Voici une partie du texte d'Yves Jasmin:

The two subjects I have covered with my French-speaking confrères are CPRS and the activities of French-speaking Quebec. I believe it is time for French PR men and women to voice their opinion and to help guide public opinion in what should be, in their estimation, the right path for Quebec.

Your own contribution in this field is immense. You will have to take an active part in the affairs of this province, work with French-Canadians and leave aside your aloofness and your isolationism.

If you think these words are harsh, consider them in this light - You are living in a province which has a population of 5 250 000 inhabitants. Out of these, 3 250 000 speak only French and 1 350 000 are bilingual. I think you will admit readily that the vast majority of the bilinguals are basically French-speaking. The English minority is of 600 000 and yet you have erected around yourselves a wall of such height that you have no fear you will ever be contaminated. Frankly this attitude amazes me... Some of you have been living in Quebec for forty years and cannot ask for water or for bread in French.

It is not surprising. Your work is conducted in English only. You leave your Westmount home or your Lakeshore residence after having read The Gazette; ride downtown in a train with your English-speaking neighbours or drive your car while listening to CJAD; work in an office where French is often not tolerated (I have often heard: don't forget this is an English (speaking) company!); have lunch with buddies at the St. James, University or Engineers Club; ride back home the same way you rode to work and spend the evening reading The Montreal Star and watching American TV.

Yet, you are the one who must counsel your company on what to do to meet the mounting indignation of French-Canadians in the face of your own attitude. No wonder such extraordinary blunders are pulled every day by your companies. You have no idea of the milieu in which you are living. Your only contact with French Canada is through some assistant in your company who has been kept under foot for years, who's been shot down in flames every time he has made a suggestion. Now, all of a sudden, you expect this guy or gal to produce ideas, constructive, daring ideas to pull you out of an uncomfortable situation. And, surprisingly enough, we've seen it done...

You have a tremendous job ahead of you because of the sheer neglect of past years. But you also have an advantage however it is that you are surrounded by friends who can help you. We are in this Society together and you can call on each and every one of us. We will gladly help you with your problems. It is in such times that a Society like ours shows its usefulness...

But, enough weeping, ladies and gentlemen, the hour is grave. We, the French-Canadians and you the English-Canadians must work very closely together if we are to remain together. I think we understand you better than you understand us. We've been trying harder for a longer period of time. If you try to understand us we will be glad to sit with you and explain our point of view. We want listeners, are you ready to listen?

Et Gagné conclut: "Son intervention fut favorablement reçue et largement commentée par les deux grands quotidiens de Montréal, The Gazette et The Montreal Star dont les éditorialistes apprécièrent qu'un relationniste francophone ait le courage et la franchise de dire aux anglophones ce qui devait leur être dit. »

 

[1] alors que le Canada venait après un débat houleux à la même Chambre des Communes de renoncer à l’Union Jack sur le drapeau national, que l’Ontario s’était empêché de récupérer…

[3] Il est encore à ce jour le seul Canadien à avoir reçu l’honneur de Public Relations Man of the Year américain

[4] Il fit partie de la Commission Gendron (1968 à 1972) sur la situation du français au Québec, y représentant cette situation dans le milieu des entreprises.