L’Arabie saoudite ne peut défendre les droits des femmes à l’ONU

2017/05/04 | Par Texte collectif*

* Ont signé ce texte : Daniel Baril (anthropologue), Djemila Benhabib (écrivaine), Nadia el-Mabrouk (professeure à l’UdeM), Nadine Fleury (médecin), Hassiba Idir (féministe et citoyenne laïque), Lucie Jobin (Mouvement laïque québécois), Ali Kaidi (Association québécoise des Nord-Africains), André Lamoureux (Coalition laïcité Québec), Mona Latif-Ghattas (écrivaine), Leïla Lesbet (militante féministe et laïque), Louise Mailloux (essayiste), David Rand (Libres penseurs athées), Andréa Richard (écrivaine), Jocelyne Robert (écrivaine et sexologue), Michel Sirois (Pour les droits des femmes du Québec), Michel Virard (Association humanistes du Québec).

L'Arabie saoudite, pays où l’on pratique un islam rigoriste, régi par la charia, vient d’être élue membre de la Commission de la condition de la femme des Nations unies pour une période de quatre ans. Ainsi, par un vote secret, le Conseil économique et social de l’ONU (ECOSOC) permet au royaume wahhabite de siéger au sein de cette commission composée de 45 États dont le mandat est de promouvoir les droits des femmes et de veiller à leur autonomie. Pour le Canadien Hillel Neuer, directeur exécutif d’UN Watch, « élire l’Arabie saoudite pour contribuer à la protection des droits des femmes, c’est comme nommer un pyromane chef des pompiers ». Nous partageons cet avis. Cette élection est un véritable scandale, une insulte à l’intelligence !

Pour rappel, la Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée en 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies constituée de 58 États membres. Bien qu’à cette époque-là aucun État n’ait eu à se prononcer contre la Déclaration, huit d’entre eux se sont abstenus de voter, dont l’Arabie saoudite sous le motif de l’incompatibilité de son régime politique avec le principe d’égalité entre les femmes et les hommes tel que garanti dans la Déclaration.

En matière de droits de la personne, ce même régime a-t-il évolué depuis pour mériter un siège à la Commission de la condition de la femme des Nations unies ? Sans grand effort, chacune et chacun sont en mesure de constater l’apartheid sexuel institutionnalisé par le royaume des Saoud, faisant fi de tous les textes internationaux en la matière. Certes, nous reconnaissons qu’il y a eu quelques avancées, ici et là, depuis 1948. Trop peu. Trop modestes. N’empêche que les femmes y sont toujours considérées comme des mineures à vie. Sans compter que, sur la scène internationale, le royaume saoudien est en grande partie responsable de la promotion d’un islam extrémiste, wahabo-salafiste, qui prône le djihad, la haine des mécréants et des juifs, la mise à mort des apostats et des homosexuels ainsi que l’emprisonnement des libres penseurs, dont le plus célèbre est Raïf Badawi.

Sans grand effort, chacune et chacun sont en mesure de constater l’apartheid sexuel institutionnalisé par le royaume des Saoud, faisant fi de tous les textes internationaux en la matière

 

Fermer les yeux

Dans ces conditions, nous ne pouvons accepter que l’Arabie saoudite soit catapultée à une commission dont le mandat principal est de garantir et de promouvoir les droits des femmes dans le monde, à moins de fermer les yeux sur la nature même de son régime.

Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur le processus qui a conduit à une telle élection. Qui sont les États qui ont voté pour garantir ce fameux siège à l’Arabie saoudite ? Qu’ont-ils reçu en échange ? À travers une telle complaisance, ces mêmes États réalisent-ils qu’ils bradent les droits de la personne et mettent en danger notre sécurité collective ?

Selon UN Watch, au moins cinq États de l’Union européenne (membres de l’ECOSOC) ont permis l’élection du royaume. On apprend que la Belgique, en raison d’un cafouillage diplomatique, est du nombre. D’ailleurs, son premier ministre regrette le vote de son pays ! Mais qui sont les autres États ? Est-ce la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, le Royaume-Uni, le Portugal, l’Irlande, la Suède, la République tchèque ? Nous voulons le savoir. Nous exigeons la vérité !

Alors que les femmes subissent de plein fouet les effets néfastes de la crise économique, du délitement des services publics, du virage de plus en plus autoritaire de plusieurs États et de la montée fulgurante des intégrismes religieux et des violences qu’ils charrient, nous estimons qu’il est urgent d’envoyer un message clair. Ceux qui contribuent à créer ces inégalités et à véhiculer ces violences ne sont pas dignes de notre confiance. Il faut, aujourd’hui plus que jamais, protéger les femmes, rendre accessibles les soins de santé et les droits sexuels et reproductifs, garantir le droit à l’éducation, à la culture et au travail, faire en sorte que les femmes puissent exercer leur citoyenneté à part entière. Nos droits ne sont pas à vendre ! Nos libertés ne sont pas négociables ! Notre dignité n’est pas à brader ! Arrêtez de nous mentir, l’Arabie saoudite n’est pas l’alliée des femmes !

Nous devons être conscients que, face à la montée des extrémismes politiques et à la menace des intégrismes religieux, notre responsabilité est de défendre la démocratie et de veiller au respect des droits fondamentaux de la personne. Dans cette lutte, la politique des États démocratiques ne doit souffrir d’aucune incohérence, d’aucune ambiguïté. On ne peut prétendre combattre un groupe État islamique sur le front du Moyen-Orient et normaliser la venue d’un groupe État islamique bis au sein des instances onusiennes. La doctrine officielle de l’Arabie saoudite met en péril la paix des nations et la fraternité entre les peuples.

Nous demandons à nos États respectifs, le Québec et le Canada, de dénoncer l’élection de l’Arabie saoudite à la Commission de la condition de la femme des Nations unies. Nous exigeons son exclusion ainsi que celle de l’Iran de cette commission, deux pays qui pratiquent des politiques ségrégationnistes à l’endroit des filles et des femmes.