Les navets

2017/05/11 | Par Michel Rioux

Jean Richard avait un métier : comédien. Il avait surtout une passion : le cirque. Mais entretenir un cirque, cela coûte fort cher. Pour financer sa passion, Jean Richard enfilait dans les années 50 et 60 des films de série B, pour ne pas dire de série C. Ce qui avait amené un critique à soutenir que ses lions étaient bien les seuls à être nourris avec des navets…

Cette histoire m’amène à constater qu’il faut bien des navets pour nourrir ce qu’on accepte encore, même à reculons, de nommer démocratie.

Le peuple est sous perfusion constante, clame le philosophe Michel Onfray. Il dénonce des médias qui fournissent leur lot de demi vérités, qui charrient des préjugés et  proposent chaque jour leur prêt-à-penser. On pense ici aux radios-poubelles de Québec. Il dénonce les politiciens qui « sortent les gros mots comme démocratie pour cacher de petites passions ». On pense ici aux Couillard, Coderre, Coiteux et Mélanie Joly marchant dans l’eau à demi-jambes pour faire voir au bon peuple une solidarité factice, qui prend l’eau au sens propre du terme. Même Justin s’est fait tremper les pieds à Vaudreuil dans une « visite spontanée ».

Pour maintenir un vernis de démocratie, on ne fait pas seulement manger des navets. On nous fait aussi avaler pas mal de couleuvres. Les ministres Lessard et Coiteux avaient dormi au gaz lors de l’épisode de l’autoroute 13 où des centaines d’automobiles étaient disparues sous des pieds de neige. Le gouvernement tout entier semble maintenant vouloir se faire pardonner avec les inondations.

Le Premier ministre n’a aujourd’hui plus rien à envier à tous ces saints dont l’Église catholique a confirmé le don d’ubiquité. Dans le même bulletin télévisé, on le voit à Pierrefonds, à Rigaud, à Gatineau. Peut-être que ce sourire qui ne le quitte pas trahit sa satisfaction de passer à autre chose que les accusations d’avoir pêché en eaux troubles qui frappent les libéraux. On ne l’a pas su, mais il est plus que probable que le ministre de la Culture a lui aussi cultivé quelques navets pour épater le chaland… Trop, c’est comme pas assez !

Le ministre Barrette n’aura pas raté l’occasion de faire étalage de son humour plutôt particulier. Il a salué l’arrivée de l’armée canadienne, reconnaissant « le très grand avantage d'être au Canada, pays de solidarité face aux épreuves. Ensemble nous sommes plus forts! » À croire qu’il dort avec la question constitutionnelle !

Onfray affirme qu’il en « veut moins aux agenouillés qu’aux agenouilleurs », estimant que « le peuple a du mérite à ne pas être plus crétin qu’il ne l’est tant il est dirigé par des crétins ». Faut croire  que les basses œuvres de ce grossier personnage qui fait office de ministre de la Santé ont traversé l’Atlantique.

Passer une semaine à écouter les histrions qui se font aller dans les radios-poubelles, on n’en sort pas indemne. C’est comme passer une semaine dans une soue à cochons. Pas possible de ne pas empester le purin en sortant !

Le risque est grand qu’à nourrir la démocratie avec des navets, il lui arrive la même chose qu’aux lions nourris de la même manière : ça ne fait pas des enfants forts ! Il y a 450 ans, La Boétie avait prévu la chose. « Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien et si volontiers qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté, mais gagné sa servitude. »

La France vient de se donner un président qui, c’est le moins qu’on puisse dire, manie la pensée mashmallow aussi bien que notre Justin. « Nous sommes tous des enracinés et parce que nous sommes des enracinés, il y a des arbres à côté de nous, il y a des rivières, il y a des poissons, il y a des frères et des sœurs… », a répondu Macron à un intervieweur complètement sidéré. Le même Macron, décidément en verve ce jour-là, ajoutait : « J’ai toujours assumé la dimension de verticalité, de transcendance, mais en même temps, elle doit s’ancrer dans l’immanence complète de la matérialité. »

Justin qui estime que le Canada est le premier pays post-national sans identité propre, ce qui fait une belle jambe à ce pays pour le moins incertain, mais demeure inquiétant pour nous, Québécoises et Québécois, rayés de l’histoire en quelque sorte. Macron qui déclare de son côté : « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse. » Ces deux-là sont faits pour s’entendre, n’en doutons pas !

Si la France n’a pas de culture, celle du navet, elle, semble vouée à un bel avenir.