La Mauricie, une région vieillissante durement touchée par les fermetures d’usines

2017/05/19 | Par Pierre Dubuc

« Nous avons eu une belle manifestation du Premier Mai dans les rues de Trois-Rivières. Pour la première fois, depuis longtemps, les étudiants, les regroupements de femmes et toutes les organisations communautaires se sont joints à la coalition intersyndicale. »

C’est par ces mots que David Maden, le conseiller régional de la FTQ pour la région Mauricie Centre-du-Québec, m’a accueilli dans les bureaux de la FTQ de la rue Marion, à Trois-Rivières.  Compte tenu de la description qu’il m’a faite de la situation de l’emploi dans la région, on comprend facilement la nécessité de se serrer les coudes.

Bien que le taux de chômage soit passé de 8,3 %  à 6,1 % au cours de la dernière année, ce qui est légèrement inférieur au taux de 6,3 % pour l’ensemble du Québec, les statistiques sont beaucoup plus inquiétantes lorsqu’on considère le taux d’activité et le taux d’emploi.

Le taux d’activité, défini comme le pourcentage de la population âgée de 15 ans et plus en emploi ou à la recherche active d’un emploi, est de 55,2 %, comparativement à 64,8 % pour l’ensemble du Québec. En ce qui concerne le taux d’emploi, soit le ratio des personnes en emploi sur la population âgée de 15 ans et plus, il n’est que de 51,8 %, soit près de 9% de moins que l’ensemble du Québec (60,7 %). Dans les deux cas, seule la région de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine a des statistiques plus désastreuses.

« Nous avons une population vieillissante », constate David, ce que confirmait Statistique Canada, quelques jours après notre entrevue, avec la publication de données qui établissaient que la grande région de Trois-Rivières compte la plus grande proportion de personnes âgées parmi les grandes villes du Canada, soit 22,3 %.

Québécois d’origine cubaine, né en Pologne d’une mère russe et d’un père cubain, David Maden est arrivé au Québec en 1991, après avoir étudié un an en Pologne et passé deux autres années en Suède.

Son expérience suédoise l’amène à poser un regard critique sur le modèle québécois. « Nous sommes plus près du modèle américain que du modèle scandinave », me lance David, qui connaît bien le Québec.

Car, après une dizaine d’années à l’emploi de Goodyear, où il a gravi les échelons de la militance jusqu’à la présidence de son syndicat, David a été, à partir de 2009, responsable du Service d’intégration des immigrants de la FTQ, avant de se retrouver conseiller régional en Abitibi deux ans plus tard.

« Depuis mon arrivée à Trois-Rivières, il y a trois ans, il y a eu plusieurs coups durs. Fermeture de la papetière Laurentide, avec la perte de 275 emplois. Fermeture du centre de distribution de la Coop fédérée avec 236 licenciements. Fermeture de l’usine de fabrication de la Sommex avec la mise à pied de 40 employés, réduction de personnel à la Wayagamack et chez Kruger… » égrène-t-il.

Parmi celles-ci, on sent que l’arrogance de l’employeur de Sommex lui est restée en travers de la gorge. « Le 10 décembre, à 11 heures, le patron informe ses employés qu’ils seront sans emploi à midi. Et qu’ils n’auront pas leur dernière paye », raconte David.

Cependant, la solidarité syndicale est venue à la rescousse. « Le syndicat de l’aluminerie ABI à Bécancour a recueilli 11 000 $ auprès de ses membres pour les remettre aux employés licenciés de Sommex. »

« La fermeture d’entreprises, c’est des pertes d’emplois, mais c’est aussi des taxes en moins pour les municipalités avec, pour conséquence, la nécessité de hausser la charge fiscale des contribuables, si on veut conserver le même niveau de services », souligne-t-il.

Mais le coup le plus dur porté à l’emploi dans la région est sans aucun doute la fermeture de la centrale nucléaire de Gentilly. « C’est la perte de 600 emplois avec des bons salaires, qui tournaient autour de 100 000 $ par année. C’est aussi la disparition du pôle énergétique du parc industriel, le seul parc industriel régional au Québec », se désole David.

« Le parc a bien des avantages, enchaîne-t-il, un port en eaux profondes et la proximité des autoroutes, mais il existait à cause de Gentilly, qui était la source d’énergie pour d’autres productions. Sans Gentilly, il est difficile d’attirer des entreprises. »

On a bien créé un Fonds de diversification économique de 200 millions $, mais il a été peu utilisé. Il reste 135 millions $ dans les coffres. « L’argent est-il vraiment disponible? », se demande David en pointant les conditions extrêmement restrictives pour pouvoir en bénéficier.

Dans ces conditions économiques difficiles, la priorité est la croissance économique qui, pour le conseiller de la FTQ, passe par une politique d’achat chez nous. Il s’en prend aux municipalités qui, comme les villes de Québec et Lévis, ont procédé à des appels d’offres dont les conditions excluaient l’achat de camions de pompiers de l’entreprise Thibault de Pierreville, une petite ville située entre Nicolet et Sorel-Tracy, au profit d’entreprises américaines.

« Pourquoi? Pour économiser quelques centaines de dollars par camion? On ne tient pas compte des retombées économiques dans la région de l’achat et du service après-vente qui est très important. »

C’est cette absence de solidarité sociale qui lui fait dire que le modèle québécois tient plus du modèle américain que du modèle scandinave.