Consternante politique de « défense » de Justin Trudeau

2017/06/09 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est pianiste et prof honoraire de l’UQAM, vice-président Artistes pour la Paix  et co-président d’honneur du Rassemblement Québécois pour la Paix

C’est porté par un vif sentiment de solidarité humaine et de compassion avec les millions de réfugiés et de morts que provoquent NOS guerres impérialistes qu’il nous faut condamner aujourd’hui la politique de pseudo-défense dévoilée le 7 juin 2017 par le gouvernement libéral. Sans jamais mentionner son militarisme en campagne électorale, ce dernier a décidé de plaire à Donald Trump en augmentant le budget militaire de 70% en neuf ans, de 18,9 milliards à 32 milliards de dollars en 2026, excluant les coûts d’opérations éventuelles. Nous portons le deuil des programmes sociaux sacrifiés pour financer une telle priorité honteuse!

Il y a moins de deux mois, le premier ministre Trudeau recevait au Parlement une véritable héroïne, Malala Yousufzai, qui avait condamné devant Obama le survol de son pays, le Pakistan, par des drones américains à toute heure du jour et de la nuit, frappant sans distinction islamistes et surtout civils innocents. Trudeau la trahit aujourd’hui en laissant la Défense acheter des drones armés[1]. Il trahit aussi, comme aucun autre chef politique depuis la Seconde guerre mondiale, les aspirations pacifistes des Québécois.

 

Le budget de la défense présenté le 7 juin : une effroyable politique de mort

- Militariste et soumis à des influences étrangères aux valeurs de notre pays (Trump, OTAN et industries militaires américaines tel Lockheed Martin[2]) ;

- Obsolète au point d’être arriéré : en 1992, il y a un quart de siècle, un rapport condensant 600 mémoires reçus à travers le Canada suggérait une politique de paix et de sécurité[3];

- Ruineux et anti-démocratique : le Vérificateur général a dénoncé les coûts des 15 navires de guerre grimpés de 26 à 61 milliards $, auxquels s’ajoutent les Superhornets à 7 milliards, coût appelé à tripler, et même à décupler vu la commande qui passera à 88 avions de chasse, sans utilité défensive; que dire des commandes d’hélicoptères d’attaques et de blindés, absurdes dans un pays dont la seule frontière terrestre est avec les États-Unis;

- Très dangereux pour la sécurité du pays et de ses citoyens et citoyennes, à la remorque d’une OTAN agressive :

  • Envers l’Iran qui a pourtant réélu un modéré qui respecte scrupuleusement son entente avec Obama sur la limite imposée à ses réacteurs nucléaires civils;
  • Envers la Russie, en alliant le Canada avec des éléments fascisants en Ukraine, Pologne et Lettonie;
  • Dont les bombardements en Syrie, en Afghanistan, en Irak et en Libye ont provoqué une marée de réfugiés, qui a augmenté le racisme islamophobe en Occident et changé le régime Erdogan en Turquie en dictature islamique emprisonnant des dizaines de milliers de journalistes, civils, et élus démocratiques.​

 

​​​Réclamer la démission du ministre Sajjan

Toute personne la moindrement informée devrait réclamer la démission du ministre Harjit Sajjan et la mise en tutelle de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, du moins jusqu’à ce qu’elle engage une enquête publique sur le rôle de l’OTAN.

Le premier, victime d’un vraisemblable choc post-traumatique suite à l’aventure militariste de 2006 qui a coûté le plus de morts canadiennes en Afghanistan (au point où il a menti en un discours en Inde sur sa participation, auto-glorifiée sans mesure avec la réalité[4]), ment quand il affirme son budget basé sur « peut-être la plus complète consultation démocratique jamais effectuée », alors qu’il a refusé de prendre connaissance du mémoire des Artistes pour la paix (APLP)[5].

La ministre Freeland quant à elle a « insisté sur la nécessité pour le Canada de promouvoir et de défendre le principe de l'inviolabilité des frontières [l’a-t-il fait en Syrie, en Irak et en Libye?], le multiculturalisme et la protection de l'environnement [s’est-elle prononcée contre les pipelines de pétrole sale envahissant les Premières Nations contre leur gré?] ».

