Trudeau, Freeland s’en vont en guerre

2017/06/15 | Par Robin Philpot

Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Trudeau, qui se faisait plutôt rare depuis les révélations de mars dernier sur le passé nazi de son grand-père maternel, est sortie de son mutisme pour livrer le 6 juin dernier un discours qui définira la politique étrangère du Canada dans les prochaines années. On peut le lire ici.

En gros, elle nous prépare pour la guerre, mais elle le fait en enrobant son discours de patriotisme canadien, de bonnes pensées sur un monde de paix et… de mensonges.

De mensonges, il y en a beaucoup. Commençons par le plus gros, soit sa superchérie sur l’ordre mondial né dans la foulée de la Seconde guerre mondiale.

Selon elle, le Canada, les États-Unis et l’Europe de l’ouest sont les principaux pays à l’origine cet ordre mondial. Faux! Ce sont l’Union soviétique, la Chine et les pays de ce qu’on a fini par appeler le Tiers monde qui ont mené cette bataille pour la liberté et la souveraineté des nations dans l’après-guerre.  Les pays occidentaux sont arrivés à accepter cet ordre à la traîne, un peu malgré eux. De plus, le changement le plus marquant de la période d’après-guerre a été sans contredit la libération des colonies d’Afrique et d’Asie. Mme Freeland n’en souffle mot, ce qui est révélateur. Or le Canada était totalement absent de cette bataille, préférant appuyer les puissances coloniales ainsi que l’apartheid (jusqu’au milieu des années 1980).

Toujours selon Madame Freeland, les plus grands défenseurs de cet ordre mondial seraient aujourd’hui le Canada, les États-Unis et l’Europe de l’Ouest et leur bras militaire l’OTAN. Archi-faux! Ces pays en sont les fossoyeurs. Feu Me Michael Mandel l’a démontré dans un livre magistral intitulé How the Americans Get Away With Murder, Illegal Wars, Collateral Damage and Crimes Against Humanity mais aussi comme témoin expert devant le Comité des affaires étrangères à Ottawa en 2000. Voici un extrait de son témoignage sur la guerre de l’OTAN de 1999 contre la Yougoslavie :

La première chose qu'il convient de dire au sujet de la guerre qu'a menée l'OTAN contre la Yougoslavie est qu'elle était totalement illégale. Tant la raison d'être de cette guerre que la façon dont elle a été menée étaient illégales. Elle constitue une violation flagrante et délibérée du droit international et de la Charte des Nations Unies. (…) Le fait que cette guerre était illégale et injustifiée signifie que M. Chrétien, M. Axworthy et M. Eggleton, de concert avec tous les autres leaders de l'OTAN, ont planifié et exécuté une campagne de bombardement qu'ils savaient illégale. Ils savaient que cette campagne tuerait des milliers de civils, hommes, femmes et enfants, ou provoquerait des blessures permanentes.

L’attaque de la Yougoslavie en 1999 a sonné le glas de l’ordre mondial né en 1945 et des règles du droit international fondées sur l’égalité souveraine des États petits et grands. Notons que la Serbie se prépare actuellement à poursuivre l’OTAN (donc le Canada) pour les crimes de guerre commis en 1999 notamment au nom de l’ordre mondial.  S’il y avait une once d’honnêteté et de vérité dans les propos de notre ministre, elle annoncerait que le Canada appuie cette poursuite.

 

Où est passé le « Nouvel ordre mondial »?

Dans sa superchérie sur l’ordre mondial vieux de 70 ans, elle saute par-dessus les 27 dernières années, c’est-à-dire, depuis que George Bush père a annoncé son « Nouvel ordre mondial » le 11 septembre 1990. C’est à ce moment-là, lors de la première guerre contre l’Irak –dont Mme Freeland vante le rôle du Canada –, que l’ordre mondial né de la Seconde guerre mondiale est passé à la trappe. Le respect des règles en droit international a fait place à la génuflexion devant la force brute, celle que détenait « la seule superpuissance du monde ». Et c’est sans broncher que Mme Freeland demande à cette seule superpuissance de continuer à veiller sur le monde avec sa force brute, sans quoi les « puissances moyennes », dont le Canada, devront recourir à la « puissance dure ». Rarement aura-t-on entendu de la bouche d’un ministre important du gouvernement canadien des propos aussi belliqueux… et mensongers.

