Yémen, Soudan du Sud : les guerres oubliées

2017/05/19 | Par Michel Saint-Laurent

L'actualité foisonnante a, de nos jours, la fâcheuse habitude de nous révéler l'existence de guerres, dans certaines parties du monde, la plupart du temps fort éloignées de nous, puis, après quelques comptes-rendus, de passer à autre chose, de les oublier.

L'information « sensationnaliste » a bien besoin de nous titiller les sens avec ces histoires d'horreur, mais après ces mises en scène initiales, morbides à souhait, on revient à nous entretenir de nos petits faits divers locaux, de nos magouilles politiciennes nauséabondes. Un journaliste de Radio-Canada a même affirmé, récemment, que la mémoire collective n'est à peine que de six mois.

Les guerres civiles qui se déroulent, en ce moment, au Yémen et au Soudan du Sud sont deux exemples probants de ces conflits qui, dans une quasi-indifférence, passent sous le radar de nos sociétés bien à l'aise. Qui plus est, on ne nous explique pas, ou si peu et mal, à quel point nous sommes, à distance, néanmoins complices de ce qui se passe loin de nous. Les actions de nos gouvernements participent, à divers degrés, aux drames qui se jouent, loin de nos frontières. Mais de cela, motus et bouche cousue.

 

Le Yémen

Depuis deux ans, ce petit pays de 28 millions d'habitants de la péninsule arabique, vit une guerre civile qui a déjà fait plus de 10 000 morts, dont la moitié de civils. C'est dans la nuit du 25 au 26 mars 2015 que l'opération « Tempête décisive » était lancée par la coalition emmenée par l'Arabie saoudite, appuyée par les États-Unis, encore eux, contre la rébellion houthiste, qui contrôlait la capitale Sanaa et venait de prendre Aden, avec l'appui de l'ancien président Saleh. Il y a aussi dans ce pays un enchevêtrement de groupes djihadistes divers qui se livrent bataille.

Mais au-delà de la complexité militaire et politique de la situation là-bas et des responsabilités de tout un chacun, un fait demeure. Les gens meurent par milliers et une grave crise humanitaire de famine sévit. Le patron des opérations humanitaires de l'ONU, Stephen O'Brien a, récemment, affirmé que « ce conflit constitue à présent la plus grande urgence pour la sécurité alimentaire dans le monde. Sans action immédiate, la famine est un scénario possible pour 2017 », a-t-il rajouté.

On avance le chiffre ahurissant de 80 % de la population qui aurait besoin d'aide alimentaire. Deux millions auraient besoin d'une aide d'urgence. Enfin, divers groupes humanitaires soulignent que la situation est particulièrement alarmante pour les enfants. On estime que 2,2 millions d'entre eux souffrent de malnutrition et qu'un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 10 minutes, de causes évitables. Et, comble de l'horreur, des responsables yéménites et Médecins sans frontières (MSF) ont recensé, ces jours-ci, l'apparition de cas suspects de choléra.

De plus, les bombardements aériens intensifs, et le plus souvent aveugles, de l'aviation saoudienne ont détruit la quasi-totalité des infrastructures du pays. La fermeture de l'aéroport de la capitale Sanaa et les bombardements sur le port de Hodeida font en sorte que les médicaments et l'aide alimentaire ne rentrent pratiquement plus dans ce pays. Enfin, des militants des droits de l'homme soulignent que la communauté internationale dispose de seulement trois à quatre mois pour prévenir une famine de masse.

Or, pendant ce temps, le silence médiatique est tonitruant et des mesures de résolution du conflit se font attendre. Début mars dernier, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, réclamait des pays donateurs un financement de 4,4 milliards de dollars américains, d'ici juillet. Pour le moment, l'ONU n'a reçu  que 21 % de ces fonds, dont un maigre 120 M$ du Canada.

Au risque qu'on me reproche de faire de vilains amalgames, souvenons-nous de ce juteux contrat, de 15 millards $, pour la vente de véhicules blindés fabriqués par une entreprise du Canada, à l'Arabie saoudite, avec le soutien de notre gouvernement fédéral. Deux poids, deux mesures? Priorité accordée aux affaires, au détriment des humains?

Et c'est sans parler du soutien indéfectible de nos amis (sic) américains à la monarchie saoudienne rétrograde, par le biais de la vente d'armes et des achats de pétrole. Aussi, tout récemment, les Américains ont vendu 160 missiles de type Patriot, pour un montant global évalué à 2 milliards US $, aux Émirats arabes unis, pays faisant également partie de la coalition militaire arabe au Yémen, conduite par l'Arabie saoudite. Désespérant!

 

Le Soudan du Sud

Autre cas non moins honteux, qui témoigne de l'état délétère du monde, il y a le conflit au Soudan du Sud, pays de la Grande Corne de l'Afrique. Ce plus jeune État du monde, avec une population de 12,5 millions d'habitants, devenu indépendant en 2011, a basculé dans la guerre civile en décembre 2013. Les combats entre les deux principales ethnies du pays, les Dinkas, du président Salva Kiir, et les Nuers, de l'ancien vice-président Riek Machar, auraient, à ce jour, fait plus de 50 000 morts.

Déjà, plus de deux millions de Sud-Soudanais ont fui les violences et ont trouvé refuge dans les pays voisins. En février dernier, l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Programme alimentaire mondial (PAM) et L'Unicef ont déclaré l'état de famine dans ce pays, ravagé par une guerre qui prend, de plus en plus, une allure génocidaire. Ces organisations estiment que cinq millions de Sud-Soudanais ont de graves difficultés à s'approvisionner en nourriture.

 

Que dire, que faire?

Les horreurs ne se limitent malheureusement pas à ces deux seuls pays. L'ONU affirme que plusieurs autres pays africains, dont la Somalie, déchirée par la guerre civile depuis 25 ans et le Nigeria, terrorisé par les djihadistes de Boko Haram, sont également aux prises avec de graves crises humanitaires.

Pendant ce temps, dans nos pays insensibilisés, dont la richesse est souvent tributaire de la spoliation des ressources des pays du tiers-monde, c'est quasi silence radio. Pire, le nouveau président américain, Donald Trump, décrète une hausse massive des dépenses militaires aux dépens, notamment, des budgets de l'aide internationale.

Un ancien haut fonctionnaire du département d'État sous Obama dit ceci : « L'idée que l'aide alimentaire et les programmes d'assistance humanitaire sont essentiels sur le plan moral et cruciaux à notre sécurité nationale n'a jamais été aussi compromise .»

Ainsi, certaines questions... embarrassantes, se posent. Qui prendra le relais du désengagement des pays riches, tels les États-Unis et le Canada? Ne devrait-on pas revoir, de fond en comble, le rôle que pourrait jouer l'Organisation des Nations Unies (ONU), pour la résolution de ces conflits?

Cet organisme n'est-il pas devenu un simple poseur de bonnes intentions, mais qui n'a pas la force des convictions affichées? Son impuissance actuelle devient gênante. Et que dire du rôle des médias qui, le plus souvent, escamotent ces questions. En attendant, des milliers, voire des millions d'êtres humains meurent, dans la quasi-indifférence. Honte à nous tous!

 

Photo : Mohammed Huwais/AFP