Ottawa veut accorder aux investisseurs son privilège d’ignorer les lois du Québec

2017/06/15 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois.

Le gouvernement Trudeau est en train de créer la Banque de l’infrastructure du Canada, qui vise à canaliser les investissements du milieu financier international dans des infrastructures privées chez-nous. Or, pour rendre son projet plus attrayant, Ottawa leur offre une prime : s’ils font leurs investissements en passant par la banque fédérale, le gouvernement leur offrira tous les privilèges dont il jouit lui-même. Et, comme le gouvernement fédéral n’est pas soumis à toutes les lois du Québec, ce sera pareil pour les financiers.

Le territoire québécois appartient aux Québécois. Il nous appartient de le protéger, de l’occuper, d’en encadrer l’aménagement. On peut le faire comme bon nous semble. Il est à nous.

Mais dès qu’il s’agit d’infrastructures fédérales, on n’est plus tout à fait chez-nous et Ottawa peut décider seul.

Le port de Québec émet des poussières toxiques qui polluent Limoilou? On n’arrive pas à faire appliquer notre loi sur la protection de l’environnement. Postes Canada vient installer une boîte postale communautaire sur votre terrain? Rien à faire, Ottawa lui en a donné le droit. Tout ça parce que ces infrastructures relèvent du fédéral. Sans compter les pipelines, les tours de télécommunications, les aéroports ou les chemins de fer qui, tous, sont exemptés de plusieurs de nos lois.

Quand c’est fédéral, il n’y a pas de BAPE, pas de protection du territoire agricole, pas de loi sur la protection de l’environnement, pas de plans d’urbanisme ou de règlement de zonage qui tiennent. Ottawa se comporte en maître chez nous.

Or, avec la Banque de l’infrastructure, le gouvernement fédéral pourrait étendre cette immunité à n’importe quelle infrastructure qu’un investisseur privé voudrait construire. S’il passe par la future Banque, il suffira qu’Ottawa décrète que cet investisseur agit au nom du gouvernement fédéral, et le tour sera joué. Dans le vieux jargon du XIXe siècle dont le gouvernement fédéral s’est servi dans son projet de loi C-44, l’investisseur privé sera devenu Mandataire de sa Majesté, du chef du Canada.

Le temps presse. Le gouvernement Trudeau a enfoui cette obscure formule dans un projet de loi mammouth de 308 pages, qui modifie 47 lois fédérales et en crée 5 nouvelles. Comme les partis canadiens refusent au Bloc Québécois le droit de s’exprimer dans les comités parlementaires, personne n’a soulevé le problème et le projet de loi en est rendu aux dernières étapes avant son adoption finale.

Le Parti Québécois a sonné l’alarme à Québec. L’Assemblée nationale a été unanime pour dénoncer cette menace. Les constitutionnalistes ont commencé à prendre la parole pour confirmer qu’on a raison de craindre cette menace. Or, le gouvernement Trudeau s’entête à livrer notre territoire aux investisseurs privés qu’il courtise. « Venez investir au Canada, vous n’aurez pas à vos soumettre aux lois du Québec ni aux règlements de ses municipalités », leur promet-il.

Au moment de rédiger ce texte, le gouvernement Trudeau a rejeté tous les amendements, qui auraient retiré ce privilège royal à la Banque d’infrastructure et aux investissements privés qu’elle endosse.

Or, le Sénat a déjà annoncé qu’il entendait renvoyer le projet de loi à la Chambre avec un amendement allant dans le même sens que celui proposé par le Bloc Québécois. Si cela fonctionne, ce serait un peu la même histoire que celle de l’automne dernier.

L’automne dernier, dans le projet de loi C-29, le gouvernement voulait que le secteur bancaire soit soustrait à la Loi de la protection du consommateur. Le Bloc Québécois avait débusqué cette modification dans un autre projet de loi mammouth et avait fait pression pour faire reculer le gouvernement. Le Parti Québécois avait fait adopter une motion unanime à l’Assemblée nationale. Il avait fallu que ça soit le Sénat qui apporte l’amendement final pour que le gouvernement retire cette section de son projet de loi.

Il est aberrant de devoir passer par le Sénat pour sauver les meubles. D’un côté, les élus travaillent contre la population. De l’autre, les sénateurs nommés de façon partisane, en quête de notoriété, pourraient faire reculer le gouvernement, pour une deuxième fois, à partir des éléments soulevés par le Bloc et faisant l’unanimité à Québec !

C-44 attaque de front des pouvoirs de notre nation : Intégrité de nos lois sur la protection de l’environnement, de la protection de nos terres agricoles, d’aménagement urbain harmonieux, du pouvoir citoyen de contrôler ce qui se passe chez nous.

Même uni, le Québec peine à faire reculer le gouvernement fédéral. Celui-ci se vautre dans le Home Rule britannique de l’époque victorienne. Ottawa fait sienne la doctrine qui était celle de l’empire par rapport à ses colonies : Faites vos lois comme cela vous plaît, mais n’y sommes pas assujettis, ni les intérêts que nous parrainons.