Car en faisant disparaître de son récit les trois dernières décennies, elle efface toutes les victimes de ce nouvel ordre mondial régi par la force brute ou, dans ses mots, la « puissance dure ». Outre la Yougoslavie, il y a eu les guerres de conquête par procuration au Rwanda et au Congo (1990-98), l’Irak, l’Afghanistan, mais surtout la Libye, le pays le plus prospère de l’Afrique qui a été ramené à l’âge de pierre par l’aviation de l’OTAN sous un commandant canadien (Charles Bouchard) et par les alliés djihadistes de l’OTAN.

Nous devons respecter « l’inviolabilité des frontières nationales », dit-elle. Mais alors pourquoi celles de la Libye, de la Yougoslavie, de la Syrie (amputée d’une partie de son territoire par Israël et cibles de bombardement unilatéral de la part des pays occidentaux) ou du Yémen (envahi par notre allié – et client – l’Arabie Saoudite) peuvent-elles être violées?

La réponse se trouve dans sa hiérarchie des organisations internationales. Selon elle, ce n’est pas sur l’ONU que le Canada doit plancher, mais plutôt sur l’OTAN. Chrystia Freeland : «  l’OTAN et l’article 5 sont au cœur de la politique de sécurité nationale du Canada. »

Alors que l’ONU, née en 1945, regroupe tous les pays sur tous les continents et a comme objectif premier la paix dans le monde, la seconde, l’OTAN ou l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, née en 1949, est une alliance militaire des pays occidentaux créée pendant la guerre froide. Sa raison d’être : la domination militaire, d’abord à l’égard du Pacte de Varsovie, ensuite, depuis 1990, à l’égard du monde entier. Il s’agit en gros du regroupement des anciens pays colonialistes, sous la direction hyperpuissante des États-Unis, avec un Canada qui répond toujours « présent ».

 

Yes sir, Mr. President

L’ironie est sublime. Alors que Mme Freeland et le premier ministre Trudeau font semblant de se distancer du président Trump, qui peste contre les coûts de l’OTAN pour Washington et menace de la quitter si les autres membres n’augmentent pas leur contribution, le tandem Trudeau-Freeland est le premier à dire : Yes Sir, Mr. President, nous sommes là avec notre argent et nos troupes, et nous dépenserons beaucoup plus à l’avenir pour la chose militaire, comme vous l’avez demandé.

Et qui vise-t-elle avec sa « puissance dure »? Le seul pays qu’elle nomme est la Russie, pays qu’elle accuse de faire de « l’aventurisme militaire et l’expansionnisme » lesquels présenteraient des « menaces stratégiques claires pour le monde démocratique, y compris le Canada. » Aussi, elle l’accuse d’avoir annexé le territoire de la Crimée. Pourtant, il y a eu référendum avant que la Crimée ne rejoigne la fédération russe. Rappelons que cela n’a pas été le cas dans les territoires syriens, jordaniens, libanais et égyptiens qu’Israël a annexés au cours des 50 dernières années.

Notons que Mme Freeland donne carte blanche à Israël : « Pour certains pays – je pense notamment à Israël et à la Lettonie –, la réponse [sur les dépense militaires exorbitantes] est évidente. Les pays dont l’existence même est menacée de façon claire et immédiate savent qu’ils doivent dépenser des fonds pour les forces armées et la politique étrangère. Et ils savent pourquoi ils doivent le faire. » Donc, gare à tous les pays du Moyen-Orient! L’aventurisme militaire israélien est permis, voir encouragée. Idem pour la Lettonie où le Canada sous l’égide de l’OTAN envoie des troupes.

