Islamophobie : la tactique de l’épouvantail

2017/06/15 | Par Nadia El-Mabrouk

Houssein Ben-Ameur dédie sa chronique du 12 juin dans le journal Métro à mon article paru dans le Devoir sous le titre «Le Québec n’est ni raciste ni islamophobe». Dans ce texte, j’explique que le terme «islamophobie» est utilisé à outrance pour justifier la censure ou à des fins politiques et entretient un discours victimaire qui ne contribue pas à améliorer le sort des musulmans.

 «La face cachée de l’islamophobie» est le titre de l’article envoyé au Devoir. Il illustre mieux mes propos que celui choisi par la rédaction du journal qui peut laisser entendre que je nie l’existence du racisme et de l’islamophobie au Québec. Comme je le dis dans mon article, Il est évident que l’actualité qui rapporte régulièrement des actes de terreur commis au nom de l’islam «suscite des propos haineux, de l’aversion et des réactions de rejet envers l’islam». Dès lors, il s’agit de prendre les bons moyens pour instaurer un dialogue sain entre les citoyens. Or, miser sur la culpabilisation et les accusations d’islamophobie n’est pas, à mon avis, la bonne façon d’y parvenir, et contribue plutôt à nourrir les extrêmes.

Mais voilà que Monsieur Ben-Ameur affirme que je défendrais la thèse que «l’islamophobie n’existe pas» et que je ferais du «négationnisme de la discrimination, du racisme et de la haine». Il est évident que le chroniqueur emploie la tactique «de l’épouvantail», sophisme qui consiste à prêter à son adversaire des idées ou des propos qu’il n’a pas formulé, afin de pouvoir critiquer ces propos attribués faussement.  Cette stratégie relève de la malhonnêteté, d’autant plus que l’accusation de «négationnisme» est chargée de sens et ne peut avoir été formulée sans en mesurer l’impact.

Pour appuyer ses affirmations, Ben-Ameur pointe mon utilisation des chiffres de Statistique Canada montrant que les juifs étaient, en 2013, les plus touchés par des crimes haineux. Ben-Ameur m’encourage-t-il à faire du «négationnisme» à l’endroit des juifs? C’étaient les chiffres officiels les plus récents dénombrant les crimes haineux en fonction des différentes religions. De nouveaux chiffres viennent d’être publiés par Statistique Canada le 13 juin 2017. Ils font état d’une hausse des infractions visant les musulmans en 2015. Cependant, en accord avec les chiffres de 2013, les juifs demeurent les plus touchés.

Les autres chiffres rapportés dans la chronique de Ben-Ameur, quoi que révélateurs d’un climat de tension, me semblent moins significatifs puisqu’ils ne sont pas associés à des faits démontrés. En effet, ils concernent le nombre de plaintes déposées et non pas celles effectivement reconnues par la police. Combien, parmi les 52 signalements ont été effectivement retenus par la police, et combien reflètent plutôt une «perception d’islamophobie»? D’ailleurs, Le Quotidien (Statistique Canada) du 13 juin 2017 nous apprend que « le Conseil national des musulmans canadiens a déployé des efforts pour encourager le signalement des crimes haineux à la police ». Faut-il alors s’étonner de la hausse du nombre de plaintes?

Les études statistiques et les sondages montrent que le Québec ne se distingue pas du reste du Canada par un excès de xénophobie, mais que ce sont les religions et les signes religieux qui sont les moins bien acceptés au Québec. Cela confirme l’attachement des Québécois au modèle de laïcité qui a émergé à la Révolution tranquille. L’église catholique  a alors accepté d’abandonner ses privilèges, et de retirer les croix et les habits religieux des institutions publiques dont les écoles et le système de santé, dans l’objectif de s’ouvrir à la diversité des autres religions et des non-croyants. Dès lors, le fait que Ben-Ameur accuse ce modèle de laïcité comme étant «assimilateur» est un non-sens, mais surtout une insulte aux générations passées. Finalement sa chronique ne fait que confirmer mes propos à l’effet que l’islamophobie, et maintenant le «négationnisme», sont utilisés comme des mots matraque diffamatoires assenés pour disqualifier l’adversaire.

La diversité des points de vue dans la sérénité et le respect, voilà l’essentiel pour débattre de la laïcité et du vivre ensemble.