 

L’ONU abandonnée, l’OTAN coupable d’ingérence

L’éloge militariste du gouvernement de l’OTAN et de la défense aérospatiale nord-américaine est déplorable[6], et surtout son refus de s’engager avec le Secrétaire Général de l’ONU, avec 130 autres pays, avec 7200 Maires pour la Paix, avec les Parlementaires pour la non-prolifération et le désarmement, ainsi qu’avec 960 Membres de l’Ordre du Canada pour rendre les armes nucléaires illégales : ICANW.org reviendra la semaine prochaine à la charge en Assemblée générale de l’ONU pour le bien de l’humanité, oublié par Trudeau. Il est ironique que la Chambre des Communes ait tenu un débat toute la journée du 8 juin sur ce sujet vaillamment défendu par le NPD et par Elizabeth May (huit heures de débats diffusés au CPAC) contre l’hypocrisie libérale et conservatrice, le Bloc étant (hélas) occupé (mais avec succès!) à contrer l’autodestruction massive.

Nous réclamons au Canada un comité sénatorial ou/et de la Chambre des Communes sur le fiasco par l’OTAN en Libye, à l’exemple du comité des Affaires étrangères de la Chambre des communes du Parlement britannique, dirigé par le député conservateur Crispin Blunt, qui a produit à l’automne dernier un rapport-choc, intitulé « Libya : Examination of intervention and collapse; the United Kingdom’s future policy options ». On lira l’excellent rapport[8] ​rédigé par Pierre Dubuc de l’Aut’Journal et un article de John Pilger[9] dénonçant la manipulation par les services britanniques secrets des terroristes libyens de Manchester, au mépris de la sécurité de la population. Une telle enquête remettrait en question, comme les APLP le réclament depuis 1991, l’appui inconditionnel du Canada à l’OTAN : sa dernière action militaire d’envergure en  2011 n’a-t-elle pas disséminé les armes de Kadhafi aux mains de l’État islamiste, la rendant ainsi indirectement responsable de 20 millions de morts que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés prévoit ce printemps en Afrique? Hélas, les deux ministres y ont même abandonné le Mali où 650 Casques bleus canadiens devaient être déployés depuis un an…

Bravo à Hélène Laverdière du NPD pour avoir exigé que la ministre arrête ses poncifs creux de soi-disant valeurs et qu’elle défende concrètement des communautés en péril tels les Kurdes, les Palestiniens, les Yéménites, les Rohingas du Myanmar et des individus persécutés tel Raïf Badawi emprisonné par une Arabie saoudite à qui nous vendons pour quinze milliards de $ de véhicules blindés.

Réactions des médias? Le Devoir fait de l’humour en titrant « Ottawa dévoile son offensive en défense » et Radio-Canada de la propagande honteuse, parlant de « budget bonifié » après « un gouffre financier pour les militaires à l’époque conservatrice ».

Consternation est un mot faible pour décrire l’état d’esprit des pacifistes en ces 7 et 8 juin.

 

[1] Contre lesquels les APLP avaient publié une pétition http://www.artistespourlapaix.org/?p=13234

[2] Où l’ex-général Charles Bouchard, qui a commandé les forces aériennes de l’OTAN en Libye en 2011, est à la tête de sa filiale canadienne vendant ses drones et cherchant à vendre ses F-35 et armes à sous-munitions

[3] Ce rapport reçu avec ouverture par le Premier ministre Jean Chrétien s’appelait : Enquête populaire sur la paix et la sécurité. On en trouvera les grandes lignes sur http://www.artistespourlapaix.org/?page_id=2659

[5] Notre mémoire de 38 pages http://www.artistespourlapaix.org/?p=11183 recommandait au ministère de la Défense, à l’instar de notre présentation au Sénat en 1994, qu’il soit rebaptisé ministère de la Paix et de la Sécurité, que le Canada se retire de l’OTAN militariste dont les bombardements  n’ont fait qu’armer les Taliban, Al-Quaeda et Daech, et qu’il priorise le désarmement (armes chimiques avec l’OPCW, mines anti-personnel, bombes à sous-munitions) et la protection des femmes (rapport interne Deschamps).

[6] Le 10 avril dernier, seul Québécois reçu par le ministère des Affaires étrangères à Ottawa, j’y avais pourtant présenté un document explicite intitulé « Oui à l’ONU, non à l’OTAN ».