Ses omissions sont aussi révélatrices. Par exemple, par son silence, elle donne carte blanche à notre client et ami l’Arabie Saoudite et à son aventurisme militaire, qui viole impunément les frontières, notamment au Yémen, mais aussi en Syrie par les terroristes islamistes interposés.

 

Le nouveau grand-père de Chrystia Freeland

Depuis les révélations de mars 2017 sur le passé nazi du grand-père maternel de Chrystia Freeland, grand-père duquel elle ne s’est jamais distancée et qu’elle admirait pour ses efforts visant à « restaurer la liberté et la démocratie en Ukraine », on attend des précisions de sa part. Rappelons que son grand-père Michael Chomiak n’était pas un combattant pour la liberté, mais un propagandiste nazi jusqu’à la fin de la guerre. Il était rédacteur en chef du journal en langue ukrainien Krakivski Visti, qui se réjouissait constamment de la guerre meurtrière que l’Allemagne nazie a livrée à la Russie mais aussi de l’élimination des Juifs. À titre d’exemple, on pouvait lire dans l’édition du 6 novembre 1941 de Krakivski Visti : « Il n’en reste pas un seul [Juif] à Kiev aujourd’hui, alors qu’il y en avait 350 000 sous les Bolchéviks… [les Juifs] ont eu ce qu’ils méritaient ». Chomiak a suivi les Nazis, vers Cracovie et ensuite à Vienne, d’où il a été rescapé par les Américains qui recrutaient d’anciens Nazis pour la guerre qu’il prévoyait tôt ou tard avec l’Union soviétique. Ce sont les Américains qui l’ont exfiltré vers le Canada en 1948.

Au lieu de répondre franchement, Mme Freeland termine cyniquement son discours du 6 juin dernier sur une autre note personnelle : elle parle d’un autre grand-père, John Wilbur Freeland, qui s’est enrôlé dans l’armée canadienne en 1940 et s’est battu en Europe.

Le procédé peut sembler limpide : elle parle de l’un pour faire oublier l’autre. Mais est-ce si simple? Si candide? La réponse est non.

Mme Freeland parle du combat de ce grand-père – et de tant de nos parents –, mais elle ne mentionne jamais le nom de l’ennemi dans cette guerre, l’Allemagne nazie. Elle ne mentionne pas non plus l’Holocauste, le génocide des Juifs; pas un mot non plus sur notre allié, l’Union soviétique, le pays qui a le plus souffert de l’horreur de cette guerre (20 millions de morts). Le faire, comme le font la plupart des ministres des Affaires étrangères de pays qui se respectent, l’aurait obligée de désavouer grand-papa Chomiak, ce qu’elle refuse de faire.

En somme, elle invoque le grand-père Freeland, soldat qui a combattu les Nazis, pour mieux exprimer une politique étrangère belliqueuse et antirusse qui ressemble davantage à celle que grand-papa Chomiak a défendue. 

 

L’ordre mondial, droit à l’auto-détermination et le Québec

Quelqu’un qui vante l’ordre mondial né de la Seconde guerre mondiale doit absolument aborder le droit des nations à disposer librement de leur destin. Mais pas la ministre Freeland, qui reste muette comme une carpe.

Cela ne surprendra personne. On sait depuis longtemps que le « libéralisme canadien », qu’elle vante tant, se transforme immédiatement en Franquisme dès lors qu’il est question de l’autodétermination des nations. Car il y a le Québec. Et les Libéraux canadiens préfèrent de loin réagir comme Franco avec le pays Basque et la Catalogne, que comme De Gaulle avec l’Algérie.  

Ironie du sort, quelques jours avant que Mme Freeland prononce son discours, le gouvernement archi-fédéraliste du Québec a présenté des demandes constitutionnelles minimum minimorum pour réparer le tort infligé par le coup de force constitutionnel de 1982.

Quelle est la réponse de ce pays qui se dit champion de l’ordre mondial né en 1945 : Non! Nada! La porte est fermée à deux tours.